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infidélité. Je sus que le manuscrit avoit été vendu pour vingt-cinq louis à un libraire de Hollande; j'appris de plus, par un ouvrier de l'imprimerie, chargé des ouvrages de la personne en question, que cet ouvrier et deux autres scribes, après avoir détaché les feuillets, et copiant l'un le folio recto, l'autre le verso, avoient transcrit dans la journée le manuscrit qui est en grand in-folio, et que j'ai actuellement sous les yeux, et qui fut rendu exactement à l'heure indiquée.

SECONDE LETTRE DE MARIN 1.

Vous savez, monsieur, que les vieillards, qui n'ont point d'avenir et qui ne tiennent au présent que par le passé, ont la foiblesse de raconter leurs souvenirs pardonnez-la-moi, et permettez

chargé de 1770 à 1774 de la rédaction de la Gazette de France, ce dont il s'acquitta assez mal, au dire des contemporains. Beaumarchais particulièrement l'a maltraité dans ses Memoires. Voy. le tome Ier de l'Histoire de la Presse en France par Eug. Hatin.

4. Nous publions cette seconde lettre, quoique ne se rapportant pas directement à madame de Caylus, à cause des faits énoncés au commencement. Nous pensons d'ailleurs que les détails donnés sur le comte de Caylus par son secré taire ne paroîtront pas dénués d'intérêt.

que j'ajoute quelques souvenirs à ceux de ma lettre précédente, à l'occasion des Souvenirs de madame de Caylus.

Je viens de parcourir une édition que M. Renouard a récemment publiée de cet ouvrage, en un volume in-douze papiers, caractères, gravures, tout y est de la plus grande beauté. Deux choses m'ont surpris dans la Notice sur madame de Caylus la première, c'est une mauvaise épi gramme, en deux très-mauvais vers1, contre M. de Caylus. Étoit-il convenable de terminer l'éloge de la mère par ce trait lancé contre son fils? Celui qui, dans le temps, se permit cette méchanceté ne méritoit pas l'excès de ménagement que j'ai eu pour lui dans l'anecdote que je vous ai racontée 2; et si j'eusse connu cette injurieuse épithaphe j'aurois dit à cet homme : Tu es ille vir. La deuxième, c'est l'éloge bien

1. Cette épigramme, qui se trouve en effet dans l'avertissement de Renouard, est très-connue; c'est une épitaphe caustique du comte de Caylus :

Ci git

un antiquaire acariâtre et brusque

Qu'il est bien enfermé dans cette cruche étrusque.

Elle est de Diderot. Ce seroit donc Diderot que Marin accuse d'avoir publié furtivement les Souvenirs, après avoir promis à M. de Caylus que le manuscrit ne sortiroit pas de ses mains.

2. Voy. la lettre précédente.

mince que l'on fait de M. de Caylus, en le nommant simplement antiquaire, et auteur de quelques écrits badins'.

Pourquoi ne pas dire qu'il fut et mérita d'être membre d'une academie célèbre? pourquoi ne pas faire mention de son recueil, en plusieurs volumes in-quarto d'antiquités égyptiennes, 'étrusques, grecques, et romaines; et de beaucoup d'autres ouvrages? Ici se réveillent des souvenirs.

M. de Caylus étoit l'homme le plus modeste et le moins attaché aux vanités de ce monde: ayant hérité de son oncle le duc de Caylus, mort en Espagne, il refusa la grandesse qui lui revenoit par succession, et dont son héritier profita. Il ne rendoit à ses pareils que des visites de circonstance, et ne composoit sa société que de savans, de littérateurs, et surtout d'artistes célèbres ou capables de le devenir; il aimoit, protégeoit les arts; et les cultiva lui-même avec quelque succès.

Avec une fortune très-honnête, il ne dépensoit presque rien pour lui-même : il n'employoit ses revenus qu'au progrès des arts et au secours des artistes indigens. I recherchoit les jeunes gens qui avoient des dispositions, et leur don

4. C'étoit une notice sur madame de Caylus, et non pas sur son fils. Renouard.

noit des conseils et des secours lorsqu'ils étoient sans fortune. C'étoient autant de pensionnaires à qui il distribuoit ses bienfaits le premier de chaque mois, à proportion de leurs besoins, jusqu'à ce qu'ils fussent en état d'acquérir par euxmêmes de la gloire et du profit.

Un jour, se promenant à pied, il trouva sur le quai deux têtes de femme ébauchées, les exanina, les acheta, demanda le nom et l'adresse de l'auteur, et me donna rendez-vous pour le lendemain, dix heures du matin. A cette heure nous montâmes dans son modeste carrosse, qu'il appeloit son fiacre, parce qu'en effet il le prêtoit à tous ses amis et ne s'en servoit que lorsque personne ne le lui avoit demandé. Arrivés à l'entrée de la rue aux Ours, qu'on nous avoit désignée, nous cherchâmes à pied l'homme qu'il desiroit connoître; nous le trouvâmes dans un cinquième étage il venoit d'esquisser rapidement la tête d'une jeune ravaudeuse, à qui il avoit promis vingt-quatre sous pour sa complaisance. M. de Caylus donna un petit écu à cette fille, et lorsqu'elle fut sortie, il interrogea le jeune peintre sur son état, sur ses ressources, sur ses besoins après lui avoir conseillé de soigner davantage ses ouvrages, et lui avoir predit qu'il acquerroit un jour de la célébrité par son talent (prédiction qui s'est accomplie), il lui donna son adresse, l'engagea à venir lui

montrer ses tableaux, et le pria de permettre qu'il le mît au nombre de ses pensionnaires jusqu'à ce qu'il pût se passer de secours.

En revenant nous trouvâmes au milieu de la rue un homme qui peignoit une figure de capucin, pour une enseigne de saint François ; M. de Caylus s'arrêta pour le voir opérer. Ce peintre descendoit de temps en temps de son échelle, et venoit examiner son travail de l'autre côté de la rue où étoit M. de Caylus, qui chaque fois lui faisoit des observations. Comme jamais personne ne fut plus modestement vêtu que lui, le peintre le prit pour un ouvrier de son espèce, et, impatienté à la fin de ses leçons, il lui remit les pinceaux et la palette, en lui disant : «Eh bien! voyons si tu t'en tireras << mieux que moi. » M. de Caylus monte en effet sur l'échelle, et en descend après avoir tracé les principaux traits, et avoir dit à l'homme comment il devoit achever le reste. Enchanté de son ouvrage, ce peintre le presse par reconnoissance d'accepter une bouteille de vin, et nous suit jusqu'au bout de la rue où étoit un cabaret: là le carrosse avance, on ouvre la portière ; le peintre confus balbutie quelques mots d'excuse, et M. de Caylus, lui serrant la main, lui dit « Adieu, mon camarade; je suis pressé « aujourd'hui; mais une autre fois nous boirons « ensemble. »

«

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