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Une voix autorisée 1 a dit récemment comment l'historien est né du poète, et après quelles luttes intérieures. Nous retrouvons dans les Pages Normandes mainte trace de cette inquiétude native, produit du sol, semble dire Sorel. C'est tantôt «le brouillard du Nord que Flaubert a respiré de sa naissance », tantôt « le ciel qui travaille en grisaille », ou encore « la mer avec ses déconcertantes allures, ses surprises, ses infidélités, ses perfidies..., la mer bitumeuse ». Ces images en demi-teinte et en camaïeu ne reflètent-elles pas les tressaillements que causent à ceux qui les portent les grandes œuvres futures » (il le dit de Flaubert), ou les « réveils en sursaut de l'autre âme que chacun porte en soi »> (il le dit de Maupassant); et, n'est-il pas permis de penser à Sorel quand il écrit, après avoir lu la Correspondance où Flaubert exhale ses enthousiasmes, ses émotions et ses doutes : « Combien de jeunes hommes inconnus, aux déceptions muettes... sont restés impuissants... à se délivrer de leurs inquiétudes..., étouffés par le poète qui couvait en eux et qui ne pouvait naître à la vie! »

M. Paul Bourget cherche les raisons de cette inquiétude; il la trouve dans les événements de 1870-71 Sorel les suivait au jour le jour dans les dépêches officielles; la guerre terminée et la paix signée, il voulut s'associer au relèvement moral du pays; il réfréna son imagination qui allait se donner libre carrière et tourna bride pour devenir historien, alors qu'il était parti pour être romancier.

Ses Romans (il fait de ses héros des Normands et l'action se déroule en Normandie) auront été le premier hommage rendu à sa province, comme les Pages Normandes auront marqué pour lui, << au grand exode de l'été, le moment du retour au port d'attache, le moment d'atterrir... » La richesse des descriptions et des images, l'analyse des caractères, la progression de l'intrigue et la perfection du style faisaient prévoir des chefs-d'œuvre à la Balzac, que le chef-d'œuvre d'histoire permet de ne pas regretter. Disciple direct de Flaubert, Sorel eût été le frère aîné de Maupassant.

1. Académie Française, séance du 19 décembre 1907: discours de M. Paul Bourget répondant à M. M. Donnay.

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Ces premières œuvres littéraires ont un cadre historique; dans le Docteur Egra, ce sont les années troubles de 1848 et de 1849; la Grande Falaise embrasse toute la Révolution, et pose ainsi comme le premier jalon de l'Europe et la Révolution. Composés avant la guerre, les romans annoncent l'historien, comme les Pages Normandes, écrites dans les dernières années de sa vie, le rappellent lisez le tableau du XVIIe siècle, dans le Discours sur Corneille, synthèse plus magnifique existe-t-elle? Un autre lien marquera encore l'unité de l'œuvre l'étude constante de l'âme humaine. Entre l'analyse de caractères de ses héros imaginaires, dans les livres de début, et celle de l'« état d'âme » de Corneille, de Flaubert et de Maupassant, pour ne citer que les pages principales de son livre posthume, le philosophe qu'était Albert Sorel ne s'est-il pas révélé dans les biographies si profondément fouillées de Montesquieu et de Madame de Staël; et n'a-t-il pas animé sa galerie de la Révolution et de l'Empire, de portraits, crayonnés à la Saint-Simon, psychologie de l'individu, au milieu des tableaux, brossés à la Michelet, psychologie des foules?

Pour rendre cette foule sensible à nos yeux («< il voudrait faire sentir presque matériellement les choses qu'il reproduit »), il emploiera toujours la même image qui revient souvent dans. l'Europe et la Révolution : la Mer, l'Océan. Il a la hantise de la foule, et de sa houle.

Homme libre, toujours tu chériras la mer...

Les Pages Normandes nous le montrent sans cesse repris par « l'attrait enveloppant de ce grand mystère des eaux qui montent... par l'océan qui envahit la terre ». Lisez les Notes et Souvenirs, les Paysages; à toutes les pages, c'est la Normandie maritime qui fournit à Sorel ses plus belles images; c'est aussi celle-là qui lui est la plus chère et pour laquelle il continue à revendiquer les aieux, « les chevaliers errants de la mer en qui bouillonne le sang des corsaires..., Guillaume le Conquérant, Robert Guiscard..., les compagnons de Tancrède et de Simon de Montfort... »; Champlain qui

1. La Grande Falaise et le Docteur Egra furent écrits en 1868 et 1869; ils ne parurent en librairie qu'en 1872 et 1873.

s'embarque à Honfleur pour conquérir le Canada; Eugène Boudin, le peintre d'«< Amphytrite Normande »; le droit de cité ne peut être refusé à l'auteur des Trophées, enfant de Normandie par attaches maternelles et dont l'aïeul, Conquistador, eut l'âme d'un Wiking! Tous les génies..., toutes les gloires...! Peut-être même jalouse-t-il secrètement la géographie qui veut que le « Grand-Bé » soit battu par la mer bretonne, et que la Corse ne flotte pas aux bouches de la Seine! Quelle joie Sorel ne dut-il pas ressentir le jour où, scrutant une carte de cette Nouvelle-France, fondée par des marins, partis de «< chez lui », il s'aperçut que là-bas, une ville, à quelques lieues de Québec, portait son nom...!

« La Normandie, je ne la prends pas, c'est elle qui m'a pris. » Il la prend quand même et y rattache tous ceux qui l'ont glorifiée, habitée ou traversée. Guizot a été député du Calvados; il est un Normand d'élection; et aussi Puvis de Chavannes : « son Pauvre Pêcheur est de chez nous », et Sauvage, qui « essaya dans nos bassins la première hélice ». Il ne louera jamais assez Ruskin d'avoir écrit : «...il y a eu, en somme, trois centres de la jeunesse de ma vie Rouen, Genève et Pise... » Rouen! « Que je lui sais gré d'avoir transplanté dans notre France de l'ouest l'insigne du pèlerinage de beauté... »; dans la Normandie, (( chef-d'œuvre de

paysage », la cathédrale, «< chef-d'œuvre de pierre »>!

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Sorel s'empresse d'ajouter « Nous ne réclamons que la part d'héritage de là petite patrie... ; nous l'aimons tous à notre façon; mais nous n'avons qu'une façon d'aimer la grande ». Ainsi, pour Corneille, par exemple; si l'on s'apprête à fêter le troisième centenaire de sa naissance, ce doit être pour nous « l'occasion de rappeler la France à soi-même, en son plus glorieux passé ». « La petite patrie, c'est le beau point de vue d'où nous apprenons à nos enfants à regarder la France. » Prenez les Pages Normandes; ce leit motiv du patriotisme le plus fervent, harmonisant dans une superbe unité la vie et l'œuvre d'Albert Sorel, fait vibrer sous vos yeux les feuillets de son livre d'Outre-Tombe.

MAURICE ESCOFFIER.

CHRONIQUE DES QUESTIONS INDUSTRIELLES

(1907)

Les paquebots géants modernes et leurs conditions de réalisation comme de fonctionnement. La vitesse atteinte et la comparaison avec le passé; le prix de cette vitesse et le coût des grands transatlantiques. Les perfectionnements apportés à la coque des navires et les aciers nouveaux. L'augmentation de puissance des machines et son peu d'importance relative par rapport aux résultats assurés : la faible consommation des engins modernes, les progrès accomplis. L'exploi tation économique des bateaux les plus coûteux, et le bon rendement pécuniaire des récents Cunarders. — La question de la force motrice au point de vue général, et les dilapidations de combustible dans la machine à vapeur la plus perfectionnée; le rendement pratique et le rendement théorique d'un kilo de charbon. Les améliorations diverses poursuivies en vue d'une économie de combustible; chaudières tubulaires, alimentation automatique, tirage artificiel, surchauffe, etc. Le moteur à gaz et le gaz pauvre; rendement bien supérieur avec facilité de conduite. Les moteurs à gaz de grande puissance. économie nouvelle en métallurgie par utilisation d'un sous-produit: les gaz perdus des hauts-fourneaux et des fours à coke; leur emploi direct pour la production de la force. Un combustible qui ne coûte rien. L'allègement des moteurs automobiles; les machines extralégères appliquées aux ballons et aux aéroplanes. - Les nouveaux métaux, succédanés du cuivre, du zinc et de l'étain; l'utilisation réelle de l'aluminium principalement sous forme d'alliages et les services qu'ils rendent.

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Une

Dans une chronique antérieure, nous avons eu l'occasion de montrer la supériorité de la turbine à vapeur sur la machine classique à pistons, et nous avions laissé entendre les services rares qu'elle était susceptible de rendre en matière de navigation; aujourd'hui la démonstration de ses avantages est faite, et sur des proportions gigantesques, qui avaient fait craindre un échec, gigantesque luimême, par ceux qui n'avaient pas confiance dans cet engin méca

nique. Les deux plus grands transatlantiques que le monde possède à l'heure actuelle ont été dotés de ce mécanisme propulseur, qui a donné tout ce qu'on pouvait attendre. Mais si, sans la turbine, la réalisation du Lusitania et du Mauretania étaient impossibles, par suite de l'impossibilité même où l'on aurait été de loger, dans une coque pourtant de près de 240 mètres de long, des machines alternatives encombrantes donnant la puissance de 68.000 chevaux nécessaire pour atteindre la vitesse désirée; il faut bien reconnaître aussi que cet admirable résultat est dû également à d'autres progrès industriels et techniques: bon rendement des chaudières, résistance exceptionnelle du métal formant la coque et lui assurant légèreté en même temps que rigidité. C'est donc bien le moins que l'on considère dans leur ensemble des navires comme les deux paquebots gigantesques de la Cie Cunard, afin de se rendre compte de la façon dont ils sont établis, dont ils effectuent ces traversées à toute vitesse qui sont leur raison d'être. Et comme, en matière industrielle, le prix de revient est ce qu'il faut considérer avant tout; que, en particulier pour les Cunarders, il serait absolument irrationnel de vanter de semblables instruments de transport s'ils ne devaient pas «< rapporter », fonctionner avec bénéfices, s'ils étaient réellement obligés de compter sur le versement de subventions de la part du pays désireux de voir flotter son pavillon sur les transatlantiques les plus rapides du monde; nous rechercherons ce qu'il en est du fonctionnement économique des bateaux modernes à très grande vitesse.

Au moment où le Lusitania a fait ses premières traversées, cerlaines personnes avaient commencé de se réjouir, en constatant qu'il s'était tenu à 23 nœuds d'allure: elles y voyaient la preuve manifeste de l'infériorité de la turbine sur la machine alternative; mais leur triomphe a été de peu de durée. Volontairement, et pour mettre au point les machines, les armateurs n'avaient fait d'abord donner celles-ci que pour les 3/4 environ de leur puissance; et peu à peu, on a vu la vitesse moyenne augmenter, jusqu'au jour où la traversée s'est faite en quatre jours et douze heures, et où l'on a atteint et dépassé cette vitesse de 25 noeuds pour laquelle avaient été étudiés navire et machines. Pour se rendre compte de ce que représentent cette vitesse et cette durée de traversée, il faut jeter rapidement un coup d'œil en arrière se rappeler par exemple que, en 1856, le Persia avait excité l'étonnement dans les milieux maritimes en traversant l'Atlantique en neuf jours une heure, ce qui constituait en effet un progrès surprenant par rapport aux quatorze jours du Bri

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