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l'Orient, Tripoli: il sera avec ceux qui convoitaient Tunis et l'Erythrée. Il sera pour la guerre... « fatale et sublime folie... », et, dans une poésie qui fit époque 1, il bafouera certain Congrès de la Paix tenu à Rome. Il sera pour Crispi, le seul ministre dont les Italiens aient été fiers depuis Cavour, le seul qui ait su flatter leur amourpropre, car « avec la passion qu'il portait en tout, son orgueil personnel gigantesque, ses audaces impulsives », il leur semblait l'homme prédestiné, le héros national, marqué pour leur donner le baptême de la gloire. N'était-il pas lui aussi, Crispi, un survivant des Révolutionnaires, des Révolutionnaires qui voulaient faire grand et qui croyaient qu'il n'y avait qu'à vouloir? — « De Crispi, je pense et je sens qu'il fut le seul grand homme d'État italien depuis 1860, le seul qui ayant conservé l'idéal ait montré qu'il était capable d'y subordonner sa politique. Venu trop tard au pouvoir, il n'en fut pas moins le seul grand ministre italien, depuis Cavour. Mégalomane! C'est là un mot de réthorique inventé par des pédants qui n'osent se dire peureux... Crispi est mégalomane, comme Mazzini, comme Victor-Emmannuel, comme Garibaldi, qui voulaient l'Italie forte et respectée. Autrement pourquoi l'avoir faite ?... 3 »

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Mais il ne suffisait pas à Carducci que l'Italie fût forte matériellement, il aurait encore voulu qu'elle le fût intellectuellement : mieux, qu'elle eût dans les choses de l'esprit, sa personnalité, et comme sa marque propre. Il disait à ses élèves : « Cette unité, cette liberté que nos pères ont conquise, nous devons la soutenir dans le domaine de l'esprit... C'est par l'art et la science que les nations s'éternisent... Nous avons besoin de nous affirmer hautement et glorieusement comme nation... La civilisation italienne n'a pas de lacunes, nous n'avons que faire des barbares... Il faut qu'en étudiant la langue, on étudie la nation, et qu'on imprime sur son âme, comme un sceau, le caractère italien pur... Nous sommes aujourd'hui trop Français, trop Anglais, trop Américains, nous sommes doctrinaires, positivistes, évolutionnistes, éclectiques, nous sommes individualistes, socialistes, autoritaires : nous devons être Italiens...>>

1. La guerra (1892).

2. Ferrero, Il fenomeno Crispi.

3. Lettre de Carducci du 17 juillet 1892 citée par le Giornale d'Italia (21 février 1907).

A. TOME XXIII. 1908.

3

A l'occasion des fêtes données en l'honneur de Carducci, d'Annunzio célébrait récemment la force qui naît de la force.... « Il est écrit: Dans le principe était le Verbe... Il est écrit: Dans le principe était l'Intelligence... Moi, j'écris hardiment: Dans le principe, était l'Action.... » Et il levait son verre à la Plus-Grande-Bretagne : << Comme déjà la Paix Romaine illumina la Méditerranée, bientôt la Paix Britannique illuminera les Océans »; à la Plus-GrandeAllemagne « Sur la vieille tradition militaire prussienne s'est greffée miraculeusement la nouveauté de la lutte industrielle. L'instinct de domination allemande en a été comme renforcé... La France a été vaincue une seconde fois » à la Plus-Grande Italie : (( L'Italie est comme le centre de toutes les contrées où ont fleuri et où fleurissent les civilisations les plus illustres. Elle joint l'Occident à l'Orient par la Méditerranée, notre mer, qui porte sur ses eaux la plus belle chose du monde, le Génie Grec, et la plus grande, la Paix Romaine. Les montagnes formidables de ses Alpes semblent entrer dans le coeur même de l'Europe, tandis que les vents de l'Asie et de l'Afrique réchauffent ses rives extrêmes... Délicates et rudes, agiles et vigoureuses, ses races les résument toutes. La suprématie morale semble être son partage 1. »

C'est ainsi que Carducci aurait souhaité d'être loué par tous : comme le grand poète italien « de la force et de l'action »... comme le grand poète italien « des gloires passées et des espérances futures »... gloires dues, espérances réservées aux seules nations « fortes et actives ».

Tel il fut en effet. C'est pourquoi, - oubliant leurs querelles d'hier n'était-il pas trop anticlérical, trop antireligieux, trop révolutionnaire, trop crispinien? s'abstenant pour quelques heures de penser aux conflits de demain vis-à-vis de la Papauté, convient-il d'être conciliant ou menaçant, à l'égard de la neligion sympathique ou tracassier, en face de l'Europe pacifique ou entreprenant? tous ceux qui voudraient sortir l'Italie de sa torpeur en lui donnant un idéal et une signification. se sont trouvés d'accord, de

1. Corriere della Sera (25 mars 1907.

quelque parti qu'ils vinssent pourvu qu'ils fussent Italiens et Unitaires, pour sacrer Carducci... poète de la patrie... poète national de la troisième Italie..., unis, ne fût-ce qu'un jour, dans le besoin d'être et de faire enfin quelque chose.

Salut, ô ma patrie.

Que ma langue se dessèche

Si jamais je t'oublie

Dans mes pensées et mes écrits!

Fol censeur et stupide

Chantre de vieilles folies,

Voilà ce que tu dis de moi, Italie.

Mais peu m'importe, car de lâches

Affranchis, jamais je ne serai le flatteur 1.

1. Juvenilia, LXVIII, i voti.

STÉPHANE PIOT.

L'ACCORD ANGLO-RUSSE DU 31 AOUT 1907

L'accord anglo-russe, signé le 31 août, publié le 26 octobre 1907, n'a été une surprise pour personne. Rarement, négociation internationale de cette importance a été traitée si ouvertement. L'opinion publique, préparée par d'habiles sondages, a pu suivre la marche d'une évolution qui s'est prolongée pendant deux années environ.

Nous disons deux ans. D'aucuns font remonter plus haut la genèse de la convention. Ils citent la fameuse campagne de « Calchas >> dans la Fortnightly Review, dont le premier article date d'octobre 1900. Ils veulent voir dans le rapprochement de la France et de l'Angleterre le point de départ de l'entente de la Grande-Bretagne et de la Russie. C'est pousser un peu loin le désir de concilier a posteriori l'alliance franco-russe et l'entente cordiale, deux combinaisons qui, à l'origine, semblaient passablement contradictoires. Qu'on se rappelle seulement les violentes critiques que souleva, à SaintPétersbourg, la convention du 8 avril 1904. Le traité Delcassé-Lansdowne apparaissait au lendemain de la déclaration de guerre japonaise, au début d'une crise que la Russie considérait, non sans raison, comme l'œuvre de la diplomatie britannique et la suite logique de l'alliance anglo-nipponne. Nos alliés rêvaient alors de consolider par les armes l'édifice si hâtivement élevé en ExtrêmeOrient. Certes ils ne songeaient pas à une liquidation de la politique d'expansion en Asie, en Asie centrale moins qu'ailleurs. Dira-t-on que les meneurs de la diplomatie britannique prévoyaient les futurs événements et tout le profit qu'ils pourraient en tirer? Bien informés de la force du Japon et des faiblesses de son adversaire, ils croyaient, sans doute, avoir ponté, cette fois, sur le bon cheval. Mais c'est une politique bien hasard e que celle qui repose uniquement sur le hasard des batailles. Le vrai est que, dès cette époque, les hommes d'État anglais étaient en éveil, prêts à

recueillir les fruits de leur habile manœuvre et à tirer dans l'Asie centrale tout le parti possible des embarras russes.

Le premier indice d'un rapprochement apparaît en Angleterre après les défaites de Liao-yang et du Cha-ho, au moment de l'incident de Hull. La solution pacifique donnée à ce conflit est un symplôme significatif, qui se précise par l'intervention britannique en faveur de la paix. Moins apparente que l'action de Roosevelt, le rôle du cabinet de Saint-James a été plus efficace. Sa manifestation la plus éclatante a été le resserrement brusque des cordons de la bourse qui, au lendemain de Tsoushima, a enlevé au Japon toute possibilité de poursuivre la lutte. Quelques semaines plus tard, au commencement d'août 1905, le renouvellement de l'alliance anglojaponaise marquait le terme de la crise Orientale.

Dès lors le plan anglais est arrêté. L'intervention brutale de l'Allemagne dans la crise marocaine a achevé de le fixer. La rupture de l'équilibre européen, conséquence de la disparition momentanée du facteur russe est apparue pleine de périls. On a compris, à Londres, l'urgence de conjurer le danger. On a compris aussi le prix de cette heure où la Russie affaiblie par ses désastres se débat dans les affres de la révolution. Quelle meilleure occasion de régler avantageusement les différends asiatiques, de faciliter la concentration des forces de l'empire en Europe, tout en assurant pour de longues années la sécurité de l'Inde!

La sécurité de l'Inde! C'est depuis trente ans la préoccupation dominante des hommes d'État anglais. Certes, les opérations de Mandchourie ont montré combien sont chimériques les craintes de ceux qui attendent des soldats du tzar le renouvellement des exploits d'Alexandre. Il s'en faut pourtant que tous les enseignements de cette campagne soient également rassurants. Nulle part plus qu'en Angleterre on n'a rendu justice aux résultats extraordinaires obtenus du transsibérien par les efforts du prince Khilkoff. Le transport et le ravitaillement de plus d'un million d'hommes par une seule ligne ferrée est un exploit dont la presse britannique a souligné la valeur. Si l'on réfléchit que la mobilisation russe dispose dans l'Asie Centrale, non plus d'une seule, mais de deux voies ferrées le Transcaspien et la ligne d'Orenbourg-Taschkent, que les ressources militaires britanniques sont restreintes, on comprendra

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