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Des vieux et des nouveaux martyrs la voix se confond.
Un seul cri retentit de l'Arno au Pô,

Une seule pensée, une seule âme; toute l'Italie s'enflamme.
Lève tes tentes, étranger. Ton règne a cessé.

Et toi, roi des libérés, roi de l'Italie armée,
Atteins à la gloire suprême réservée aux rois.
Tends la main aux peuples.

De la vengeance la foudre s'allume.

Lève tes tentes, étranger, ton règne est fini1....

Moins d'un an après Villafranca, la Toscane, l'Emilie, Parme, Modène, avaient voté leur annexion au Piémont. L'Europe laissait faire, et le premier parlement italien se réunissait à Turin.

La forte Emilie tendait les bras

A la gentille Toscane.

Legnano et Gavinano

N'étaient plus qu'une seule patrie.

L'ombre des ancêtres ressuscitait

Rayonnante des tombeaux...

Et pas une motte de terre, qui, témoin d'un combat,

Ne rappelât aux barbares,

Qu'avec les temps nouveaux

Était revenu l'âge antique.

Restait Venise, restaient l'Ombrie, les Marches et Rome; restaient Naples et la Sicile. N'était-il pas prudent de s'arrêter? Au surplus, n'avait-on pas plus qu'on aurait pu espérer quelques mois seulement auparavant, et, si l'on n'était pas «< libre jusqu'à l'Adriatique », n'avait-on pas, en revanche, conquis le Centre, le Centre dont il n'avait jamais été question, le Centre, royaume désigné du Prince Jérôme? — «< Laissez-nous nous organiser, disait Cavour, et avoir une forte armée, nous penserons ensuite à Venise, puis au Sud, puis à Rome. » Et Ratazzi renchérissait : « Que serait-ce, si nous avions la Calabre, l'Ombrie, la Sicile sur les bras? C'est le plan des républicains avancés pour créer des embarras au Piémont et s'en débarrasser. >>> Personne d'ailleurs, ne s'était soulevé, ni à Venise, ni à Naples, ni à Rome. Il fallait temporiser, se recueillir, attendre les événements.

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1. Juvenilia, XCVIII. II plebiscito.

Si on avait attendu les événements, on aurait peut-être eu Venise On l'eut depuis, par le seul jeu de la diplomatie, après Custozza, après Lissa. Aurait-on jamais eu Naples? Aurait-on jamais eu Rome?

- Ce fut le rôle des révolutionnaires de précipiter les événements: et, des révolutionnaires, Carducci resta sans cesse l'écho et comme le coryphée. Ils agissaient, lui écrivait; il sonnait la charge, il appelait au combat; il s'apprêtait à faire de ces révolutionnaires autant de héros et de martyrs. Ce fut la force de Victor-Emmanuel, de savoir tour à tour provoquer les événements, les enrayer, les suivre, de savoir s'en servir toujours mais pour cette politique de sousentendus et de réticences, pour la politique, Carducci n'eut jamais que mépris.

Et pourtant, c'est de la somme des efforts et des uns et des autres que devait sortir l'unité. Royalistes et modérés seuls, auraient sans doute aidé à agrandir le Piémont, à en faire, au plus, une bonne puissance de second ordre; ils n'auraient pas suffi à faire l'unité italienne. Révolutionnaires et républicains seuls, auraient peut-être constitué l'Unité anarchique de Mazzini,... à moins qu'ils n'eussent succombé dans les luttes et rivalités de province à province, de ville à ville, de clocher à clocher,... à moins que l'Europe ne fût intervenue pour mettre l'ordre.

Pour aboutir à l'Unité monarchique, la seule possible à l'époque, il fallait avoir l'habileté de laisser faire les révolutionnaires, tout en paraissant les désavouer, « le gouvernement du roi déplore ce qui se passe, il ne peut l'empêcher, il n'y aide pas, il ne peut non plus le combattre1», - l'habileté, plus grande encore, de s'interposer au moment voulu, comme pour rassurer l'Europe, en lui insinuant Puisque l'Unité est impossible à éviter ne vaut-il pas mieux une monarchie, qu'une république révolutionnaire?

Carducci ne consentit jamais à s'attarder à ces questions de convenance, d'opportunité et d'à-propos. Il rompt brusquement avec la monarchie, qui temporise, qui hésite, qui pèse et soupèse les chances, et se range résolument du côté des Révolutionnaires,

1. 5 mai 1860, Dépêche de Cavour.

qui, follement, poussent de l'avant. Aurait-il dit, comme Garibaldi : « Quand même il y aurait danger de perdre ce que nous avons gagné, rien ne nous arrêtera. » C'est peu problable; mais il pensait certainement comme Mazzini : « Les modérés, les royalistes, ne savent rien faire : ils manquent d'audace, d'esprit de sacrifice. » Au demeurant, si les modérés, si les royalistes, sur qui reposait tout le poids des responsabilités, manquaient de foi, c'est que, bien rares étaient, même parmi les révolutionnaires, ceux qui montraient de l'audace et de l'esprit de sacrifice. « Les paysans

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étaient hostiles. Quant aux gens de la classe moyenne, ils faisaient de grandes déclamations, des discours, mais leur enthousiasme s'évaporait en phrases de rhétorique '. Les magnifiques sacrifices... l'instinct du courage national... le pays qui se soulève comme un seul homme... n'étaient que façons de parler 2. fait, en 1859, pour chasser les Autrichiens, les volontaires de Garibaldi avaient été 2,500 suivant les uns, 7,000 suivant les autres... Napoléon avait amené la légion étrangère presque vide avec de simples cadres personne ne s'était présenté pour les remplir... Milan avait fourni 80 volontaires. - En 1860, pour conquérir la Toscane, l'Émilie, Parme, Modène, il y avait au plus 25,000 volontaires, 9,000 dans l'armée régulière, 8,000 dans la Toscane, 3,500 venus des Alpes, quelques milliers des Apennins et des Romagnes 3. Pour envahir Naples et la Sicile : ils allaient être «< Mille ».

Qui aurait dit que tous les campaniles allaient crouler avec un si parfait accord? » Cet étonnement de d'Azeglio exprime bien l'étonnement de tous, de presque tous, et pouvait-on croire, au surplus, que duchés, grands-duchés, royaume, allaient s'effrondrer au premier choc, et ducs, grands-ducs, roi, s'enfuir à la première alerte... Carducci fut de ceux qui ne s'étonnèrent jamais bien plus, qui ne pensait pas comme lui était un lâche.

Un seul cœur, un seul pacte, un seul cri,
Ni étrangers, ni oppresseurs, jamais plus.
En armes, que l'antique rapine

Cède le pas au droit éternel.

1. Taine, Voyage en Italie.

2. Tivaroni (loc. cit.).

3. Nous empruntons ces chiffres à Taine... à Tivaroni.., (loc. cit.)

A. TOME XXIII.

1908.

2

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Telle que parmi ses arides rochers, solitaire, sur la mer,
Gènes se dresse, géant de marbre,

Tel, venu en de sombres jours, sur le siècle

Fluctuant, lui, grand, austère, impassible, apparaît.

De ces rochers, d'où Colomb enfant,

Voyait de nouveaux monts surgir loin dans les mers,
Lui vit, dans le ciel crépusculaire

Avec le cœur de Gracque et la pensée de Dante

La Troisième Italie; et les yeux fixes,
Vers elle marcha à travers un cimetière,
Et un peuple de morts derrière lui se rangea.

Exilé antique, vers le ciel serein et sévère,
Il lève maintenant ce visage qui jamais n'a souri,
Toi seul, pense-t-il, O Idéal, est vrai — 1.

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Lève la tête, ô dolente Venise.

Et toi, de la race italienne la mère,

Rome, reprends le sceptre et l'empire 2.

Venise,... l'Italie devait en 1866 la recevoir «< comme une aumône ». Le mot est de Carducci et note mieux que tout autre quels étaient son état d'esprit et son genre de polémique, à cette époque. << En cette année on nous a inoculé le déshonneur,... nous sommes la risée de toutes les nations.... Être l'Italie, et n'avoir ni une idée, ni une valeur politique, ne rien représenter, ne rien exprimer, être

1. Giambi e epodi, XXIII.

2. Juvenilia, C. Sicilia e la Rivoluzione.

en Europe quelque chose comme le fou dans le jeu de tarots: pire, être un mendiant dont on se moque; être un domestique qui réclame sa mancia quand les autres se lèvent repus de la table des nations1.... >>

-

Rome... on allait l'attendre dix ans.... Pendant ces dix ans, pendant le décennio cette période a mérité d'avoir son nom historique - c'est Aspromonte, c'est la convention de septembre, c'est Mentana. C'est, de plus en plus, le fossé qui se creuse entre les patients et les impatients, entre les conservateurs et les révolutionnaires. C'est la lutte entre deux politiques dont la répercussion dure encore.

Il faut s'organiser, disaient les uns après l'acquisition de Venise, comme ils l'avaient dit après l'annexion du Milanais et du Centre, comme ils l'avaient répété après la conquête de la Sicile et de Naples. Rome sans doute viendra, mais plus tard, et pour couronner l'édifice. En attendant, bâtissons patiemment et pierre à pierre, ne brusquons rien de peur que tout ne s'écroule, et comptons sur le temps, sur l'occasion propice, sur le hasard peut-être.

Sans Rome, disaient les autres, et de ceux-là était Carducci, que nous importent, et Venise, et le Milanais, et le Centre; que nous importent la Sicile et Naples? Bon : s'il s'agissait de créer une puissance de plus en Europe, une puissance quelconque, aux frontières plus ou moins étendues, au budget plus ou moins bien équilibré, aux lois plus ou moins libérales. Mais que serait cela? C'est l'Italie de Rome qu'il nous faut ressusciter, c'est son prestige qu'il nous faut faire revivre, c'est sa tradition qu'il nous faut renouer, tradition de gloire, de domination, de suprématie morale et intellectuelle. ་་ Faisons l'unité matérielle par l'unité morale et donnons l'Italie à Rome et non Rome à l'Italie2. » - Comme pour Gioberti, le Primato était leur dogme, et tout aussi bien que lui,

3

1. Confessions, p. 152.

2. Mazzini.

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ils

3. Gioberti, Il Primato italiano. Le Primato est le dogme de l'Italianité.... Italiens, quelle que soit votre misère, rappelez-vous que vous êtes nés princes et destinés à régner moralement sur le monde ». Partisans de la Fédération sous la présidence du Pape quand il écrivait le Primato (1842), Gioberti devint ensuite partisan de l'Unité par le Piémont et écrivit le Rinnovamento» dont Cavour disait qu'il était le bréviaire de tout Italien. La nouvelle Rome est celle de l'avenir, plus grande et magnifique que celle du passé, étant la somme et l'harmonie de toutes. Née dans le Latium avec la Royauté, devenue italienne

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