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que l'on ait conservé en Angleterre, même au lendemain de Moukden, certaines appréhensions pour l'avenir de l'Inde. Ces inquiétudes se sont affirmées par l'insertion dans le second traité d'alliance japonaise d'une clause permettant de faire appel au concours des troupes nipponnes. Mais c'est un remède héroïque, presque pire que le mal. N'était-il pas infiniment préférable d'obtenir de la Russie affaiblie un arrangement convenable? Les avantages de ce plan ne pouvaient échapper à un souverain aussi averti qu'Édouard VII, à des diplomates de la valeur de lord Lansdowne et de sir E. Grey.

La manœuvre anglaise se dessine donc dès l'automne 1905. La première impression en Russie n'est pas très favorable. Les revers de Mandchourie ont bien amené une réaction anti-impérialiste, une lassitude des aventures. La gravité des troubles intérieurs recommande le recueillement. Mais la blessure est trop récente pour que ne soient pas encore très vives les rancunes contre la nation qui a déchaîné la crise. Puis, la roue tourne à Londres : les libéraux, très hostiles à l'autocratie russe, arrivent au pouvoir, le portefeuille des Affaires étrangères est bien confié à un impérialiste, sir E. Grey, que suivra la voie tracée par son prédécesseur, mais il faut attendre... C'est à Algésiras, que sont posés les premiers jalons, dans les conversations du comte Cassini et de sir A. Nicholson, qui vient d'être nommé ambassadeur à Pétersbourg. Puis, le comte Lamsdorff passe la main à M. Isvolsky, un élève de Lobanoff, un prudent qui, dans un long séjour à Copenhague a noué des relations étroites avec la diplomatie britannique. Son arrivée au pouvoir, en mai 1906, marque l'heure décisive de l'évolution russe. Dès lors, la partie s'engage sérieusement.

Bien des obstacles restent à surmonter. Les radicaux anglais, dont l'influence est prépondérante, résistent à l'idée d'une entente avec le gouvernement du tzar. Le fameux cri de sir H. Campbell Bannerman : « La Douma est morte, vive la Douma », traduit leur sentiment. Il faut ajourner une visite annoncée de la flotte anglaise à Cronstadt. Les défiances renaissent à Saint-Pétersbourg. Dans l'été 1906 tout paraît sur le point de se rompre. Cependant les artisans discrets qui se sont voués au succès de l'œuvre de rapprochement ne se découragent pas. Les fils se renouent. Les négociations

reprennent et se précisent. Quand Mouzaffer-ed-dine meurt, en janvier 1907, l'accord des politiques anglaise et russe en Perse est déjà virtuellement un fait accompli. L'évolution favorable des pourparlers engagés entre M. Isvolsky et M. Motono pour la liquidation des questions laissées en suspens par le traité de Portsmouth indique les progrès du rapprochement anglo-russe. On peut considérer l'affaire comme réglée quand, le 10 mai, éclate la nouvelle de l'accord franco-japonais. On traine les choses pour préparer l'opinion et éviter un éclat irritant à la Chambre des Communes. Et l'entente n'est annoncée qu'au lendemain de la séparation du parlement britannique.

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Elle se présente sous la forme d'une déclaration générale, de trois conventions distinctes et d'un document annexe. Dans l'introduction, les deux contractants déclarent avoir décidé « de régler d'un consentement mutuel différentes questions touchant aux intérêts des deux États sur le continent asiatique » et avoir résolu conclure des accords destinés à prévenir toute cause de malentendu entre la Russie et la Grande-Bretagne au sujet des dites questions ». Suivent trois conventions relatives à la Perse, à l'Afghanistan et au Thibet et une déclaration unilatérale de l'Angleterre relative au golfe Persique, exprimée dans une lettre de sir E. Grey à sir A. Nicholson. Les documents sont brefs, de rédaction claire. La conception générale et les tendances de l'accord se dégagent aisément d'un plan qui s'offre rationnellement à l'analyse.

Nous n'entreprendrons pas de résumer l'histoire de la rivalité anglo-russe en Perse. Il faudrait remonter jusqu'aux dernières années du XVIIIe siècle. Une simple esquisse dépasserait les limites d'un article de revue. D'ailleurs, la crise aiguë dont le traité GreyIsvolsky marque, sinon la conclusion, du moins une étape importante, ne date guère de plus de vingt ans.

Jusqu'en 1885 la poussée russe en Asie se manifeste surtout vers l'est. C'est l'occupation du Turkhestan avec les campagnes de Tchernaïeff, de Romanowsky, de Kauffmann, de Skobeleff et l'audacieuse entreprise du Transcaspien lançant le rail à travers le désert, jusqu'à Merv et la frontière afghane. L'Angleterre, de son côté

s'acharne en vains efforts pour établir sa domination à Kaboul. Et c'est sur le revers de l'Hindou-Kouch que les gourkhas se trouvent face à face avec les cosaques en 1885. Les dispositions conciliantes du cabinet Gladstone et du gouvernement d'Alexandre III préviennent un choc, qui a paru un moment imminent. Arrêtée dans sa marche vers l'Orient, l'expansion russe se tourne alors vers le sud où elle va éprouver l'attraction de la mer libre.

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La lutte d'influences commence en Perse, mais sans grands éclats pendant les dernières années de Nasr-ed-dine. Ce prince prudent et économe évite habilement les prétextes d'intervention. Avec le drame du 1er mai 1896 sonne l'heure décisive. L'histoire n'est pas nouvelle. Un souverain débonnaire, faible, bourreau d'argent; un ministre ambitieux et dénué de scrupules; des prêteurs bénévoles, entraînés aux secrètes combinaisons de la finance et de la politique : ainsi vont les choses en Perse pendant les sept premières années du règne de Mouzaffer-ed-dine, sous le gouvernement de l'Atabeg Azam, Amin-es-Sultan. C'est l'âge d'or de l'influence russe. Et l'Angleterre ne peut s'en prendre qu'à elle-même de cette mésaventure. C'est à Londres que le shah s'est adressé, tout d'abord, au commencement de 1900, pour remplir son trésor prestement vidé. Par une défaillance dont la diplomatie britannique offre peu d'exemples lord Salisbury décline la proposition d'un emprunt sérieusement garanti par les douanes du golfe. La Russie saisit la balle au bond. Elle avance généreusement 56 millions. Puis, durant trois ans, les roubles ne cessent de rouler entre Saint-Pétersbourg et Téhéran. Les Russes exploitent la situation avec une remarquable ingéniosité. Ils exigent le remboursement d'une créance Anglaise de de l'Impérial Bank of Persia, imposent l'engagement formel qu'aucune concession de voie ferrée ne sera accordée sans leur consentement. Ils construisent des routes dans le Nord, admirable instrument pour leur commerce que favorise un remaniement du tarif douanier. La Banque Russe de Téhéran concentre les services financiers de l'empire. Le contrôle des douanes et l'organisation du service des postes sont confiées à des agents belges subordonnés à l'influence moscovite. Une compagnie de navigation subventionnée relie Odessa au golfe Persique. Entre temps Mouzaffer-ed-dine fait trois voyages en Europe avec des visites solennelles à Pétersbourg.

Surprise un moment, l'Angleterre se ressaisit, multipliant les efforts surtout du côté de la mer. On attire le shah à Londres, on lui envoie l'ordre de la Jarretière. Mais l'heure de la revanche n'a pas encore sonné et la mission chargée de conférer au souverain persan le plus illustre des ordres britanniques arrive à Téhéran juste pour apprendre la conclusion d'un traité de commerce très avantageux pour la Russie. C'est l'apogée de l'influence russe. Le recul va commencer avec les prodromes de la crise mandchourienne. Un agent anglais énergique, sir A. Hardinge, obtient, en septembre 1903, la disgrâce de l'Atabeg Azam, qui a mis sa toute-puissance de grandvizir au service du tzar. Quelques mois plus tard lord Curzon fait sa tapageuse croisière dans le golfe. Il jette dans le Beloutchistan la première amorce d'une voie ferrée de Quetta à Nushki. La mission anglaise Mac-Mahon est chargée de régler le conflit qui divise les Afghans et les Persans pour le partage des eaux de l'Hellmund. Surviennent les événements d'Extrême-Orient qui portent un coup terrible au prestige russe. Le Pactole cesse de couler. Alors le mirage dissipé laisse apparaître le désordre d'une administration follement dépensière et corrompue. Les Persans subissent l'attraction de l'exemple qui leur vient du nord et font, eux aussi, leur révolution.

Le rôle joué par l'Angleterre dans cette crise intérieure reste obscur. Il a dû être considérable. L'étonnant accord de vingt mille émeutiers venant chercher refuge à la légation britannique, en juillet 1906, est bien curieux, au moins comme symptôme du revirement qui s'est produit en faveur de l'influence anglaise. La Russie n'échappe à une éviction complète que par une activité commerciale qui ne se dément pas au milieu des plus dures épreuves.

Telle est la situation au moment où s'ouvrent les négociations entre Londres et Saint-Pétersbourg. Pourquoi les deux puissances renoncent-elles brusquement à la politique de rivalité pour la politique de conciliation? Nous avons exposé plus haut les raisons générales qui ont déterminé cette évolution pacifique du côté russe, réaction contre l'esprit d'aventure et besoin de recueillement; pour l'Angleterre, préoccupations européennes, ralentissement de l'activité extérieure qui coïncide toujours avec l'arrivée au pouvoir des libéraux. Il faut ajouter l'entrée en scène sur le théâtre persan

d'un nouveau personnage : l'Allemagne. La puissance qui a entrepris l'œuvre colossale du chemin de fer de Bagdad ne peut se désintéresser de l'Iran et du golfe Persique. L'activité allemande, admirablement secondée par le ministre du Kaiser à Téhéran, M. Steinrich, que vient de récompenser un portefeuille de sous-secrétaire d'État, se manifeste dans toutes les branches : établissement d'un service de navigation de la Hambourg Amerika, envoi d'une mission de la Deutsche Oriente Bank; création d'une banque à Téhéran. Chacun des deux premiers occupants peut redouter une entente de la partie adverse avec le troisième larron. Un accord direct anglo-russe est le meilleur moyen de conjurer ce risque.

Du moment que l'on entrait dans cette voie, on devait fatalement adopter les bases fixées par lord Salisbury, qui avait déjà songé à la combinaison. L'éminent diplomate anglais considérait comme seuls principes admissibles d'entente le désintéressement politique et la répartition des sphères d'influence économiques. La convention du 31 août 1907 suit ces lignes.

Le préambule consacre l'engagement mutuel de « respecter l'intégrité et l'indépendance de la Perse ». Puis, après un rappel de la « théorie de la porte ouverte » destiné à ménager les susceptibilités légitimes des autres puissances, il déclare que chacun des contractants renonce au bénéfice de la libre concurrence dans certaines régions où la partie adverse, pour des raisons d'ordre politique ou économique, peut invoquer un intérêt spécial.

Les deux premiers articles fixent les bornes des sphères russe et anglaise, en précisant les limites du désintéressement mutuel. La zone russe est déterminée au sud, par une ligne qui part de KasriChirin sur la frontière turque-point situé à peu près à mi-distance de la Caspienne et du golfe passe à Ispahan descend jusqu'à Yesd, puis remonte jusqu'à Zutficar, point situé à l'intersection des frontières de la Perse, de l'Afghanistan et du Turkestan russe. Elle englobe toutes les provinces septentrionales, d'Azerbetdjan, de Gilan, de Mazanderan, d'Ardilan, d'Irak-Adjemi et du Khorassan avec environ un tiers de la superficie totale. La zone anglaise, plus restreinte et ne comprenant guère qu'un cinquième du territoire est tout entière au sud d'une ligne qui part de Bender-Abbas sur le détroit d'Ormuz et s'oriente au nord-est pour aller atteindre la

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