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Gloire à toi,

Magnanime rebelle !

Que pour ceindre ton front,

Leurs plus beaux lauriers

Soient fauchés dans la forêt d'Aspromonte !....1

Enfermez-vous... barricadez-vous....
Couvrez-vous des plus noirs des voiles !
D'un horrible cauchemar je suis hanté.
J'ai vu le ciel de honte s'obscurcir....

Et des belles collines, où tuaient les fauves étrangers,
J'ai entendu un son de litanie monter lentement, lentement.
Tout un peuple pâle criait: Miserere...! 2

Puis, « devant les traîtres et les lâches qui s'accouplent comme chiens sur les places... » il se prend « à maudire son antique patrie, sur laquelle s'accumulent la honte présente et la vengeance des siècles... Poète solitaire, il veut briser sa lyre sur l'urne des morts. >> Et toujours fuyaient, fuyaient rapides les irrévocables années! Et toujours frémissaient les esclaves, toujours insultaient les tyrans!»> Enfin, l'armée italienne entre à Rome.

cette grande date?

Chut, Chut! Quel est ce tintamarre

Au clair de lune,

Oies du Capitole, chut! Je suis

L'Italie grande et une.

Comment va-t-il fêter

J'arrive de nuit parce que le docteur Lanza
Craint les coups de soleil.

Couâ, couâ, couâ. Que voulez-vous?

Si c'est pour Brennus, pauvres oisons, inutile
Maintenant de monter la garde. Si forte
Je fus et si fine, que je suis entrée,
Juste quand il s'en allait.

1. Levia Gravia, XXII. Dopo Aspromonte. 2. Giambi e Epodi, II, Meminisce Horret.

Oui, oui, je tenais leur sac aux zouaves,

Et je battais des mains

Hier aux Turcos: aujourd'hui, mes bambins graves
S'habillent en uhlans....

Et, d'un pied sur l'autre mes filles

Portent leurs baisers de l'un à l'autre....

Ainsi, d'année en année, et de ministre

En ministre, je me retourne

Du centre droit sur le centre gauche

Et mes fins de mois sont toujours bonnes :

. Jusqu'à ce que Sella, un beau jour, à une fin de mois,
Donne un coup de pied dans la caisse,

Et vende à un lord archéologue anglais

Ma très auguste carcasse1.

C'est qu'il avait compté sur une montée triomphale au Capitole, au milieu des pavois, des illuminations, et de je ne sais quel immense cantique de la multitude: on était entré par la petite porte, comme tout étonné d'une si grande audace et quêtant le pardon du pape. C'est qu'il avait rêvé d'un peuple se levant tout entier, pour mourir, au besoin contre la France, au besoin contre l'Europe; c'est qu'il voulait des holocaustes, et des héros, et des martyrs : on avait mis en déroute quelques gardes-suisses.

« Oh! l'entrée à Rome : le gouvernement italien montant la voie triomphale, comme si c'eût été la Scala santa, agenouillé, la corde au cou, faisant des signes de croix, à droite, à gauche, et demandant grâce. Je ne pouvais, je ne pouvais faire autrement que de crier : chut!... C'était comme si j'avais reçu des coups de pied par derrière 2.... >>

On avait mendié le pardon du pape,... on avait vaincu quelques gardes-suisses,... on avait été piteux,... mais on gardait Rome et l'Unité était faite!

Les Garibaldiens, les Mazziniens, les Révolutionnaires,... tous ceux qui, comme Carducci, étaient honteux d'une si mesquine fin de drame, lui furent reconnaissants de les avoir ainsi vengés. Quant

1. Giambi e Epodi, XXII. Canto dell' Italia che va in campidoglio. 2. Confessioni, p. 153.

aux autres, aux royalistes, aux modérés, comment n'auraient-ils pas pardonné à Carducci? Ils n'avaient pas été héroïques, mais ils avaient été si rusés, et si habiles, et si diplomates! La fin avait justifié les moyens pourquoi lui en auraient-ils voulu d'un désaccord qui, au surplus, n'avait roulé que sur une question de moyens? Bien plus, au fond, ils lui savaient gré d'avoir rêvé de si grandes choses... dans le recul des années, peut-être même, se figuraient-ils les avoir faites!

Carducci!... c'était un poète,... un grand poète,... et qui aimait tant sa patrie!... Eux, ils étaient des politiques!... Mais, quand plus tard vinrent, de leur part, les éloges, les jubilés et les apothéoses, lui, se rappelant le passé, ne souriait qu'à demi! Car, mieux que personne, il savait ce que lui devaient royalistes et modérés, à lui, à Mazzini, à Garibaldi, à tous ces révolutionnaires dont il avait été le poète mieux que personne, il comprenait, qu'habiles encore une fois, c'était pour détourner à leur profit ie courant révolutionnaire, que royalistes et modérés prodiguaient les statues à Mazzini, à Garibaldi, à d'autres, et à lui, en attendant les statues, les éloges, les jubilés et les apothéoses.

1

« J'étais calme dans le travail, et serein dans la critique littéraire. Dans les questions politiques, j'ai voulu et j'ai dû combattre... » Les temps sont révolus, « ce court moment historique a fui ». Que va devenir Carducci? Va-t-il continuer à combattre?

Anticlérical, antipapiste plutôt (il y a là une nuance italienne), Carducci le restera. Au surplus, l'anticléricalisme, l'antipapisme, n'est-il pas en Italie, surtout dans les anciens États de l'Église, surtout à Rome, une forme du nationalisme; et beaucoup qui s'accomderaient du catholicisme, ne se contentent-ils pas de ne pas vouloir du pape-roi ce qui, du reste, n'est pas parfois sans amener des cas de conscience assez bizarres? Certain qui va à la messe, qui fait même ses pâques (ce n'est qu'être catholique), ne ferait pas maigre le vendredi, ne jeûnerait pas au Carême (ce serait être papiste); cela lui rappellerait le temps où la police des papes, où leur pouvoir

1. Confessions, p. 170.

politique fermait les boucheries, les jours d'abstinence. Inutile de dire que de tels cas de conscience n'intéressèrent jamais Carducci.

Pour lui, la papauté n'a été à Rome qu'un long incident, qu'une grande halte; il faut l'oublier et revenir à la Rome antique. Eût-il eu le loisir d'écrire des manuels, il n'eût pas manqué, comme bien d'autres d'ailleurs, de faire remonter l'histoire italienne à Romulus et la littérature italienne à Virgile. Et puisque l'antique Rome était païenne, il voudra, après avoir été un grand poète patriote, devenir un grand poète païen, et, par là encore, rester un grand poète national.

:

Cela lui sera d'autant plus facile de se faire entendre, que la tradition antique est restée vivace en Italie dans le Sud, qui n'a jamais cessé d'être païen d'âme et de pensée; dans les autres provinces encore, qui sont presque toutes demeurées semi-païennes, au moins de souvenirs et de tendances. « Nous sommes naturellement grecs et latins... » disent les Italiens. A Rome même, les croix et les statues des apôtres ont bien pu couronner les colonnes des empereurs, mais ces colonnes sont restées debout, et jusqu'aux papes ont été forcés de transiger avec cette survivance du sentiment païen, en augmentant sans cesse l'importance des pompes, des rites, des cérémonies, des fonctions, à l'usage d'un peuple, toujours porté à substituer l'extérieur à l'intérieur, la figure à l'objet figuré, pour le moins, la dévotion à la piété intime. Le grand reproche fait par les protestants aux catholiques romains, n'était-il pas qu'ils étaient restés des païens? Le plus beau musée païen du monde n'est-il pas au Vatican? - Le plus grand peintre de Rome, Raphaël, n'est-il pas tout près d'être un païen?... « O Italie! tes morts et tes divinités sont encore avec toi!1»

« Je sens la patrie antique frémir dans mon cœur et sur mon front brûlant planer les dieux d'Italie!' » — Dans ses poèmes, Carducci va réveiller « a travers les monts, les collines et les fleuves, les antiques dieux de la patrie; sur les ruines des cités disparues et des peuples éteints, il va faire revivre les origines divines, la valeur et le courage des ancêtres >>; il ranimera« les légendes enseve

3

1. Odes barbares.

2. Id.

3. Carducci, A propos de Virgile.

lies, depuis tant de siècles, dans les cavernes préhistoriques, dans les sépultures étrusques, sous les murs cyclopéens, sous les temples grecs, sous les arcs romains, et réédifiera ainsi la longue histoire des peuples d'Italie1». ... Et voilà que renaissent dans ses vers, Bologne, et Florence, et Pérouse, et Spolète, et Venise, et Brescia, et Ferrare, et Ravenne... Rome surtout.

Couronné de fleurs pourpres

Avril te vit sur la colline émerger

Au sillon de Romulus

Regardant d'un œil grave les plaines sauvages.

Après une longue suite de siècles

Avril t'irradie, sublime, immense,
Et le soleil et l'Italie te saluent
Toi fleur de notre race, ô Rome,

Bien qu'au Capitole ne monte plus
La vierge silencieuse derrière le pontife
Et que sur la voie sacrée le triomphe
N'incline plus les quatre chevaux blancs,

La solitude de ton forum

Surpasse toute renommée et toute gloire,
Et tout ce qui dans le monde est civilisé,
Grand, auguste, est encore romain.

Salut, Rome divine! Incliné sur les ruines
Du Forum, les yeux mouillés de douces larmes,
Je parcours et j'adore tes vestiges épars,

O patrie divine, ô ma sainte mère.

Par toi, je suis citoyen d'Italie,

Par toi je suis poète, ô mère des peuples
Qui donna ton esprit au monde

Et fit participer l'Italie à ta gloire 2.

Poète de la Révolution, poète de Mazzini et de Garibaldi, réserves faites de ce que tout Italien, même le plus modéré, sait et avoue devoir à la Révolution, à Mazzini et à Garibaldi, Carducci était encore l'homme d'un parti chantre des anciennes gloires ita

1. Carducci, Critica e arte.

2. Odes barbares, Le XXI avril de l'an MMDCXXX de la fondation de Rome.

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