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COUR DE CASSATION DE BELGIQUE

Le Projet de loi sur la Réorganisation de la Police rurale

DISCOURS

prononcé par M. TERLINDEN, Procureur général

A L'AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTRÉE

LE 2 OCTOBRE 1911

et dont la Cour a ordonné l'impression

constances

MESSIEURS,

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Lorsqu'il y a quelques semaines la cour sait dans quelles tristes cirje fus brusquement placé devant l'obligation qui m'est un grand honneur, Messieurs-de prendre la parole en cette solennelle audience et devant la nécessité d'entretenir la cour « d'un sujet approprié à la circonstance », je vous dois cette confidence que mon embarras fut extrême et que seule ma bonne fortune m'en tira.

Je feuilletais Fenet (1) lorsque mes yeux s'arrêtèrent sur le discours

(1) FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du code civil : « Quatre jurisconsultes célèbres (Tronchet et Malleville, président et membre du tribunal de cassation; Bigot-Préameneu, commissaire du gouvernement près ce tribunal, et Portalis, membre du conseil des prises) nommés par arrêté du premier consul du 24 thermidor an vIII, aux fins de la codification décrétée le 5 juillet 1790 par

par lequel, le 30 ventôse an XII, le tribun Jaubert rappelait au Corps législatif comment fut fait le code civil.

Quelle est la loi me disais-je

qui, après plus d'un siècle d'application, malgré l'évolution des idées, le changement des mœurs, les exigences d'un état social se transformant avec une rapidité sans exemple, malgré des droits et des besoins nouveaux pourrait lui être comparée ?

L'explication de cette perfection et de cette longévité ne se trouve-t-elle pas dans la circonstance qu'elle fut une loi pratique, faite par des hommes pratiques?

Je me souvins alors qu'il fut un temps où, en Belgique, la magistrature était fréquemment consultée par le gouvernement, lorsque le besoin d'une loi importante se faisait sentir (1) et je formai le dessein, outrecuidant peutêtre, mais assurément sincère et patriotique, de vous dire mon sentiment sur un projet de loi vieux de sept ans, sans cesse retardé et qu'attend, avec une légitime impatience, une partie importante de notre population.

Je veux parler de la loi sur la réorganisation de la police rurale, sujet vaste et complexe et qui, pour être traité complètement, dépasse les limites que me trace votre bienveillante attention.

Je ne sortirai donc pas des grandes lignes, n'examinerai aujourd'hui que les bases mêmes du projet et, après en avoir souligné les illusions, me bornerai à résumer, à larges traits, le système qui, d'après moi, est le seul système pratique.

Si j'avais la chance d'intéresser quelqu'un d'entre vous, il trouverait le développement de ma pensée dans l'impression de ce discours.

Je me rends compte que je vais heurter des idées préconçues et déplaire à certaines gens. Je sens que je donne un vigoureux coup de barre et que je vais être critiqué, comme tous ceux qui osent dire ce qu'ils pensent ou comme le chirurgien qui, pour guérir, découvre une plaie qu'on voudrait bien cacher ou dont le fer fait crier le malade.

Dût-on crier, je dirai ce que je pense. Voilà trente-cinq ans que j'en

l'Assemblée constituante, disait Jaubert, avaient été chargés de rédiger un projet de code. Le gouvernement appelle ensuite toutes les lumières. Des citoyens distingués, les tribunaux d'appel, le tribunal de cassation transmettent leurs observations. La section de législation du conseil d'État réunit tous les éléments; elle en extrait la plus pure substance; elle y ajoute le fruit de ses laborieuses et savantes méditations. >>

(1) C'est ainsi qu'à la demande de la Chambre des représentants sollicitant ses observations sur le projet de loi portant modification au code pénal, la cour de cassation a consacré de nombreuses séances à l'examen et à la discussion du projet. Elle s'est occupée de même, en 1843 et 1844, des modifications à apporter au décret du 24 messidor an XII, et en 1851, d'un projet de loi sur la discipline judiciaire.

ai l'habitude et jusqui'ici je ne m'en suis pas mal trouvé. Je serais, du reste, indigne de la place que j'occupe si je pouvais obéir à d'autres considérations qu'à celles que m'inspirent les droits de la vérité et les nécessités de l'ordre public.

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Le code rural du 7 octobre 1886, qui à en croire Thonissen, son rapporteur s'était donné comme but de « renforcer l'action de la police rurale et d'assurer plus efficacement la répression des délits commis dans les campagnes (1), ne répondit pas aux espérances que l'on avait mises en lui. Aussi, en 1902, le gouvernement, assailli de réclamations de plus en plus générales et de plus en plus fondées, estima-t-il que la mesure était comble et que la situation exigeait une solution (2). Les départements de la justice, de l'intérieur, de l'agriculture, qui jusqu'alors s'étaient rejeté la balle, se mirent d'accord et avec le département de la guerre, par l'arrêté collectif du 10 janvier 1902, instituèrent la Commission de la police rurale, aux fins d'étudier les questions relatives à la réorganisation de la police des campagnes (3).

Cette commission, présidée par M. Beco, alors secrétaire général du département de l'agriculture, était composée de personnalités éminentes et comprenait notamment deux d'entre nous M. Silvercruys, à ce moment directeur à l'administration centrale du ministère de la justice, et M. Servais qui le 1er octobre 1897 - comme avocat général, avait prononcé à l'audience de rentrée de la cour d'appel de Bruxelles un discours très remarqué sur les substituts cantonaux (4).

Elle ne terminait ses travaux que le 20 février 1904.

On peut résumer son rapport, qui est une œuvre considérable, en

(1) Chambre des représentants. Séance du 1er avril 1879, Document no 117. (2) Voy. un aperçu de ces réclamations dans le rapport du vicomte de Beughem à la Société centrale d'agriculture de Belgique (Journal de la Société centrale d'agriculture de Belgique, février 1908, p. 115 et suiv.)

(3) MM. Van den Heuvel, ministre de la justice; de Trooz, ministre de l'intérieur; baron van der Bruggen, ministre de l'agriculture; lieutenant général Hellebaut, ministre de la guerre.

(4) La commission comprenait encore le baron de Kerchove d'Exaerde et M. Pety de Thozée, gouverneurs de la Flandre orientale et de la province de Liége; MM. Bleyfuesz et Kervyn, commissaires d'arrondissement de Verviers et de Bruges-Ostende; MM. Balot et Descamps, juges de paix de Dour et de Schaerbeek; M. Mahiels, directeur général du ministère de l'intérieur; d'autres fonctionnaires de la justice, de l'intérieur et de l'agriculture, des officiers de la gendarmerie et de l'armée. Elle avait comme secrétaire M. Henry, commis-rédacteur au ministère de l'agriculture. Elle publia son rapport, brochure de 193 pages, éditée par Weissenbruch (Bruxelles 1904), pleine de renseignements précieux.

quelques mots il est dangereux de suivre l'opinion de ceux qui demandent « la destitution des autorités locales de leur droit de police et la substitution à leurs agents, soit de la gendarmerie, soit de corps de policiers dépendant du pouvoir central ». « L'attachement du pays aux principes de décentralisation, base de nos institutions communales ", doit faire repousser l'adoption. d'un système devant entraîner « un bouleversement radical dans notre organisation politique (1). Ne bouleversons donc pas les institutions existantes; bornons-nous à les améliorer (2).

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Et c'est ainsi, Messieurs, que malgré l'échec de la loi de 1886, qui, elle aussi, s'était déjà ressentie de craintes et d'hésitations semblables, on aboutit à la plus timide des réformes, si tant est que l'on puisse appeler réforme un système se caractérisant par le désir de réformer le moins possible (3).

En voici les grandes lignes. L'exercice de la police judiciaire reste, dans les campagnes, aux mains des bourgmestres et des gardes champêtres. On ne se dissimule pas que les uns et les autres manquent des qualités requises au strict accomplissement de cette mission, mais on tâchera d'améliorer le recrutement des gardes champêtres, en donnant aux gouverneurs qui les nomment un choix plus étendu; les gardes champêtres auront un traitement plus élevé quoique très minime encore et droit à une pension de retraite; on essaiera de les soustraire à l'arbitraire des autorités communales. Le contrôle des gouverneurs et des autorités judiciaires sera facilité et augmenté, et, c'est vraiment ce qu'il y a de neuf et d'original dans le projet, on créera le brigadier champêtre, nommé et révoqué par le gouverneur, recruté parmi les gardes champêtres de la brigade et chargé d'exercer sur ceux-ci une surveillance active et effective (4).

(1) Rapport de la commission, p. 23.

(2) On trouvera dans le Journal de la Société centrale d'agriculture de Belgique des renseignements sur la manière dont s'exerce la police rurale dans les différents pays de l'Europe: Angleterre et Pays de Galles (décembre 1908, p. 45-48); Écosse et Irlande (p. 48-52); France (p. 52 et 53); Néerlande (janvier 1909, p. 84-87); Italie (p. 87-89); Allemagne, Bavière, Wurtemberg, Bade et Brunswick (juin 1909, p. 252-263).

(3) « On ne peut, disait le vicomte de Beughem, dans son rapport à la Société centrale d'agriculture (Journal, février 1908, p. 123), appeler cela une réorganisation ...; nous l'appellerons un pot-pourri d'améliorations. Ce qui me frappe le plus, ajoutait-il, c'est, d'une part, la sûreté de main avec laquelle la commission met le scalpel dans la plaie, dont elle ne dissimule en rien la gravité et, à côté de cela, le caractère anodin des réformes qu'elle préconise. » Tel est aussi le sentiment de la Fédération des commissaires et commissaires adjoints de police du royaume : « La nouvelle commission n'a rien fait, n'a rien proposé qui puisse réellement apporter une amélioration sérieuse à la situation déplorable du moment.» (Projet de loi, p. 1.)

(4) « L'institution du brigadier champêtre, disait la commission (p. 26), n'a

Pour ceux qui n'aiment pas à brûler les étapes, ce système avait incontestablement de la valeur. Il inspira le projet de loi déposé à la séance de la Chambre des représentants du 10 décembre 1907.

L'Exposé des motifs, en effet, après avoir constaté les voeux déjà anciens de l'opinion publique, « le sentiment général qui réclame, dans les campagnes, plus de sécurité pour les personnes et pour les biens », redoute, comme la commission, « de porter atteinte en matière de police aux prérogatives des administrations locales » et estime... « qu'au lieu de bouleverser, il est préférable d'améliorer » (1).

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Le baron Ch. de Broqueville fut nommé rapporteur de la section centrale. Il est remarquable de constater que dans son rapport, déposé le 14 juillet 1909 (2), l'honorable député, tout en adoptant les diverses propositions du gouvernement et ne s'écartant du projet que par la proposition de confier aux commissaires d'arrondissement la haute main sur la police rurale dans les communes de moins de 5,000 habitants (3), insiste surtout sur l'importance du rôle de la gendarmerie et semble n'attendre le salut que de la multiplicité des brigades nouvelles. Il était, au surplus, d'accord sur ce point avec le sentiment de la commission elle-même, qui, se disant convaincue de l'insuffisance numérique du corps, se plaignait de voir la gendarmerie détournée de la mission qui constitue le but de son institution"> et préconisait le renforcement des brigades existantes, la création de brigades nouvelles et le remaniement des circonscriptions, d'après un plan d'ensemble élaboré par le département de la guerre, avec le concours des autorités administratives et judiciaires (4).

J'aurai à revenir sur ces déclarations caractéristiques, mais avant de rencontrer de plus près les propositions du gouvernement, il me sera permis de vous affirmer que le principe même qui sert de base au projet est des plus contestables et qu'en témoignant de son respect pour la décentralisation, de son amour pour l'autonomie communale, de ses préférences pour le maintien d'un statu quo condamné depuis longtemps par l'école criminaliste belge la plus éminente et par des projets de loi

rien de commun avec l'embrigadement que prévoit le code rural actuel, et dont les effets ont été quasi nuls; n'étant gardes champêtres d'aucune commune, les brigadiers auront à consacrer tout leur temps à la surveillance des hommes de leurs brigades et à l'exercice de la police dans leurs districts. »>

(1) Chambre des représentants. Séance du 10 décembre 1907, Document no 48. (2) Chambre des représentants. Séance du 14 juillet 1909, Document no 212. (3) Cette idée n'était pas neuve, et avait été développée par le vicomte de Beughem de Houthem, commissaire d'arrondissement à Malines, au congrès de la chasse d'Anvers de juin 1907 et à la Société centrale d'agriculture en janvier1908. (4) Rapport de la commission, p. 28 et 29.

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