Sivut kuvina
PDF
ePub

philosophes et les critiques excitaient et appelaient à l'insurrection; les historiens et les érudits étaient conspirateurs; les poètes se sacrifiaient dans les batailles. L'Italie à elle seule se suffisait à faire un grand poème... à l'étonnement de l'Europe qui jusque-là l'avait prise pour une compagnie de chanteurs, pour un peuple de morts 1... >>

1

Ces tendances allaient se préciser. En 1842, paraissait il Primato italiano de Gioberti, qui conseillait une confédération de tous les princes italiens sous la présidence du pape; l'année suivante, les Speranze d'Italia de Balbo, qui voulait rejeter l'Autriche vers l'Orient, et faire du Piémont agrandi le nœud d'une alliance entre tous les peuples de la Péninsule. Arrivés en leur temps, ces ouvrages eurent une énorme répercussion, une influence pour l'avenir de l'Italie, peut-être égale à celle qu'avaient eue en France, à d'autres époques, le Contrat social ou le Génie du Christianisme. Mais pas plus pour Gioberti que pour Balbo, il ne s'agissait encore de faire l'unité. Le seul qui y pensa alors, c'était Mazzini, par la Révolution, par la République « une et indivisible 2 ».

[ocr errors]
[ocr errors]

Les idées de Gioberti, de Balbo, de Mazzini devaient se trouver en présence en 1848-1849. Pie IX acclamé comme un libérateur, la cocarde blanche et jaune du pape épinglée au drapeau tricolore d'Italie, l'armée romaine combattant en Lombardie, au cri, nouvelle croisade, de « Dieu le veut 3 ». Le Piémont prenant la tête du mouvement... les victoires, Goïto, Pastrengo... la défaite, Novare,... la débâcle, Custozza. La Révolution un instant maîtresse,... la République proclamée à Florence, à Venise,... à Rome.

[ocr errors]

Effrayé d'une guerre avec une puissance catholique, inquiet des progrès de la Révolution, Pie IX avait rappelé ses troupes : c'était la fin du rêve de Gioberti. Qu'apporterait l'avenir? La Fédération par le Piémont, ou l'Unité par la République?

1. Carducci, del Rinnovamento litterario in Italia.

2. « Les unitaires étaient bien peu nombreux. C'étaient des bourgeois, des militaires, des littérateurs, qui, par habitude d'esprit, dédaignaient la plebe, cette plèbe sans laquelle les révolutions sont impossibles, et qui alors, en Italie, n'avait ni l'idée, ni la volonté, ni le besoin d'une révolution. Qui inocula la fièvre de la Révolution à la plèbe d'Italie ? Qui la fit bondir et s'élancer vers l'Unité ?.. Giuseppe Mazzini ». Carducci, Etude sur Alessandro Manzoni. La première année du pontificat de Pie IX parut donner raison aux théories de Gioberti, et toute la péninsule, d'un bout à l'autre, acclama d'un seul

3. "

Dans le milieu où grandissait Carducci on tenait pour Mazzini. On était révolutionnaire et républicain, « parce qu'on était unitaire, parce qu'on voulait faire de la patrie une nation. Et comme les princes ne pouvaient pas, comme le pape ni ne pouvait, ni ne voulait, on se rejetait sur le peuple ».

Telles furent, bien entendu, les idées de Caducci, dès qu'il put écrire — « que la plèbe, point d'appui nécessaire, apprenne qu'il y a une patrie! » — ni gibelin, ni guelfe, comme on disait encore, mais purement italien; pour l'Unité contre la Fédération, c'est-àdire, pour la Révolution et la République contre le Piémont et la Maison de Savoie.

Curieux destin que celui de la Maison de Savoie et combien elle 3! paraissait peu préparée à faire l'unité ! « Portière des Alpes », comme on disait d'elle, fixée dans les hautes vallées du Pô, du Rhône, de l'Isère, elle hésita, des siècles, entre ces trois directions, toujours prête à aller de la France à l'Autriche « pour gagner »>, toujours disposée à troquer quelqu'un de ses territoires, fût-il italien, pour s'enrichir à l'échange. Définitivement barrée du côté du Dauphiné, de la Bresse, du pays de Gex, depuis longtemps déjà, elle avait jeté son dévolu sur le Milanais et la Lombardie. Dynastie alpestre, mi-suisse, mi-savoyarde, italienne si peu, elle ne cherchait que son agrandissement. << S'il me fût jamais venu à l'esprit, que le Piémont n'était pas distinct de la France et de l'Italie, Sa Majesté m'aurait remercié comme un fou *. » 1726 et date de Victor-Amédée II. << Jusqu'à la fin de 1815, le Piémont se considérait comme ne faisant pas partie de l'Italie. - Cela est plus récent, et combien de temps encore, cela sera-t-il vrai!

La phrase est de

[ocr errors]

et immense cri l'auteur du Primato, Gioberti, pour le premier philosophe et le plus grand penseur de la nation. Carducci, Etude sur Goffredo Mameli.

1. Mazzini, République et Royauté (1848).

2. Poesia (1896).

3. « L'idée à Mazzini (et de cette idée Carducci fut un des apòtres les plus violents), la décision à Garibaldi, les avantages à la Maison de Savoie, le bénéfice final à l'Italie. Voilà en quelques mots l'histoire de l'Unité ». Tivaroni, L'Italia degli italiani (Roux. Turin).

4. Fiorentini di Lucca (1726).

5. Emmanuele di Villamarina, Notes autobiographiques.

-

C'était bien l'avis de Mazzini, des Républicains, des Révolutionnaires, des Unitaires, de ceux qui entouraient Carducci, jeune encore, quand ils virent le Piémont s'imposer en 1848... De quel droit? - « Ce n'était qu'une guerre de conquête, ce n'était que la guerre d'une faction». Et de fait, dès le début des hostilités, il y eut deux partis, « l'un, celui de l'aristocratie, qui voulait unir la Lombardie au Piémont, l'autre, celui de la classe moyenne, des négociants, des hommes de lettres, de la jeunesse, qui était partisan de la République 2. » — « Le roi possible d'une Italie monarchique n'existait ni au delà, ni en deçà des Alpes. On inarchait à la République 3. »

Et si la Maison de Savoie ne marchande pas sa reconnaissance à des hommes comme Mazzini, comme Garibaldi,... comme Carducci, qui ont été si souvent ses adversaires, n'est-ce pas, et elle s'en rend compte, et elle leur en sait gré, qu'ils l'ont poussée et comme forcée, ne fût-ce que par crainte de la République, à faire l'Unité... ce qui alors paraissait, ce qui longtemps encore devait paraître, une utopie plus encore, une folie.

Le soir même de Novare, Charles-Albert abdiquait. Que serait, que ferait son fils Victor-Emmanuel?

5

L'Unité ne pouvait se faire

que « par un homme ou un principe ». Serait-il l'homme?

En tous cas, dès 1859, l'Union était faite sur son nom. Sans doute, le parti révolutionnaire, dont était Carducci, regrettait son appel à Napoléon III. C'était risquer de substituer l'influence de la France à celle de l'Autriche, ou, si l'on voulait être libre, d'avoir à donner des compensations,... la Savoie... Nice peut-être... Mieux aurait valu tenter à nouveau seul le sort, une fois de plus « fare da se ». Aux premiers succès, toute opposition avait cessé. « Italie et VictorEmmanuel » était devenu le cri d'unanime ralliement. Carducci était des premiers à s'y rallier:

1. Proudhon.

2. Robert Campbell à Palmerston (30 mars 1848).

3. Metternich (2 août 1847).

4. Le comte de Cavour, qui considérait encore l'Unité comme une utopie, aurait vu volontiers la candidature du prince Murat à Naples. En 1856, il chargeait Villamarina de dire : « Nous sommes pour Murat, si la France le désire.... Tivaroni (loc. cit). Il Muratismo.

5. Mazzini, République et Royauté (1848).

Gloire à toi.

Et sur les barbares lève
L'épée, Victor-Emmanuel.

Et sur toutes nos rives,

De la mer Adriatique
Aux tours de Peschiera,

La victoire va éclater.

Lève-toi et en toi, roi,

Résume le destin de l'Italie.

Avec nos armes et nos cœurs

Nous nous pressons autour de toi.

Dieu te protège, notre amour et notre joic.
Blanche croix de Savoie,

Dieu te protège et sauve le roi 1!

Charles-Albert n'est plus le roi félon de 1821, de 1833, le roi traître de Novare; c'est le roi magnanime, le roi victime, le roi martyr, le roi mort, en exil volontaire, de chagrin et de désespoir :

Que font dans la vallée du Pô, les épées de l'étranger,

Les épées qui poussèrent Charles-Albert

A l'exil et à une mort inconsolée ?

Entre oppresseurs et opprimés de paix jamais!

Mais guerre, guerre, guerre!

Aux armes, que la terre frémisse !

Aux armes, vieillards, femmes, enfants débiles !
Armes, sortez des temples, des maisons!

Armes, sortez des tombeaux mêmes!

La guerre!... Napoléon III allait brusquement l'interrompre après Solférino, et, sans même prévenir Victor-Emmanuel, signer les préliminaires de Villafranca. L'Italie gagnait la Lombardie. La France allait gagner Nice et la Savoie.

Si l'on avait proposé le 24 juillet 1859 le problème suivant : aller en Italie avec 200,000 hommes, dépenser un demi-milliard, gagner quatre batailles, restituer aux Italiens l'une de leurs plus belles provinces et revenir maudit par eux, on aurait déclaré le

1. Juvenilia, XCIII. Alla croce di Savoia.

problème insoluble. Eh bien, il ne l'était pas, le fait l'a prouvė 1. » Déjà en 1852, le Prati avait adjuré l'empereur de faire l'Unité.

Belle s'ouvre la destinée devant toi!

Il peut triompher le sang dont tu es né.
Mais malheur à toi, si tu manques à l'œuvre
Pour laquelle Dieu t'a marqué.

Ou Infâme ou Grand!

En silence le monde regarde et attend.

<«< Ou Infàme ou Grand! » C'était parler en poète. Les politiques dirent plus simplement « Conservons les avantages que nous a donnés la France; au besoin, laissons-lui ce qu'elle nous demande. Mais, à partir d'aujourd'hui, il est bien entendu que nous sommes quittes et déliés de toute reconnaissance. >>

« Nous allons voir ce que vous saurez faire seul », aurait dit Napoléon III en quittant Victor-Emmanuel, et l'on cite cet autre mot de Cavour: « Ils me forceront à passer le restant de mes jours à conspirer. Je prendrai, s'il le faut, Saloro della Margherita d'une main, de l'autre Mazzini, et je me ferai révolutionnaire. >>

Révolutionnaire, et Carducci qui représentait la Révolution lui reprocha toujours de ne pas l'avoir tenté, Cavour aurait porté la guerre en Toscane, en Romagne, en Ombrie, dans les Marches; il l'aurait portée en Vénétie, à Rome, à Naples peut-être. Il aurait cherché, et sans délai, à faire l'Unité, par la Révolution. Mieux valait attendre, patienter, et, fidèle à une vieille doctrine, « manger l'artichaut feuille à feuille », conspirer peut-être, ou, plus habilement encore, laisser conspirer. Garibaldi déclarait ne rien comprendre à cette « politique de renard ». Carducci poussait de

l'avant.

[ocr errors]

Lève tes tentes, et accélère la fuite de tes chevaux.

Arrière, sur les terres italiennes l'astre antique resplendit.
Lève tes tentes, étranger, ton règne a cessé.

1. D'Azeglio.

« EdellinenJatka »