Sivut kuvina
PDF
ePub

l'imprimerie le plus ardent des trois, qu'on aurait désiré au contraire laisser de côté. Ce fut assez longtemps l'explication acceptée mais le témoignage de G. Sand, confirmé par Garnier-Pagès dans son Histoire de la Révolution de 1848, permet de la rejeter: « Le 16 Bulletin, dit G. Sand (lettre à Girerd, déjà citée), est arrivé dans un moment où M. Élias Regnault, chef de cabinet, venait de perdre sa mère. Personne n'a donc lu apparemment le manuscrit avant de l'envoyer à l'imprimerie. Comme, jusqu'à ce fameux Bulletin, il n'y avait pas eu un mot à retoucher à mes articles, ni le ministre, ni le chef du cabinet n'avaient lieu de s'inquiéter extraordinairement de la différence d'opinions qui pouvait exister entre nous. Apparemment M. Jules Favre, secrétaire général, était absent. ou préoccupé par d'autres soins. Il est donc injuste d'imputer au ministre ou à ses fonctionnaires le choix de cet article parmi trois projets rédigés sur le même sujet dans des nuances différentes; je n'ai jamais connu trois manières de dire la même chose et je dois ajouter que le sujet ne m'était pas désigné. ». En effet, d'après les déclarations mêmes d'Elias Regnault, le 14 avril, G. Sand, qui partait pour la campagne, écrivait à celui-ci de passer prendre l'article chez sa concierge où elle le déposait; le même jour le chef de cabinet apprenait la maladie grave de sa mère alors, avant de partir, il courait en hâte chez G. Sand, prenait l'article et, sans même décacheter le pli qui le contenait, le portait à l'imprimerie.

Le lendemain, le Bulletin n° 16 était envoyé dans les 36 000 communes de France. Il y fut plutôt mal accueilli. G. Sand s'en étonna : « Pour un bulletin un peu raide que j'ai fait, écrivait-elle à son fils, il y a un déchaînement incroyable contre moi dans toute la classe bourgeoise. » Mais comment en était-elle venue à faire si peu de cas du suffrage universel et à subordonner à la volonté nationale celle de Paris révolutionnaire? car c'est une idée que G. Sand n'eut qu'à cet instant et que plus tard elle désavoua. Mais, en avril 1848, elle ne paraissait pas s'apercevoir de l'inconséquence qu'il y avait à bâtir un régime nouveau sur le suffrage universel et à en dénier en même temps le caractère obligatoire. C'était du reste là, parmi les républicains de 1848, un état d'esprit général : ils ne paraissent pas s'être rendu pleinement compte de la puissance extraordinaire de l'arme qu'ils venaient de se forger avec un succès si rapide, et c'est

une erreur qu'ils devaient payer très cher. Comme beaucoup de ses amis, G. Sand avait été vraiment grisée par le succès et le 16 Bulletin est l'expression la plus éloquente de cet état d'esprit.

Aussi, un an plus tard, le 14 mars 1849, dans une lettre à Barbès, G. Sand devait-elle écrire « Entre l'idolâtrie hypocrite des réactionnaires pour les institutions-bornes et la licence inquiète des turbulents envers les institutions encore mal affermies, il y a un droit chemin à suivre. C'est le respect pour l'institution qui consacre les germes évidents du progrès, la patience devant les abus de fait et une grande prudence devant les actes révolutionnaires qui peuvent faire, j'en conviens, sauter par-dessus les obstacles, mais qui peuvent aussi nous rejeter bien loin en arrière, et compromettre nos premières conquêtes, comme cela est arrivé. »

Ce qui était tout à fait grave, c'est que le 16 Bulletin venait à une heure où les partis rivaux en étaient presque aux prises. Il parut en effet le jour de la manifestation du 16 avril, alors que la garde nationale parcourait les rues de Paris aux cris de : « A mort Cabet! A mort les communistes! » Du coup, G. Sand fut assimilée aux communistes. Ce fut contre elle le « déchaînement incroyable » dont elle parlait et Ledru-Rollin en subit le contrecoup. Il était déjà sorti très amoindri de la manifestation du 16 avril, et, sans l'intervention de Lamartine, qui joua le rôle d'arbitre, le parti d'Armand Marrast eût peut-être profité de l'occasion pour « épurer» le Gouvernement Provisoire. Dès lors le 16 Bulletin, dont il était responsable, rendit encore plus délicate la situation du ministre de l'intérieur. Dès qu'il eut connaissance des termes employés par G. Sand, il envoya à la poste l'ordre de suspendre l'envoi. Mais les Bulletins étaient déjà partis. Ledru-Rollin n'eut que la ressource de désavouer ces pages trop peu politiques : il ne se priva pas de le faire et G. Sand lui en voulut quelque peu. Mais l'impression restait produite.

Les Bulletins qui suivirent le n° 16 furent beaucoup plus modérés. G. Sand y collabora encore les nos 17 et 19 au moins portent nettement la marque de son style: mais la censure dès lors s'exerçait activement. Le Bulletin du 20 avril (qui ne paraît pas du reste avoir été écrit par G. Sand) alla même jusqu'à condamner en bloc toutes les doctrines socialistes. Mais cette concession ne pouvait

effacer le souvenir de la fougue imprudente des pages dont les ennemis de la République s'étaient fait une arme. Car ce moyen de propagande sur lequel Ledru - Rollin avait tant compté se retournait contre lui. Loin d'avoir attiré à la République les habitants des campagnes, les Bulletins avaient été exploités par les partisans de l'ancien ordre de choses. Les amis du ministre de l'intérieur en allaient faire la douloureuse expérience aux élections du 24 avril.

Ces élections allaient marquer le terme des pouvoirs du Gouvernement Provisoire. Or, durant le dernier mois, l'alliance des deux partis républicains était devenue terriblement précaire. A plusieurs reprises on avait pu redouter une scission. La médiation de Lamartine, quelques concessions de Ledru-Rollin, surtout la volonté bien arrêtée des hommes du National d'atteindre sans encombre l'heure des élections, avaient retardé cette éventualité.

d'où devait sortir l'Assemblée Constituante

Devant les électeurs, les deux partis redevinrent rivaux.

En cette circonstance, le National fit preuve d'une habileté politique qui n'était peut-être pas d'accord avec une scrupuleuse bonne foi. Tant que l'union de tous les républicains avait neutralisé l'action des démocrates, il s'était fait le partisan obstiné de cette union. Il fut au contraire le premier à rompre l'alliance à l'heure où commença la campagne électorale. Cette campagne, du reste, le National la mena avec une maîtrise incontestable. Avec ses armes propres (le ministère de l'intérieur étant au pouvoir de ses adversaires), mais résolument, il lutta pour les siens et pour les siens seuls, glissant dans chaque liste départementale des noms de ses rédacteurs ou de leurs amis, les poussant en avant aux dépens des alliés de la veille, actif, insinuant, âpre au gain des sièges électoraux. Si le Comité central des élections, qui reflétait les opinions du National, consentit à admettre sur sa liste tous les membres du Gouvernement Provisoire, du moins en exclut-il soigneusement les démocrates, amis de la Réforme. Ceux-ci s'en plaignirent fort. Pierre Leroux, dans une lettre à Cabet', conte que, candidat à Limoges, il avait dù abandonner la lutte, parce que Trélat, commis

1. Citée par Vermorel, Les hommes de 1848, p. 188, note.

saire du gouvernement et dévoué au National, l'avait, bien que de ses anciens amis politiques, combattu comme socialiste.

[ocr errors]

Au contraire, découragés par les événements du 16 avril, par l'échec des Bulletins de la République, les rédacteurs de la Réforme firent campagne plus mollement eux aussi mais ce n'était pas un état d'âme qu'ils avaient dissimulé auraient désiré le triomphe unique de leur parti. Ce ne fut pas la liste du Comité central, mais celle du Club des clubs que la Réforme adopta, et cette liste, où se trouvaient les noms de Barbès, Martin-Bernard, Huber, Sobrier, Proudhon, Thoré, n'admettait, parmi les membres du Gouvernement Provisoire, que Ledru-Rollin, Flocon, Louis Blanc et Albert. Mais les hommes de la Réforme, suspectés par la majorité du pays, n'avaient d'autre part pour eux que la sincérité de leurs convictions: tout ce qui était manœuvre de ruse ou simplement de prudence leur était inconnu. Ils sentaient bien qu'ils luttaient à armes inégales.

Les élections du 24 avril donnèrent raison au National : ses candidats passèrent à de fortes majorités. Il fut vite évident qu'ils seraient les maîtres dans l'assemblée nouvelle. Fort de cette constatation, le National se hâta de dénoncer le pacte conclu en février. Dès le 30 avril, avant même la réunion de la Constituante, il déplorait «le choix des commissaires généraux fait avec une précipitation dont il est facile de se rendre compte, mais qui n'en est pas moins à regretter ». En même temps, il avait à cœur de renier toute alliance socialiste «Sans doute, à travers la réserve que nous imposaient les circonstances, nos lecteurs ont dû comprendre que les idées émises par M. Louis Blanc n'étaient pas les nôtres... »

:

Quant à la Réforme, elle avouait sa défaite, mais sur un ton qui laissait prévoir qu'elle allait tout à fait cesser d'être gouvernementale « Hé bien, si l'on veut la République sans les républicains qu'on la fasse donc sans nous; mais, pour Dieu, qu'on la fasse grande et belle, car c'est ainsi que nous la voulons: qu'on la fasse égalitaire et fraternelle,... qu'on la fasse tutélaire et maternelle pour ceux qui souffrent. car c'est ainsi que nous l'avons imaginée... Si l'on veut nous la tailler aristocratique et bourgeoise, étroite et cauteleuse, usurière et rachitique, aux armes! citoyens, car nous sommes trahis! Aux armes ! car ce ne sont pas les noms propres qui sont en

question, mais les principes. Aux armes, car ce sont les idées qui ont vaincu qu'on écrase car ce sont toutes les saintes aspirations de l'humanité qu'on étouffe. » (2 mai.)

Et, en effet, le rôle officiel de la Réforme comme la participation au pouvoir du parti démocratique étaient terminés l'un et l'autre. Dès la réunion de l'Assemblée Constituante, le Gouvernement Provisoire abdiquait devant elle et, dans le nouveau gouvernement, ce fut le National qui eut tout le pouvoir effectif. C'est Dornès, un rédacteur de ce journal, qui fit confier le pouvoir exécutif à un directoire de cinq membres, qui fut la Commission exécutive. Arago, Marie et Garnier-Pagès, qui représentaient l'esprit du National, y formèrent la majorité. Leurs noms passèrent en tête de liste, bien avant ceux de Lamartine et de Ledru-Rollin. Les nouveaux hauts fonctionnaires de la République furent pris dans la rédaction du journal. Le National disposa de quatre ministères et non des moindres, de l'intérieur par Recurt, des finances par Duclerc, des travaux publics par Trélat, des affaires étrangères par Bastide. Clément Thomas fut porté au commandement de la garde nationale et Buchez au fauteuil de la présidence de la Constituante. Cet envahissement systématique isolait du gouvernement Ledru Rollin, qui n'eut plus d'influence. Quant à Armand Marrast, il restait le chef incontesté de son parti: viceprésident de l'Assemblée et maire de Paris, il ne revendiquait pas l'apparence du pouvoir, mais, dominant à son gré les hommes de second plan qu'il avait mis à la tête des affaires, il en avait toute la réalité avec une haute méthode, profitant des circonstances et des fautes de ses adversaires, il allait ruiner la popularité encore gênante de Lamartine, de Ledru-Rollin et de Louis Blanc, jusqu'au jour où l'insurrection de Juin allait permettre à son parti de gouverner à lui seul.

Rien ne peut mieux donner une idée de cet esprit de solidarité qui animait les rédacteurs d'un journal que ce tableau publié le 16 juin par l'«Organisation du Travail », une feuille d'opposition, où l'on faisait le dénombrement de la « dynastie du National ».

Chef Marrast I, rédacteur en chef; lord-maire de Paris, représentant du peuple, vice-président de l'Assemblée Nationale.

Famille Marrast II, avocat, passé procureur général à Paris; - Marrast III, capitaine au 7e régiment de ligne, nommé chef de bataillon au choix par la

« EdellinenJatka »