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concours de l'Espagne eût été plus empressé et plus effectif, si elle avait simplement suivi l'impulsion de son jeune souverain et si elle n'avait eu à compter avec une partie de l'opinion, exagérément hostile à toute politique d'aventure. Mais, en dépit du pessimisme voulu de la majorité de la presse, il n'est pas douteux que la politique personnelle du roi, c'est-à-dire le désir de jouer un rôle plus actif aux côtés de la France, ait gagné du terrain, à la faveur des événements.

Il suffirait peut-être de relire certains passages du discours de M. Maura, dans la séance du 27 novembre, pour se rendre compte que l'Espagne se désintéresse moins que jamais des affaires marocaines « De la Moulouïa jusqu'au délà de Tanger, a déclaré le président du conseil, jamais l'Espagne ne consentira à ce qu'une nation qui ne soit pas le Maroc pose le pied, et cela coûte que coûte ». Le 2 décembre, au Sénat, le ministre a précisé ses déclarations. Il a distingué nettement entre cette bande de terre « que baigne la Méditerranée, le Détroit et l'embouchure de ce détroit », où l'Espagne a une « situation unique, absolument exceptionnelle, situation heureusement reconnue, respectée et effective », qui est une << partie intégrante de sa propre sûreté, de sa personnalité et de son indépendance nationale», et le reste de l'empire, où elle n'est qu'une nation parmi toutes celles du monde... »

«

«De là, a-t-il ajouté, dérive cette conséquence pratique, que nous, qui ne fûmes à Casablanca qu'avec les 300 substituts de la police indigène non encore constituée, pour ne pas laisser, en attendant sa constitution, inaccomplie la volonté commune des puissances signataires, nous avons à Algésiras un corps d'armée absolument prêt et en mesure de passer en Afrique dans les quarante-huit heures...!

1. Le 16 février dernier, l'Espagne a occupé Mar-Chica. Cette occupation, d'après une note officielle communiquée aux puissances, est basée sur l'inobservation du traité de 1894, qui oblige le makhzen à assurer la sécurité des régions environnant les places espagnoles, la nécessité d'adopter des mesures pour éviter que les tribus ennemies du Rif viennent vider leurs querelles dans les limites des territoires espagnols, et surtout pour mettre fin à la contrebande exercée sur le littoral. Les forces espagnoles, ajoute la note, seront retirées quand le makhzen remplira ses engagements.

A. TOME XXIII. 1908.

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D'autre faits, également curieux à noter, témoignent de l'intérêt, toujours plus grand, que prennent les pouvoirs publics et aussi les particuliers, au sud des Pyrénées, je ne dis pas seulement à ce qui se passe dans l'empire chérifien, mais d'une façon générale aux choses coloniales. En même temps qu'elle se prépare à conquérir, le cas échéant, la partie du Mogreb qui semble devoir lui revenir, en vertu de traités demeurés, secrets, l'Espagne, elle, cherche à étendre son influence économique et morale, sa pénétration pacifique dans le reste de l'Empire, conformément à l'acte d'Algésiras, aussi bien qu'à développer ses « présides » de la côte et ses autres possessions du continent africain. C'est ainsi que, par un singulier contre-coup, l'affaire du Maroc rappelle l'attention de la métropole sur ses colonies africaines, demeurées jusqu'ici dans un complet abandon: Fernando-Po, Annobon, Corisco, Elobey, Rio de Oro et le territoire du Muni, qui coûtent chaque année à l'Espagne une somme de deux millions, sans autre utilité que d'offrir un débouché à ses soldats, à ses religieux et à ses fonctionnaires; les Canaries, livrées aux compétitions des Anglais et des Allemands 1; enfin, les

1. On pourra consulter Ricardo Beltrán y Rózpide, La Guinea Continental Española (Madrid, 1903); Henri Lorin, Les colonies espagnoles du Golfe de Guinée (dans les Questions Diplomatiques et Coloniales, 1 février 1906), et le dernier rapport, assez pessimiste, du commissaire royal D. Diego Saavedra y Magdalena. Le commerce de la Péninsule avec ses colonies africaines est insignifiant, comme on s'en rendra compte par les chiffres suivants, empruntés à la statistique officielle de la Direction générale des douanes pour 1906:

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Pour les Canaries, qui ne sont pas, à vrai dire, considérées officiellement

présides de la côte chérifienne, sur lesquels il convient d'insister. Les troupes qui y tiennent garnison y font moins figure de vainqueurs en territoire soumis, que d'assiégés obligés de se défendre contre les attaques incessantes des tribus qui les menacent de toutes parts. « Quatre siècles d'occupation espagnole n'ont amené ni une détente sérieuse dans l'attitude des Rifains, ni une expansion quelconque de l'influence des conquérants sur les conquis, de l'Europe sur les barbares. Ce sont, au contraire, les Rifains qui s'offrent, quand bon leur semble, le luxe de visiter les possessions espagnoles, d'y vendre leurs produits, mais sans aucune compensation pour ceux-ci, qui ne peuvent s'approcher en aucun cas des groupements indigènes, ni même s'aventurer à quelque distance de leurs limites sans craindre pour leur vie.» Il semblerait, pourtant, que la situation unique de Ceuta dût en faire un lieu de transit fréquenté et un des plus importants marchés de l'Afrique septentrionale; mais son port n'est pas aménagé; les travaux en sont même interrompus depuis plus de six ans. Ceux de Melilla et des Chafarines n'ont pas encore été commencés. Melilla, presque avant de naître, se trouve menacée dans sa prospérité éventuelle par les établissements français, déjà florissants, de Port-Say, du Kiss de Marnia et de Berguent. Le développement possible de Melilla se devine, cependant, à l'augmentation de sa population qui, de 1890 à 1905, a passé de 3,500 à 11,000 âmes, ainsi qu'à l'extension de son commerce qui était de un million et demi, il y a quinze ans, et qui atteint aujourd'hui 12,500,000 piécettes. Les profits, à vrai dire, en vont surtout aux étrangers, et, sans trop d'exagération, on a pu prétendre que Melilla

comme une colonie, mais qui font partie intégrante du royaume d'Espagne, je me permets de renvoyer à mon article publié dans les Questions Diplomatiques du 1 août 1907.

1. Déchaud, Melilla et les Présides, dans le Bulletin de la Société de Géographie Commerciale de Paris (décembre 1907 et janvier 1908).

Les Espagnols occupent Ceuta depuis 1415, Melilla depuis 1496; l'îlot de Balech (aujourd'hui Vulez de la Gomera) fut pris en 1508, et l'ile Hadjerat en Nekour (Alhucemas) en 1073; enfin, plus récemment, en 1847, le drapeau espagnol fut hissé sur le groupe des îles Chafarin (Zaffarines). « Sans aucune relation avec la terre ferme, les Zaffarines, comme Alhucemas, comme le Peñon de Velez de la Gomera, reçoivent tout de l'Espagne, même l'eau potable, car les citernes installées dans ces iles sont insuffisantes à alimenter la population cependant si restreinte de ces tristes lieux de détention. » (Déchaud, loce cit.)

était une place anglaise défendue par des soldats espagnols1. A Ceuta, le total des importations espagnoles n'atteint pas le chiffre d'affaires que réalise la Péninsule avec la minuscule République d'Andorre!

Au Maroc même, il suffit de lire les aveux, au sujet de Tanger, d'un Espagnol, M. Sanchez Ocaña, pour juger de la place insignifiante qu'y occupe la Péninsule. « Ici, écrit-il (à Tanger), tout est français, anglais ou allemand... Si les hébreux venaient à disparaître, on ne verrait plus une seule enseigne espagnole. Il n'existe que deux journaux rédigés en castillan, et encore l'un d'eux est-il publié par un fils d'Albion! Soit manque d'audace de la part de ses capitalistes, soit faute de protection suffisante du gouvernement de Madrid, l'Espagne perd, chaque jour, un peu plus de terrain. Il - pour la plupart originaire faut l'avouer, la population espagnole d'Andalousie établie dans ce port ne constitue pas « le dessus du panier» les rixes sont fréquentes dans le zoco entre Juifs et sujets de Sa Majesté Catholique... Le dimanche, la poste espagnole est fermée; les bateaux qui font le service en trois et six heures. - avec Algésiras et Cadix, ne partent pas. Depuis le samedi midi jusqu'au lundi dix heures c'est-à-dire pendant plus de quarante heures chaque semaine, les relations entre le Maroc et l'Espagne sont interrompues!.. »

Ce tableau, pris sur le vif par un témoin, n'est-il pas caractéristique? Pour plus de précision, on peut consulter les statistiques. Elles ne concordent pas toujours, selon qu'elles sont d'origine mais la même conclusion anglaise, marocaine ou algérienne, s'en dégage, très nette et décisive. Pour un total d'affaires de 118,300,000 francs que représentait, d'après les rapports consu

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place française

1. On pourrait dire. mieux encore, une notre pays qui occupe la tète dans le commerce de ce port:

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1903

1905

1906

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1,606,816 2,081,104

1,642,644

France.
Angleterre...

Espagne.....

Comme on peut en juger par ces chiffres, si Melilla a rapidement prospéré, le mouvement commercial espagnol est resté stationnaire. L'Espagne n'importe guère, en effet, que des articles de consommation ou d'entretien destinés au corps d'occupation et aux forçats. (Déchaud, loco cit.)

2. Dans le journal madrilène ABC, 20 septembre 1907.

laires britanniques, le commerce extérieur du Maroc en 1906, l'Espagne n'arrive qu'au quatrième rang, avec seulement

5,600,000 francs!

D'une année à l'autre, l'augmentation de ce commerce est insensible, et les exportations du Mogreb dépassent des quatre cinquièmes les envois que lui fait la Péninsule1. C'est qu'en effet l'Espagne doit recourir aux Marocains pour combler le déficit de sa production agricole; ce qu'elle leur achète, ce sont des articles de consommation et de première nécessité, tels que légumes secs, fruits, œufs, avoine, maïs, etc., et, en retour, elle ne leur vend guère que des cuirs pour chaussures, des oranges, des huiles et des vins communs, sans parler du Xérès falsifié, dont les fils du Prophète ne font pas, au demeurant, une très large consommation... Encore convient-il de remarquer que, parmi les clients de l'Espagne au Maroc, figurent 6,000 de ses sujets, établis à Tanger et pourtant, elle n'exporte dans ce port, chaque année, que pour 30,000 francs, alors que l'Angleterre, qui n'y compte pas plus de 600 nationaux, dépose sur les quais de Tanger pour plus de quatre millions de marchandises, dont la moitié représente des tissus de coton. Les chiffres fournis par les consuls espagnols à Tétouan, Mazagan, Larache et Rabat ne sont guère plus satisfaisants. Dans le trafic de tous ces ports, sauf le dernier, c'est la Grande-Bretagne qui vient en tête; à Rabat, Casablanca, Safi et Mogador au contraire, le commerce français est prépondérant.

Avec un peu d'exagération, sans doute, nos voisins semblent redouter le développement économique du Maroc, comme s'il devait en résulter une menace directe pour leur marché, destiné à être conquis par ce pays à brève échéance... Cette crainte est, à vrai dire, toute nouvelle. Il a fallu la conférence d'Algésiras pour décider l'Espagne à transporter ailleurs ses établissements pénitentiaires de

1. Commerce européen au Maroc en 1906. (La première colonne fait état des renseignements fournis par le contrôle des douanes marocaines, les agents consulaires français et le service de la douane algérienne. Les chiffres de la seconde colonne proviennent des rapports consulaires anglais).

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