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partis surent-ils garder cette entente et comment se reflète leur opinion dans les journaux qu'ils inspiraient, c'est ce qu'il nous faut étudier maintenant.

Cette politique de conciliation, ce fut le National, au début, qui la préconisa surtout.

Membre du Gouvernement Provisoire, et maire de Paris, Armand Marrast ne pouvait garder la lourde tâche qu'était la direction d'un journal. Dès le 6 mars, le National reproduisait une lettre écrite par lui à Duras. «Les soins de tout genre qui m'absorbent en ce moment ne me permettent pas de remplir comme je le voudrais mes fonctions de rédacteur en chef. Je vous prie de me remplacer en cette qualité... Thomas' partage à cet égard mon sentiment. » Ce Duras était un rédacteur du National, introduit au journal par Duclerc : c'était un homme instruit et de bonne compagnie, mais qui n'avait ni la verve, ni l'originalité de Marrast: caractère de second plan, il laissa toute l'autorité morale à l'ancien rédacteur en chef, dont le National continua à refléter fidèlement l'opinion.

Le National n'avait rien d'un journal de spéculation et ses rédacteurs ne visaient pas à faire fortune il avait peu d'abonnés 4,000 à peu près - et la vente au numéro, si fructeuse en 1848 pour certains journaux entreprenants, n'existait pour ainsi dire pas pour lui. Son but unique était de défendre, de propager ses idées politiques s'il y avait des bénéfices, ils allaient à la police secrète organisée par Marrast à la mairie, pour faire pièce à la police officielle de Caussidière.

Dans ces conditions le National ne sacrifiait guère au goût du jour : il ne publiait pas de romans feuilletons signés de noms illustres; ses nouvelles de l'étranger étaient étriquées; ses articles financiers n'étaient que des panégyriques de tels de ses rédacteurs devenus ministres des finances: Garnier-Pagès, Duclerc; ses annonces tenaient peu de place. Le journal lui-même, imprimé sur trois larges colonnes, avait une allure massive, sans élégance ni souplesse.

Tout l'intérêt allait à l'article de fond, à l'article politique mais celui-ci même, rédigé par Duras, visait plus à démontrer abstraitement qu'à convaincre avec vivacité. Le National était un journal

1. Thomas était à ce moment administrateur du National; il devait, du reste, peu après se démettre de ces fonctions et être remplacé par Caylus.

d'avocats, et d'avocats épris d'idées générales on ne croirait guère à le lire que ses rédacteurs aient participé de très près à la gestion des affaires. Leurs articles sont d'une élégance correcte, un peu terne, parfois prudhommesque : « La probité fleurit au sein d'une opinion politique éclairée et vigilante et si déjà, sous les différents gouvernements qui viennent de tomber, l'opinion arrêtait ou punissait tant de méfaits, son influence sera bien plus puissante dans une République, où ni dynastie, ni caste, ni clan ne pourra lui imposer silence1 >>.

L'armée est toujours la « brave » armée. Les représentants du peuple sont tous « dévoués ».

Enfin la polémique y était toujours de bon ton et évitait les questions de personnes; cela ne va pas sans une certaine monotonie: on peut se demander parfois si le National se battait contre des principes purs.

Cette allure dogmatique fut surtout sensible pendant les premières semaines de la République, où le National prit très au sérieux son rôle d'organe semi-officiel. Sans doute, il se défendit d'être gouvernemental à tout prix le 20 avril, un article signé par la Rédaction et la Direction (Ch. Thomas-Duras-Dornès) affirmait : « Le National est dégagé de tout lien et de toute solidarité avec les honorables citoyens qui ont accepté le lourd fardeau des affaires », et Lamartine, dans son Histoire de la deuxième République, parla de « ce journal qui passait à tort pour être l'organe du gouvernement ». Mais d'autre part toute l'opposition reprochait au National sa stérilité vis-à-vis du parti au pouvoir, et Caussidière, dans ses Mémoires, put l'accuser d'avoir été plus « gouvernemental que ne l'avaient jamais été les Débats ». Un article du National du 26 avril laisse entrevoir une vérité moyenne : « Nous avons voulu que l'unité du Gouvernement Provisoire ne fût pas rompue et depuis deux mois nous avons toujours tendu à ce but. Pour le National le Gouvernement Provisoire était une personne indivisible représentant l'unité de la République

et c'est ce qu'il sera pour nous jusqu'au jour où l'Assemblée nationale, légalement investie de l'autorité souveraine, mettra un terme à son pouvoir temporaire et l'absorbera dans son sein. »

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1. National, 27 février.

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Représentant d'une fraction du Gouvernement, le National a donc défendu l'entité qu'était le Gouvernement Provisoire sans pour cela se rallier à la politique de certains de ses membres. De même que Garnier-Pagès, Marie, Arago, Marrast, pour éviter le risque d'une révolution nouvelle prenaient leur part commune de responsabilité de certains actes de Ledru-Rollin ou de Louis Blanc, désapprouvés par eux, de même aux instants critiques, le National, sans approuver, se tut les travaux de la commission du Luxembourg, la création des ateliers nationaux, les circulaires de Ledru-Rollin furent toutes choses qu'il ne mentionna qu'incidemment. Pas plus au 17 mars, qui fut le triomphe de la politique de Ledru-Rollin, qu'au 16 mars, qui marqua sa ruine, le National ne laissa soupçonner les conflits terribles qui surgissaient au sein du gouvernement. Hostile au recul des élections, il en combattit le projet (5 mars-18 mars), mais le présenta comme une nécessité quand les membres avancés du gouvernement l'eurent imposé. Pour lui, la confiance dans le Gouvernement Provisoire fut un dogme, « tout bon citoyen en a le devoir, la sécurité de tous, le salut de tous l'exigent impérieusement » (26 février). Pour mieux sauvegarder cette unité précieuse, la rédaction du National souscrivit même à des professions de foi que Ledru Rollin n'eût pas reniées : « La République française a donc pour obligation d'organiser la société sur des bases toutes nouvelles. Personne ne peut élever d'objection contre une obligation aussi équitable : les classes si longtemps déshéritées ont droit au travail, à l'éducation et à une existence qui n'exclut pas la jouissance des avantages de la civilisation» (26 février). Mais, ces concessions faites, le National n'abandonna rien des principes de liberté et d'ordre qui faisaient la base de ses convictions. Il fut nettement hostile à toute innovation révolutionnaire et n'aborda d'autre part que timidement les théories sociales; la réglementation des salaires, l'organisation du travail, le principe d'association... La présence de Louis Blanc au Gouvernement Provisoire l'obligeait à beaucoup de ménagements. A l'orateur, il ne ménageait pas les éloges. « On chercherait vainement une éloquence plus facile, plus claire, plus limpide. On ne peut l'écouter sans admirer sa parole. Mais si, après avoir joui du plaisir de l'entendre, on réfléchit à ce qu'il dit, on est étonné quelquefois de ne pas partager son opinion » (5 avril). C'est ainsi par des dénégations très cour

toises, ou mieux encore par son silence, que le National savait opposer une fin de non-recevoir aux demandes de réformes immédiates, décisives, faites par les membres avancés du gouvernement. Les rédacteurs du National étaient décidés à ne pas heurter de front les hommes du parti radical. Pour eux il fallait gagner du temps, parvenir sans trop de concessions à l'époque des élections qu'ils comptaient bien pouvoir faire au profit exclusif de leurs idées. De même Marie, ministre des travaux publics, ne pouvant empêcher la création des ateliers nationaux, en avait pris la direction et les avait organisés dans un esprit tout opposé à celui de Louis Blanc. Mais pour que cette politique réussit, il fallait empêcher toute révolution nouvelle qui, rejetant les élections à une date lointaine, aurait rendu leur résultat plus aléatoire. Et, seul, le Gouvernement Provisoire uni pouvait contenir l'esprit révolutionnaire. Ce fut le secret de l'appui constant que le National prêta à sa politique, quelles qu'en fussent les manifestations.

Mais cette attitude n'avait sa raison d'être que jusqu'aux élections qui donneraient à la France une représentation indépendante du peuple de Paris aussi ne fut-ce que jusqu'à la fin d'avril, date des élections, que le journal d'Armand Marrast demeura fidèle au pacte d'alliance. Le 4 mai, à la réunion de l'Assemblée constituante, le National avait repris sa pleine liberté.

La Réforme, pendant ce temps, avait suivi une politique toute différente. Les ruses du National lui étaient restées inconnues. Ses rédacteurs ne craignirent jamais de dire toute leur pensée ils ne redoutèrent pas les phrases qu'on ne peut renier, les professions de foi qui lient. Ils tinrent moins à ménager l'unité du Gouvernement provisoire, lorsqu'ils eurent découvert que cette unité allait à l'encontre de leurs tendances résolues. Ils refusèrent au moment dangereux de rien abdiquer de leurs convictions. Ils furent sincères jusqu'à l'imprudence.

Pas plus que le National, la Réforme n'était un journal de spéculation à la veille de la révolution, sa situation financière était déplorable; elle ne comptait pas 2,000 abonnés. Pour la soutenir, Ledru Rollin avait dépensé une partie de sa fortune et de celle de sa femme, et Caussidière faisait des tournées de quête parmi les républicains de province. Bref, dit Garnier-Pagès, la situation était si déses

pérée que, le 20 février, « Flocon, demandant à un membre du comité de rédaction 300 francs pour payer le timbre du numéro à paraître, lui confiait que toutes les ressources étaient épuisées... que la Réforme abandonnait la partie, qu'elle vivrait seulement jusqu'au mercredi lendemain du banquet, afin de mourir dans un triomphe de la démocratie et qu'il lui restait pour faire face à la dépense des numéros du 22 et du 23, la liquidation du mobilier 1». Le triomphe du 22 février qui mit Ledru-Rollin au ministère de l'intérieur, la suppression du timbre surtout, permirent à la Réforme de subsister mais ses rédacteurs n'y firent pas pour cela fortune. La Réforme acquit une haute importance politique : elle ne devint pas pour cela un journal à fort tirage.

Comme au National, la rédaction en chef changea de titulaire. Flocon céda la place à Ribeyrolles. Ribeyrolles, qui était déjà un des rédacteurs habituels du journal, était un méridional fort jeune, plein d'entrain, éloquent, souvent spirituel et qui savait écrire avec une chaleur, une nervosité qui manquaient à l'honnête, mais un peu lourd Flocon. Certains de ses « mots » firent fortune. C'est lui qui compara plus tard à une « jatte de lait empoisonnée » le rapport de Jules Favre sur la participation de Louis Blanc au 15 mai. Sous sa direction, la Réforme prit un ton enthousiaste, vibrant, très caractérisé. Ses collaborateurs Schoelcher, Pascal Duprat, Étienne Arago, Félix Pyat, George Sand étaient tous convaincus et intransigeants, comme lui.

A de tels esprits la prudence savante des hommes du National ne pouvait que déplaire. Ils furent gouvernementaux d'une tout autre. façon. Il ne faut pas chercher dans les colonnes de la Réforme l'expression de la volonté du Gouvernement Provisoire, mais l'opinion de certains de ses membres, de Louis Blanc, de Flocon, de Ledru-Rollin surtout. Ce journal critiqua parfois les décisions du gouvernement en désaccord avec l'idéal démocratique, aussi durement que n'importe quel journal de l'opposition de gauche. Mais c'est la preuve qu'alors Ledru Rollin avait subi, malgré lui, la volonté de ses collègues. Aussi, ne fit-on jamais à la Réforme le reproche si souvent adressé au National, de servilité vis-à-vis du pouvoir.

1. Garnier-Pagès, op. cit., I, 198.

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