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M. COLIN Je préfère ne pas en faire partie.

M. PASTEUR : Dès lors, vous êtes jugé dans vos convictions. C'est comme pour le charbon spontané; vous n'avez que des opinions et vous craignez la lumière. Cette commission pourrait se réunir cette semaine; M. Colin assisterait à ses séances, soit en ma présence, soit en mon absence; je tiens à me mettre tout entier à sa disposition. Je m'engage, quant à moi, à inoculer, d'une part, la septicémie à des animaux; au bout de vingt-quatre heures, ces animaux présenteront tous les caracfères habituels de la septicémie aiguë, expérimentale, étudiée par diverses personnes dans cette Académie; et, d'autre part, je reproduirai en même temps ce que j'appelle la nouvelle maladie, puisqu'elle ne ressemble à aucune des affections connues. Ces expériences une fois instituées en présence de la commission, l'Académie dans sa prochaine séance sera juge. L'examen du sang suffira, à lui seul, pour éclairer tout le monde. Le sang, dans la septicémie, au moment de la mort, ne montre pour ainsi dire jamais de vibrions effectifs, tandis que les animaux morts de la nouvelle maladie contient toujours, et souvent à profusion, le nouvel organisme à auréole, aérobie et immobile.

M. COLIN Je désire rester simple spectateur.

M. PASTEUR : Vous y serez acteur; car vous serez tenu de déclarer qu'il s'agit ou qu'il ne s'agit pas de septicémie dans les expériences que je ferai devant la commission, et que j'avais raison de croire à une différence absolue de la septicémie et de la maladie nouvelle.

M. LE PRÉSIDENT : Il n'entre pas dans les habitudes de l'Académie de nommer une commission pour examiner les travaux de ses membres. Cependant, si l'Académie le juge opportun dans les circonstances actuelles, je mets aux voix la question de savoir si elle entend qu'une Commission soit nomimée pour se livrer à l'examen des travaux dont il vient d'être question.

L'Académie, consultée, décide la nomination de cette Com

mission. Sur la proposition de M. le Président, MM. Bouley, Vulpian, Davaine, Alph. Guérin et Villemin sont appelés à en faire partie; MM. Pasteur et Colin pourront, naturellement, s'adjoindre à la Commission.

M. PASTEUR Je répondrai maintenant à la considération présentée par M. Colin dans la dernière séance, sur la culture des bactéridies charbonneuses dans le sol, en donnant d'abord à l'Académie lecture de la note suivante, que je présente avec la collaboration de MM. Chamberland et Roux, et qui concerne la longue durée de la vie des germes charbonneux et leur conservation dans les terres cultivées :

« La Société centrale de médecine vétérinaire de Paris a nommé au mois de mai dernier une Commission et alloué les fonds nécessaires pour contrôler les faits nouveaux qui se sont produits récemment dans la science au sujet de l'étiologie du charbon, notamment les résultats qui concernent la présence des germes de cette maladie à la surface et dans la profondeur des terres où ont été enfouis des animaux morts charbonneux. La Société m'a fait l'honneur de me nommer membre de cette commission, qui, outre moi-même, est composée de notre confrère M. Bouley, de M. Camille Leblanc, membre de l'Académie de médecine; de M. Trasbot, professeur à l'Ecole d'Alfort, et de M. Cagny, vétérinaire distingué à Senlis.

>> Je crois devoir faire connaître à l'Académie quelques-uns des résultats obtenus par la Commission.

» A quelques kilomètres de Senlis se trouve la ferme de Rozières, qui, chaque année, fait des pertes cruelles par la fièvre charbonneuse. C'est cette ferme que la commission, guidée par les judicieuses indications de M. Cagny, a pris pour champ de ses expériences. Dans le jardin de la ferme, jardin clos de murs, se trouvent deux emplacements en quelque sorte préparés pour les études que la commission voulait entreprendre. L'un de ces emplacements sert aux enfouissements depuis trois ans l'autre a servi il y a douze ans et dans les années précédentes au même office, mais n'est plus utilisé depuis cette

époque. La commission m'a chargé tout d'abord de rechercher si, à la surface de ces fosses, la terre renfermait des germes charbonneux. A cet effet, M. Leblanc me remit au mois de septembre dernier deux petites boîtes renfermant chacune environ 5 grammes de terre prélevés par lui-même à la surface de chacune de ces fosses. Après un lessivage et un traitement convenable de ces terres, nous avons inoculé leurs parties les plus ténues à des cochons d'Inde, qui sont morts rapidement et entièrement charbonneux.

› La Commission procéda alors à l'expérience suivante, dont la surveillance fut confiée à deux de ses membres, MM. Leblanc et Cagny. Le 8 octobre, sur la fosse d'il y a douze ans, on a installé sept moutons neufs, c'est-à-dire qui n'avaient jamais. eu le charbon. On les y a laissés pendant quelques heures dans l'après-midi, puis on les a rentrés à la bergerie, tout à côté du restant du troupeau. Tous les jours, quant il faisait beau, on conduisait les sept moutons sur cette fosse et après quelques heures on les ramenait à la bergerie. Il n'y avait pas d'herbe à la surface de la fosse et l'on ne donnait à manger aux moutons que dans la bergerie même.

» Le 24 novembre 1880, MM. Leblanc, Cagny et moi, nous nous sommes rendus à la ferme de Rozières pour constater les résultats obtenus. Des sept moutons, un était mort le 24 octobre, un deuxième le 8 novembre, tous deux charbonneux; les autres se portaient bien. Quant aux moutons témoins, c'està dire tous ceux du restant du troupeau, aucun n'était mort dans le même intervalle de temps.

» Voilà donc un nouveau contrôle précieux des faits que nous avons annoncés à l'Académie au mois de juillet dernier et plus récemment encore, avec cette double particularité très intéressante qu'il s'agit ici d'un séjour momentané à la surface d'une fosse où depuis douze ans on n'a pas enfoui d'animaux charbonneux, et que les moutons mis en expérience, qui ont eu deux morts sur sept dans l'intervalle de six semaines, n'ont pas pris de repas sur la terre de la fosse, d'où il résulte que le germe de la maladie n'a pu pénétrer dans leur corps que par Suite de l'habitude bien connue qu'ont les moutons de flairer sans cesse la terre sur laquelle ils sont parqués.

» Il n'est pas inutile d'ajouter que les emplacements meurtriers dont je viens de parler servent à la culture potagère de la ferme. Nous avons demandé au fermier si le charbon ne s'était jamais déclaré sur les habitants de la ferme. Le fermier nous répondit : « Cela n'a pas été constaté. Moi seul, et vous »en voyez la cicatrice, nous dit-il en montrant son visage, moi » seul ai eu une pustule maligne qui a guéri. » Il est présu→ mable que, si les légumes consommés dans la ferme n'étaient pas cuits, les choses se seraient passées différeinment et que la ferme aurait peut-être compté des victimes par la terrible maladie.

» Combien d'enseignements d'une haute gravité dans les faits qui précèdent!

>> On croyait que la végétation et les cultures, par des phénomènes naturels de combustion et d'assimilation, détruisaient toutes les matières organiques des vidanges et des engrais. Un principe nouveau nous est révélé : combustion et assimilation végétales n'atteignent pas les germes de certains organismes microscopiques. Je ne crois pas que l'étiologie des maladies transmissibles se soit jamais enrichie d'un principe plus fécond, touchant l'hygiène et la prophylaxie de ces terribles fléaux. Qui pourrait assigner les cheminements divers et multiples sans doute des germes, depuis le moment de leur formation jusqu'à celui où ils frappent leurs victimes, lorsque ces germes sont des agents de contagion et de mort ?

» Les habitants de la ferme de Rozières foulent aux pieds des germes charbonneux, et ces germes n'ont atteint personne. Mais changez à peine, comme nous venons de le faire, les conditions de la vie des animaux dans la ferme et vous entraînez la mort rapide de certains d'entre eux, dont les chairs, par tel ou tel mode de transport du parasite charbonneux, piqûres directes ou piqûres indirectes par des mouches, iront porter le mal chez de nouveaux animaux et chez l'homme : témoin l'exemple cité du fermier lui-même. »>

La réponse que je fais ainsi aux observations de M. Colin ne m'est, pour ainsi dire, pas personnelle; elle émane d'une Société importante, qui a eu l'heureuse inspiration de vouloir contrôler les faits qui ont été récemment signalés sur la

conservation des bactéridies charbonneuses dans le sol. Je ne pense pas que l'Académie veuille mettre en doute les résultats de ces expériences, que plusieurs de ses membres ont d'ailleurs contrôlés. Dans le Jura, nos expériences ont eu pour témoins des villages entiers.

M. Colin cependant est venu lire, dans la séance précédente, le récit de 98 expériences toutes négatives, qui tendaient à détruire complètement ce que nous avons établi à ce sujet. Déjà l'an dernier il nous avait fait connaître en un grand nombre de pages de semblables expériences, négatives elles aussi. J'avais alors fait remarquer que l'A B C en quelque sorte de la méthode expérimentale, c'était que des faits négatifs, quelque nombreux qu'ils soient, ne peuvent jamais infirmer un seul fait positif. Et cependant M. Colin renouvelle la série de ses expériences négatives!

Certes, si je prends une motte de terre et que j'en fasse sortir le charbon, c'est qu'il y est, et si, plaçant cette même motte entre les mains de M. Colin, il ne l'y trouve pas, c'est évidemment qu'il se trompe. Un chemin conduit à la vérité, mille mènent à l'erreur. C'est toujours un de ces derniers que choisit M. Colin.

Voici, sous une forme travestie, mais pleine de vérité au fond, la manière de raisonner de M. Colin. Quelqu'un vient dire ici : « Il fait jour en ce moment. » Aussitôt M. Colin de prendre la parole et de dire: «Prenez-garde. J'ai fait à ce sujet. de nombreuses observations. Je viens de me transporter dans 98 cabinets bien clos. Je n'ai vu clair dans aucun. Vous voyez donc bien qu'il ne fait pas jour en ce moment. >>

Je ne veux pas entrer dans le détail et la critique des expériences présentées par M. Colin.

M. COLIN Il serait cependant important de montrer comment je me suis trompé.

M. PASTEUR: Je sers la science, et non un homme individuellement. D'ailleurs, si M. Colin n'est pas satisfait des expérences impersonnelles que je viens d'apporter, je propose à l'Académie de désigner l'un quelconque de ses membres qui,

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