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plaisir de voir à tous les instans humilier sa rivale, que la délicatesse de sa passion ne la portoit à la crainte de ses charmes. Quoi qu'il en soit, c'est un fait certain. Mais un jour, fàchée contre le Roi pour quelque autre sujet (ce qui lui arrivoit souvent), elle se plaignit de cette communauté avec une amertume qu'elle ne sentoit pas : elle y trouvoit, disoit-elle, peu de délicatesse de la part du Roi. Ce prince, pour l'apaiser, répondit avec beaucoup de douceur et de tendresse, et finit par lui dire que cet établissement s'étoit fait insensiblement. Insensiblement pour vous, reprit madame de Montespan, mais très-sensiblement pour

moi.

Le personnage singulier de madame de La Vallière pendant plus de deux ans mérite de n'être pas oublié. Tout le monde l'a su, tout le monde en a parlé; mais, comme il pourroit être du nombre de ces choses qui ne s'écrivent point et qu'on oublie, je veux en faire un article dans mes Souvenirs.

Madame de La Vallière étoit née tendre et vertueuse : elle aima le Roi et non la royauté. Le roi cessa de l'aimer pour madame de Montespan. Si, à la première vue, ou du moins après des preuves certaines de cette nouvelle passion, elle s'étoit jetée dans les Carmélites, ce mouvement auroit été naturel et conforme à son caractère : elle prit un autre parti, et demeura non-seulement à la cour, mais même à la suite de sa rivale. Madame de Montespan, abusant de ses avantages, affectoit de se faire servir par elle, donnoit des louanges à son adresse, et assuroit qu'elle ne pouvoit être contente de son ajustement si elle n'y mettoit la dernière main. Madame de La Vallière s'y portoit, de son côté, avec tout le zèle d'une femme de chambre dont la fortune dépendroit des agrémens qu'elle prêteroit à sa maîtresse. Combien de dégoûts, de plaisanteries et de dénigremens n'eut-elle pas à essuyer pendant l'espace de deux ans qu'elle demeura ainsi à la cour, à la fin desquels elle vint

prendre publiquement congé du Roi! Il la vit partir d'un œil sec pour aller aux Carmélites, où elle a vécu d'une manière aussi édifiante que touchante.

Elle disoit souvent à madame de Maintenon, avant de quitter la cour: Quand j'aurai de la peine aux Carmélites, je me souviendrai de ce que ces gens-là m'ont fait souffrir (en parlant du Roi et de madame de Montespan); ce qui marque que sa patience n'étoit pas tant un effet de son insensibilité qu'une épreuve peut-être malentendue et téméraire : je laisse aux dévots à en juger. Il est certain que le style de la dévotion convenoit mieux à son esprit que celui de la cour, puisqu'elle a paru en avoir beaucoup de ce genre. Je l'ai vue dans les dernières années de sa vie, et je l'ai entendue, avec un son de voix qui alloit jusqu'au dire des choses admirables de son état, et du bonheur dont elle jouissoit déjà, malgré l'austérité de sa pénitence.

cœur,

Je me souviens d'avoir ouï raconter que

feu M. l'évêque de Meaux, Bossuet, lui ayant annoncé la mort de M. le comte de Vermandois, son fils, elle avoit, par un mouvement naturel, répandu beaucoup de larmes; mais que, revenant tout à coup à elle, elle dit à ce prélat : C'est trop pleurer la mort d'un fils dont je n'ai pas encore assez pleuré la naissance.

J'ai vu madame de Montespan aux Carmélites, bien des années après, et dans le temps qu'elle-même n'étoit plus à la cour, y venir chercher madame de La Vallière, devenue pour elle une espèce de direc

teur.

Mais mes Souvenirs me rappellent à la cour, où madame de Maintenon jouoit un grand rôle auprès du Roi et auprès de la Reine. Elle avoit été faite dame d'atours de madame la Dauphine de Bavière ; et le Roi avoit acheté pour elle la terre de Maintenon, en 1674 ou 1675, dont il voulut qu'elle prît le nom.

Mais les commencemens de la faveur de

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inadame de Maintenon ont tant de liaison et de rapport à madame de Montespan, que je ne puis parler de l'une sans me souvenir de l'autre. Il est donc nécessaire de dire un mot des commencemens de leur connoissance pour en raconter les suites.

Madame de Maintenon m'a dit souvent qu'elle avoit connu madame de Montespan chez le maréchal d'Albret, et qu'elle n'avoit point alors cette humeur qu'elle a fait paroître depuis; ajoutant que ses sentimens étoient honnêtes, sa conduite réglée, et sa réputation bien établie.

Elle devint peu après dame du palais de la reine, par la faveur de Monsieur, et le Roi ne fit alors aucune attention à sa beauté : toute sa faveur se bornoit à sa maîtresse qu'elle amusoit à son coucher, qui duroit longtemps, parce que la Reine s'étoit fait une habitude d'attendre toujours le Roi pour se mettre au lit. Cette princesse étoit si vertueuse qu'elle n'imaginoit pas facilement que les autres femmes ne fussent pas aussi

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