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En ce qui touche les hypothèques, il y a lieu de faire une distinction entre les hypothèques des incapables et les autres hypothèques. Aux termes de l'article 2 135 les hypothèques du mineur, de l'incapable et de la femme mariée existent indépendamment de toutes inscriptions, ces hypothèques ont donc pu subsister à Madagascar. Il n'en est pas de même, au contraire, des hypothèques judiciaires qui, faute de pouvoir être inscrites, perdront toute efficacité. Il eût été d'ailleurs singulier que les jugements des Tribunaux de Madagascar aient entraîné hypothèques judiciaires sur les immeubles non immatriculés, sans avoir la même conséquence sur les immeubles immatriculés.

Pour les hypothèques conventionnelles, on sait que la seule convention des parties constitue hypothèque, mais qu'en l'absence d'inscription le prêteur ne peut ni opposer son hypothèque aux tiers ni poursuivre contre le débiteur l'expropriation forcée. Une telle hypothèque aurait donc une existence purement théorique puisque, inopposable aux tiers, elle ne serait pas non plus susceptible d'expropriation forcée. La seule ressource qu'aurait un créancier hypothécaire dans ces conditions serait de requérir l'immatriculations de l'immeuble hypothéqué au nom de son débiteur comme propriétaire en ayant soin de faire inscrire son hypothèque par le jugement d'immatriculation. Il faut remarquer en effet que si l'hypothèque n'est pas inscrite par le jugement d'immatriculation elle ne pourra plus être inscrite par la suite.

En effet, le jugement d'immatriculation fait purge de tous les droits réels antérieurs et aucune preuve n'est admissible à l'effet d'établir l'existence d'un droit réel antérieur au jugement d'immatriculation et qui n'y a pas été mentionné.

Telle est la situation de défaveur où le législateur a placé le propriétaire d'immeubles non immatriculés. Certains lui en ont fait un grief, nous estimons au contraire cette législation satisfaisante.

Le législateur impose l'obligation de l'immatriculation à tout Européen qui reçoit un immeuble de l'État ou qui acquiert un immeuble d'un indigène; or, tout Européen propriétaire d'un immeuble le détient, lui ou son auteur, en vertu de l'une de ces deux origines concession de la Colonie ou vente d'un indigène, on peut donc admettre que tout Européen propriétaire d'un immeuble non imma

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triculé est en faute, lui ou son auteur. C'est donc à bon droit, ainsi que nous le disions précédemment, que le législateur voulant établir le nouveau régime a mis dans une situation de défaveur ceux qui ne s'y sont pas soumis.

VII. CONCLUSION.

Tel est le nouveau régime foncier, dérivé de l'Act Torrens, établi à Madagascar par le décret du 16 juillet 1897. Essayons maintenant d'en apprécier la valeur. Il n'est pas douteux selon nous que ce nouveau régime soit infiniment supérieur à notre régime foncier métropolitain.

Toutefois, bien qu'il ait largement profité des précédentes applications qu'on ait faites aux Colonies françaises du système de l'Act Torrens, notamment du régime foncier tunisien, le régime foncier de Madagascar n'est pas sans défauts.

Nous avons signalé quelques-uns de ces défauts au cours de cette analyse, résumons ici nos observations.

Le reproche qui a été fait le plus souvent au décret foncier est l'insuffisance de la publicité qui précède l'immatriculation. Il arrive souvent, d'après certains critiques, que les intéressés et notamment les indigènes ne sont pas prévenus ou ne sont prévenus que trop tard d'une instance en immatriculation qui pourrait leur nuire.

Nous croyons qu'il y a dans ces critiques beaucoup d'exagérations. Il est possible, cependant, qu'il soit arrivé quelquefois que des indigènes n'aient pas fait opposition à des réquisitions d'immatriculation qui les dépossédaient. Mais il est injuste de rendre le décret foncier responsable de cette spoliation.

Il est en effet peu vraisemblable, si toutes les formalités exigées par la loi ont été légalement remplies par les fonctionnaires auxquels elles incombaient, que les intéressés aient ignoré la réquisition d'immatriculation. Si donc ils n'ont pas fait opposition c'est moins par ignorance que par crainte. Nous avons constaté nous-même dans la pratique certaines réquisitions d'immatriculation auxquelles il était inexplicable que des indigènes n'aient pas fait opposition s'ils avaient été informés de leurs droits et laissés

libres de les faire valoir1. Ces faits ne sont nullement imputables au décret, mais seulement à la façon dont il est parfois appliqué. D'ailleurs, dans ces cas, le juge ayant, même en l'absence d'opposition, un pouvoir discrétionnaire, peut rejeter l'immatriculation demandée, ou se rendre sur les lieux et procéder lui-même à une enquête.

Nous estimons naturellement que chaque fois qu'un doute de cet ordre se présente, le juge ne doit pas hésiter à se rendre sur les lieux, quels que soient les frais que son transport puisse entraîner. Un autre reproche adressé au décret foncier nous semble plus exact. L'immatriculation, bien que son prix ait été réduit, est encore une procédure trop coûteuse surtout en ce qui concerne les immeubles de faible valeur et ceux qui sont éloignés des sièges des Tribunaux. Les frais de bornage et de levée de plan pourraient être sensiblement diminués.

Nous avons envers le décret des griefs plus sérieux puisqu'il visent l'esprit même dont il est animé. En matière de réglementation foncière le législateur doit choisir entre deux systèmes : dont l'un protège l'individu contre lui-même et entrave la circulation immobilière, l'immobilité de la propriété foncière dans les mêmes familles étant considéré comme un principe social — et dont l'autre, considérant la circulation des biens meubles ou immeubles comme nécessaire à la prospérité générale, laisse au propriétaire foncier sa pleine indépendance et partant sa pleine responsabilité.

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Les auteurs du décret foncier de 1897 en adoptant ces derniers principes n'ont pu se détacher complètement des traditions du droit français. C'est pourquoi nous avons pu constater parfois des hésitations, des timidités dans l'innovation qui enlèvent à l'œuvre définitive son caractère d'unité.

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1. C'est ainsi que dans une réquisition d'immatriculation faite pour le comple d'une grande exploitation coloniale, un village entier avec ses cultures était compris sur le terrain dont l'immatriculation était demandée. Le procès-verbal de bornage constatait que le représentant de l'administration n'avait pas cru devoir faire un lotissement en faveur des indigènes ». Il était évident que ceux-ci n'avaient pas été informés de leur droit de s'opposer à l'immatriculation. Cette spoliation est d'autant plus redoutable lorsqu'elle se produit que les grandes compagnies concessionnaires de terrains immenses se bornent à prélever un tribut sur les indigènes ainsi dépossédés en droit, mais non en fait. Ceux-ci croient payer un nouvel impôt. C'est l'exploitation de l'indigène substituée à celle de la Colonie.

Toutefois, il serait injuste selon nous d'attribuer à des hésitations de cet ordre le fait que le décret n'a pas rendu immédiatement et pour tous l'immatriculation obligatoire; il est peu probable que sur ce point tous les auteurs du décret n'aient pas été d'accord, mais des raisons budgétaires ont empêché cette réforme.

Le régime hypothécaire, ainsi que nous l'avons vu, n'a pas été à l'abri de ces hésitations. Des discussions s'étaient produites à ce sujet au sein de la commission chargée de rédiger le projet du décret; certains membres de cette commission avaient fait remarquer que la suppression des hypothèques générales et occultes portait une grave atteinte aux mesures de protection que la législation française avait établies au profit des incapables et de la femme mariée 1.

Toutefois sur ce point la logique du système l'emporta et on rejela les hypothèques occultes.

Il n'en fut malheureusement pas de même en matière de privilège et nous avons vu que le décret avait laissé subsister certains privilèges incompatibles cependant avec l'économie du nouveau régime.

L'hypothèque sous seing privé qui est admise à Madagascar par la nouvelle législation est un progrès incontestable. L'obligation de contracter hypothèque par acte authentique était naturelle à une époque où l'engagement hypothécaire était un fait anormal, par lequel un individu engageait un capital acquis par ses ancêtres. C'était d'ordinaire le signe précurseur de la ruine.

Si l'on considère au contraire le contrat hypothécaire comme un acte normal de la vie économique, si surtout l'on admet que celui qui engage ainsi sa propriété est aussi celui qui l'a achetée et l'a mise en valeur - c'est-à-dire qui l'a créée au point de vue économique, on comprend que l'authenticité du contrat hypothécaire est un anachronisme.

Il y a lieu cependant de faire un grave reproche au décret de n'avoir pas exprimé plus formellement son intention de valider les hypothèques sous seing privé. Sur une question aussi importante

1. Procès-verbaux des séances de la Commission foncière instituée par arrêté du 29 juillet 1896, séance du 5 septembre 1896, discours de M. Sourd président de la Cour d'Appel.

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que celle-là, jamais il n'aurait dû être possible à la jurisprudence d'avoir des hésitations.

Toutefois, si notre vœu est que les parties soient dispensées de faire des actes notariés, cette réforme ne doit pas être faite au profit des agents d'affaires, mais au profit des contractants eux-mêmes. Les législations anglaises ont imaginé sur ce point une création très pratique que nous regrettons de ne pas trouver dans le décret foncier. C'est la création des types de contrats immobiliers.

<< Dans le but de faciliter les transactions, des formules imprimées de vente, de mortgage (hypothèque) et autres contrats seront mises à la disposition du public dans les bureaux des titres de propriété 1 ». Au moyen de ces « passe-partout » toute personne pourvue d'une instruction moyenne peut sans peine remplir les formules dans la plupart des cas, sans avoir besoin de recourir aux offices d'un praticien. Il est à souhaiter que, sans s'arrêter aux protestations desdits praticiens, on adopte à Madagascar une mesure aussi pratique.

Au sujet du régime hypothécaire il faut encore reprocher au décret la rapidité insuffisante de son système d'expropriation. Certes c'est un progrès considérable sur les lenteurs voulues de la saisie immobilière de la métropole. C'est encore insuffisant, trop de nullités sont encore possibles, trop de frais aussi sont nécessaires. On a si bien senti ce défaut dans la pratique qu'on a essayé de saisir comme meubles des maisons malgaches, les Tribunaux ont dû s'opposer à cette pratique.

Nous avons noté au cours de cette étude que le Conservateur donnait au public les renseignements qui lui étaient demandés au sujet des immeubles inscrits sur ses registres. Toutefois, aucun texte n'impose au Conservateur cette obligation et ce n'est que par une heureuse interprétation de l'esprit du décret que l'administration accorde ces renseignemets, il y a là sur ce point dans le décret une lacune regrettable que nous avons d'ailleurs déjà signalée.

Parmi les innovations des lois anglaises que nous regrettons pour Madagascar, l'une des plus intéressantes est la possibilité d'endosser l'hypothèque au profit d'un tiers sous réserve toutefois que cet endossement soit transcrit sur les registres fonciers.

1. Projet de réglement immobilier pour la Colonie des « Straits Settlements »

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