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auraient prouvé que l'Italie, que l'Italie Romaine, devait être la première, non seulement par les armes, mais encore <«< dans les œuvres de la pensée, dans les sciences philosophiques, mathématiques, physiques, la première dans l'érudition, dans l'histoire, dans les belles-lettres, dans les arts... qu'elle devait être comme Ma synthèse et le miroir de l'Europe ».

Trop heureux étaient les premiers d'exister seulement, et de vivre au jour le jour : trop fiers étaient les seconds pour consentir à exister... à moins que ce ne fût pour faire de grandes choses. Et même avec Rome capitale, ces deux tendances ne continuent-elles pas à diviser les partis d'Italie? Parmi ceux dont l'ambition était la plus surex-citée, dont l'amour-propre national était le plus inquiet, dont les rêves de gloire étaient les plus grandioses, devait rester Carducci jusqu'à sa mort; et ce fut sans doute, pour une grande part, ce qui fit sa bruyante renommée. Jusqu'aux plus conservateurs, jusqu'aux plus modérés, jusqu'aux plus terre à terre, se sentaient comme transportés à entendre un si illustre poète leur prédire de si belles destinées.

O Soleil, tu ne pourras jamais éclairer
Plus Grande et plus Belle chose que l'Italie.

.*.

De passage en Italie, Taine écrivait en 1864 : « L'ardeur, la vivacité, sont ici les mêmes qu'en 1790... N'est-il pas curieux, après soixante-dix ans de retrouver des jacobins? Plus je lis les journaux, et plus je cause, plus je trouve la ressemblance frappante. C'est ici la petite édition d'un grand livre... Ils ont la colère toute prête, T'espérance indéfinie... Ils ronflent les phrases du xvir siècle 1. »

De ces jacobins, Carducci va être le poète, dût-il lui aussi, et, combien souvent, ronfler les phrases du XVIIIe siècle! La Révolution française le hante, et, de ces souvenirs, il composera plus tard un « Ça ira» en douze chants, à la gloire de Robespierre, de Danton, de Marat, de Saint-Just, de Camille Desmoulins, de tous les auteurs connus ou

et ultramontaine avec la République et l'Empire, chrétienne avec l'Évangile, cosmopolite avec le pape, elle sera la cité civile et sacrée par excellence. » 1. Taine, Voyage en Italie.

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inconnus, conscients ou inconscients, de la formidable épopée. C'est qu'il aurait voulu une grande guerre, comme celle de 1792, qui aurait entraîné dans le même élan tous ces peuples divers de races, d'aspirations, de sentiments, qui aurait transformé en action cette agitation superficielle, qui aurait appris à tous qu'il y avait une patrie... « Alors! pour que la patrie vive, on mourait! »... c'est qu'il rêvait d'une poussée violente qui... « comme l'ouragan les fleurs des champs »... aurait tout ébranlé sur son passage. Car, alors, du sang,. des ruines, et du chaos, peut-être, aurait enfin surgi un monde nouveau! Bien au contraire, il voyait les choses se passer bourgeoisement, et comme trop facilement à son gré, sans grandes luttes, sans grands soulèvements, sans bouleversements et sanssursauts. Pour quelques-uns qui faisaient la besogne, les autres se contentaient d'applaudir. Sans doute, le gouvernement s'unifiait peu à peu et il unifiait avec lui les impôts, les douanes, et la législation, et la marine, et l'armée. C'est ça qu'il appelait préparer l'Unité et créer une nation!! Quoi!! Y songeait-il même vraiment à l'Italie, et n'était-ce pas plutôt le Piémont qu'il continuait à arrondir? L'Italie.... mais Florence, mais Parme, mais Modène, mais Bologne, mais Naples, s'étaient contentées de voter « leur annexion au Royaume de Sardaigne » et le Parlement siégeait à Turin!... Encore Turin pouvait-il. être considéré comme une capitale d'attente... Bientôt, Florence allait être la capitale officielle... Etait-ce donc qu'on avait définitivement renoncé à Rome?

Dans Florence capitale, Carducci assistait un jour à une pompe en l'honneur de Dante. « Pendant le défilé de ces processions si fières du bruit de leurs bannières, j'ai vu, dit-il, l'attitude des grandes statues, qui, du campanile de Giotto à la place de la Signoria, peuplent de gloire et de beauté le nid de cette démocratie qui illumina le monde. Les faces barbues des apôtres se tenaient muettes de dépit : les madones et les saintes courbaient tristement la tête, comme dans le pressentiment des hontes et des malheurs prochains, et, dans le calme divin de Saint-Georges, je devinais un frémissement de colère. Je ne pus m'empêcher de crier: A bas!»'.

1. Confessions, p. 128.

Jamais Florence ne sera le nid de l'oiseau italien.

Sus aux rebelles et aux parjures à Rome! à Rome! 1

A Rome!... Mais, puisque Victor-Emmanuel et ses ministres hésitaient, puisque, pourtant sourde aux appels des Autrichiens et des Bourbons, l'Europe prêtait maintenant une oreille respectueuse aux anathèmes du pape... à Rome...! on ne pouvait y aller que par la Révolution 2.

<«< Croyez-vous qu'on ira jamais à Rome? A Rome, on n'y va que par la Révolution », écrivait Carducci à l'un de ses amis, et il se faisait · gloire d'avoir, dès 1858, conseillé à Victor-Emmanuel « de jeter sa couronne dans le Pô, de se faire le tribun armé de la Révolution italienne, d'aller à Rome recueillir les voix populaires 3 ».

3

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Et, s'il est vrai qu'il faut aux Révolutionnaires une langue spéciale, faite d'insultes et d'injures, se mêlant aux grands mots et aux apostrophes ronflantes, Carducci saura parler cette langue. « << Via... le dieu-prêtre-roi de la caste hérétique des Sémites!... Via, Jéovah!... nous n'en voulons pas! »; et Rome est « une sentine », le Vatican pire encore... Mais cet anti-cléricalisme de populace ne saurait heureusement lui suffire, et tant de haine accumulée va passer dans son célèbre «< hymne à Satan ».

Vers toi, de l'Être

Principe infini,

Matière et Esprit,

Raison et Sens;

Pendant que dans les coupes

Le vin scintille

Ainsi que l'âme

Dans la pupille;

Pendant que se sourient

La Terre et le Soleil

Et qu'ils échangent

Des paroles d'amour;

1. Levia gravia, XXVI.

2. Mazzini disait aux Romains: Soulevez-vous pour la république.... Le principe royal ne peut ruiner le pape et prendre ses domaines. »

3. Impressions et Souvenirs de Joseph Chiarini (1901).

Pendant que court un frisson

De mystérieux hymen

A travers les monts et que palpite
Féconde la plaine;

Vers toi s'envole

Mon vers hardi.

C'est toi que j'invoque, ò Satan,

Roi du Banquet.

Salut, ô Satan,

O rébellion,

O force vengeresse

De la Raison.

Jusqu'à toi s'élèvent pieusement

Les encens et les vœux!

Tu as vaincu le Jéovah
Des prêtres 1.

Pour lui, Satan, c'est l'esprit de révolte et d'orgueil qui ébranle les dogmes et les lois, qui pénètre dans les domaines de l'intelligence au delà des limites que Dieu a imposées à la nature humaine. A sa suite, il célèbre Wicleff et Huss, Savonarole et Luther, et Galilée, et tous les hérétiques, et tous les sorciers, et tous les révoltés, tous les rebelles, tous les révolutionnaires,... tous les philosophes,... tous les savants. Comme Goethe à son Faust, il ferait dire à son Satan : « Je veux égaler Dieu par la puissance, par la gloire, par la science ». . Comme Richepin à son Antéchrist :

Oui, je suis l'orgueilleux vaincu.

Venez, recommençons ensemble la bataille
De l'orgueil éternel!

Cependant, les événements le rappellent à la réalité... La réalité, c'est toujours la Monarchie, tergiversant, atermoyant, attendant les événements au lieu de les brusquer, comptant sur son habileté, sur sa diplomatie, agissant en sous main, au lieu d'agir au grand jour, par la Révolution

1. A Satana.

Écoutez et voyez.

Voyez, je vous apporte une triste nouvelle.
Oui, notre patrie est lâche.

Peuple d'Italie, ma vie et ma pensée.

O peuple d'Italie, ô vieux Titan qui s'ignore!

En face, je t'ai appelé lâche

Et tu m'as crié « bravo! »

De mes vers funèbres, tu as enguirlandé ta coupe.

Qu'importe, de honte un peu plus, un peu moins, à qui en profite.
Moi, je suis poète et non marchand.

L'Italie est un ghetto ouvert à tous.

Allons, au peuple d'Italie, qui veut donner un coup de pied...

C'est ainsi qu'il fulminait après Aspromonte,... c'est ainsi qu'après Mentana, il se prenait à désespérer « de sa lâche patric, non de la patrie de Dante, de Garibaldi, de Mazzini, non de la patrie des héros et des martyrs, mais de la patrie... de ces gens-là1». Ces

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gens-là » c'était le roi, c'étaient les ministres, c'étaient les modérés. Qu'avait-il, au surplus, à leur reprocher, sinon trop de patience, sinon trop de finesse? Pouvaient-ils déclarer la guerre à Rome malgré l'opposition formelle de l'Empereur? Et l'Empire serait-il donc éternel qu'on ne pût attendre!

A Aspromonte, les volontaires garibaldiens sont arrêtés dans leur marche par l'armée italienne: ils sont battus... « Heu Pudor! »... Garibaldi est blessé. A Mentana... « Meminisce horret! »... c'est l'obscène brigand de France », c'est « l'Impérial Caïn» dont << les chassepots font merveille ».

Et il confond dans la même haine, pape, roi et empereur :

Au héros, au pauvre blessé,

Dans sa prison muette,

Portez, ô vents d'Italie,
Mon premier salut.

1. Confessions, p. 330.

« EdellinenJatka »