Sivut kuvina
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s'acharne en vains efforts pour établir sa domination à Kaboul. Et c'est sur le revers de l'Hindou-Kouch que les gourkhas se trouvent face à face avec les cosaques en 1885. Les dispositions conciliantes du cabinet Gladstone et du gouvernement d'Alexandre III préviennent un choc, quí a paru un moment imminent. Arrêtée dans sa marche vers l'Orient, l'expansion russe se tourne alors vers le sud où elle va éprouver l'attraction de la mer libre.

La lutte d'influences commence en Perse, mais sans grands éclats pendant les dernières années de Nasr-ed-dine. Ce prince prudent et économe évite habilement les prétextes d'intervention. Avec le drame du 1er mai 1896 sonne l'heure décisive. L'histoire n'est pas nouvelle. Un souverain débonnaire, faible, bourreau d'argent; un ministre ambitieux et dénué de scrupules; des prêteurs bénévoles, entraînés aux secrètes combinaisons de la finance et de la politique : ainsi vont les choses en Perse pendant les sept premières années du règne de Mouzaffer-ed-dine, sous le gouvernement de l'Atabeg Azam, Amin-es-Sultan. C'est l'àge d'or de l'influence russe. Et l'Angleterre ne peut s'en prendre qu'à elle-même de cette mésaventure. C'est à Londres que le shah s'est adressé, tout d'abord, au commencement de 1900, pour remplir son trésor prestement vidé. Par une défaillance dont la diplomatie britannique offre peu d'exemples lord Salisbury décline la proposition d'un emprunt sérieusement garanti par les douanes du golfe. La Russie saisit la balle au bond. Elle avance généreusement 56 millions. Puis, durant trois ans, les roubles ne cessent de rouler entre Saint-Pétersbourg et Téhéran. Les Russes exploitent la situation avec une remarquable ingéniosité. Ils exigent le remboursement d'une créance Anglaise de de l'Impérial Bank of Persia, imposent l'engagement formel qu'aucune concession de voie ferrée ne sera accordée sans leur consentement. Ils construisent des routes dans le Nord, admirable instrument pour leur commerce que favorise un remaniement du tarif douanier. La Banque Russe de Téhéran concentre les services financiers de l'empire. Le contrôle des douanes et l'organisation du service des postes sont confiées à des agents belges subordonnés à l'influence moscovite. Une compagnie de navigation subventionnée relie Odessa au golfe Persique. Entre temps Mouzaffer ed-dine fait trois voyages en Europe avec des visites solennelles à Pétersbourg.

Surprise un moment, l'Angleterre se ressaisit, multipliant les efforts surtout du côté de la mer. On attire le shah à Londres, on lui envoie l'ordre de la Jarretière. Mais l'heure de la revanche n'a pas encore sonné et la mission chargée de conférer au souverain persan le plus illustre des ordres britanniques arrive à Téhéran juste pour apprendre la conclusion d'un traité de commerce très avantageux pour la Russie. C'est l'apogée de l'influence russe. Le recul va commencer avec les prodromes de la crise mandchourienne. Un agent anglais énergique, sir A. Hardinge, obtient, en septembre 1903, la disgrâce de l'Atabeg Azam, qui a mis sa toute-puissance de grandvizir au service du tzar. Quelques mois plus tard lord Curzon fait sa tapageuse croisière dans le golfe. Il jette dans le Beloutchistan la première amorce d'une voie ferrée de Quetta à Nushki. La mission anglaise Mac-Mahon est chargée de régler le conflit qui divise les Afghans et les Persans pour le partage des eaux de l'Hellmund. Surviennent les événements d'Extrême-Orient qui portent un coup terrible au prestige russe. Le Pactole cesse de couler. Alors le mirage dissipé laisse apparaître le désordre d'une administration follement dépensière et corrompue. Les Persans subissent l'attraction de l'exemple qui leur vient du nord et font, eux aussi, leur révolution.

Le rôle joué par l'Angleterre dans cette crise intérieure reste obscur. Il a dû être considérable. L'étonnant accord de vingt mille émeutiers venant chercher refuge à la légation britannique, en juillet 1906, est bien curieux, au moins comme symptôme du revirement qui s'est produit en faveur de l'influence anglaise. La Russie n'échappe à une éviction complète que par une activité commerciale qui ne se dément pas au milieu des plus dures épreuves.

Telle est la situation au moment où s'ouvrent les négociations entre Londres et Saint-Pétersbourg. Pourquoi les deux puissances renoncent-elles brusquement à la politique de rivalité pour la politique de conciliation? Nous avons exposé plus haut les raisons générales qui ont déterminé cette évolution pacifique du côté russe, réaction contre l'esprit d'aventure et besoin de recueillement; pour l'Angleterre, préoccupations européennes, ralentissement de l'activité extérieure qui coïncide toujours avec l'arrivée au pouvoir des libéraux. Il faut ajouter l'entrée en scène sur le théâtre persan

d'un nouveau personnage : l'Allemagne. La puissance qui a entrepris l'œuvre colossale du chemin de fer de Bagdad ne peut se désintéresser de l'Iran et du golfe Persique. L'activité allemande, admirablement secondée par le ministre du Kaiser à Téhéran, M. Steinrich, que vient de récompenser un portefeuille de sous-secrétaire d'État, se manifeste dans toutes les branches : établissement d'un service de navigation de la Hambourg Amerika, envoi d'une mission de la Deutsche Oriente Bank; création d'une banque à Téhéran. Chacun des deux premiers occupants peut redouter une entente de la partie adverse avec le troisième larron. Un accord direct anglo-russe est le meilleur moyen de conjurer ce risque.

Du moment que l'on entrait dans cette voie, on devait fatalement adopter les bases fixées par lord Salisbury, qui avait déjà songé à la combinaison. L'éminent diplomate anglais considérait comme seuls principes admissibles d'entente le désintéressement politique et la répartition des sphères d'influence économiques. La convention du 34 août 1907 suit ces lignes.

Le préambule consacre l'engagement mutuel de «< respecter l'intégrité et l'indépendance de la Perse ». Puis, après un rappel de la « théorie de la porte ouverte » destiné à ménager les susceptibilités légitimes des autres puissances, il déclare que chacun des contractants renonce au bénéfice de la libre concurrence dans certaines régions où la partie adverse, pour des raisons d'ordre politique ou économique, peut invoquer un intérêt spécial.

Les deux premiers articles fixent les bornes des sphères russe et anglaise, en précisant les limites du désintéressement mutuel. La zone russe est déterminée au sud, par une ligne qui part de KasriChirin sur la frontière turque-point situé à peu près à mi-distance de la Caspienne et du golfe- -passe à Ispahan descend jusqu'à Yesd, puis remonte jusqu'à Zutficar, point situé à l'intersection des frontières de la Perse, de l'Afghanistan et du Turkestan russe. Elle englobe toutes les provinces septentrionales, d'Azerbetdjan, de Gilan, de Mazanderan, d'Ardilan, d'Irak-Adjemi et du Khorassan avec environ un tiers de la superficie totale. La zone anglaise, plus restreinte et ne comprenant guère qu'un cinquième du territoire est tout entière au sud d'une ligne qui part de Bender-Abbas sur le détroit d'Ormuz et s'oriente au nord-est pour aller atteindre la

frontière afghane à 200 milles au sud de Zutficar, enserrant la province de Kerman et le Seïstan. Le reste de l'empire est ouvert à la rivalité commerciale de l'Angleterre et de la Russie par l'article 3. Les articles 4 et 5 maintiennent les garanties affectées aux emprunts russe et anglais, subordonnant toute modification à une entente préalable des deux parties.

Ces stipulations ont causé une grosse émotion en Perse campagne de presse, manifestation à la Chambre. Le gouvernement a dû se dégager formellement de toute adhésion même tacite à l'accord. Cette explosion d'irritation ne saurait surprendre de la part d'un peuple qui, au sortir d'un engourdissement séculaire, manifeste une vitalité singulière et pousse l'exaltation de son nationalisme jusqu'à la xénophobie. Les Persans ne manquent pas de raisons pour soutenir qu'on a un peu trop négligé de les consulter. Susceptibilité parfaitement honorable à qui il ne manque, pour sembler légitime, que l'appui de quelques centaines de mille soldats. L'hommage. platonique rendu à l'indépendance et à l'intégrité de la Perse corrige insuffisamment les libertés très grandes que l'Angleterre et la Russie prennent envers les droits souverains du Shah. Les allusions à la nécessité de «< maintenir l'ordre et la paix » sont trop nombreuses et précises pour ne pas laisser entrevoir des éventualités d'intervention dont le peuple persan a le droit de s'émouvoir. Peut-être aurait-il mieux à faire, pourtant, que de récriminer contre un état de choses dont il n'est pas entièrement irresponsable. Le véritable moyen de conjurer les risques de l'accord anglo-russe est d'adopter une politique d'ordre et de prudente réforme. Pas de troubles, pas de prétexte d'intervention. Les amis de la Perse la France s'honore d'être parmi les plus anciens et les plus désintéressés n'attendent pas moins de l'intelligence d'un peuple dont le passé est une promesse d'avenir.

La convention persane n'a provoqué et ne pouvait provoquer aucune protestation des tierces puissances. Leurs intérêts sont sauvegardés par le maintien de la « porte ouverte ». Pour le reste, elles ne sauraient méconnaître la valeur des titres invoqués par les deux contractants ni leur droit de régler à leur guise leurs propres affaires. Le mécontentement des Persans peut d'ailleurs offrir des occasions exceptionnellement favorables à celles dont

l'attention est attirée de ce côté. L'Allemagne s'en est déjà avisée. En Russie, l'opinion commence à peine à se dégager de l'hypnotisme de la crise intérieure et elle est restée à peu près indifférente. En Angleterre, l'accord a été soumis à une analyse plus sérieuse, en général approbative. Il y a eu pourtant des réserves. Quelques puristes ont dénoncé les violations de la souveraineté persane. Mais les critiques ont porté principalement sur la répartition des sphères d'influence. Elles ont trouvé leur expression la plus caractéristique dans une lettre au Times du colonel Yate, ancien commissaire en chef du Beloutchistan, et dans la Fortnightly Review sous la plume de M. Perceval Landon et de M. Angus Hamilton.

L'argumentation peut se résumer ainsi. Il y a entre les zones anglaise et russe une disproportion injustifiée, au double point de vue économique et politique. La Russie pourra pousser son réseau ferré jusqu'à Ispahan à 200 milles à peine du golfe. Installée à Téhéran et à Ispahan elle commande les trois grandes routes commerciales celle de Téhéran à Bagdad par la Porte Médique, celle qui remonte le fleuve Karoun pour aboutir à l'ancienne capitale, enfin celle qui va de Bouchir à Chiraz et à Ispahan. Par contre, l'Angleterre ne se réserve qu'une zone étroite, en grande partie infertile. Elle n'a même pas affirmé ses revendications séculaires sur la côte du golfe. Ses intérêts commerciaux sont sacrifiés. Quant à la valeur militaire de la tractation elle est nulle. Chimère que la crainte d'une invasion russe par le Seïstan et le Beloutchistan, dont les solitudes désertiques ne sont traversées que par une mauvaise route de caravane.

A vouloir trop prouver les adversaires de l'accord compromettent la valeur de leur raisonnement. Les campagnes alarmistes de la presse anglaise sont trop récentes pour que l'on puisse oublier l'importance que la Grande-Bretagne attache à la couverture de la frontière de l'Inde. Les garanties insérées dans l'accord persan sont assez sérieuses pour compenser bien des sacrifices. Les concessions sont-elles, d'ailleurs, aussi considérables qu'on le dit? La zone proprement russe ne dépasse pas les limites atteintes par la prépondérance absolue du commerce moscovite. Nous n'en voulons pour preuve que les conclusions des rapports consulaires anglais. Le consul général à Ispahan constate en 1906, que les produits anglais

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