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ANALYSES ET COMPTES COMPTES RENDUS

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L'administration de la France. Les fonctionnaires.
Le ministère de la Justice. Perrin, éd.,

Les fonctionnaires de Gouvernement. 1 vol. in-18.

I. Notre administration, si vantée et si décriée tout ensemble, que chaque Français plaisante et critique inlassablement bien qu'il lui demande, tous les jours, quelque service nouveau est pourtant fort peu connue de ses censeurs eux-mêmes. M. Henri Chardon, que ses fonctions actuelles et les divers emplois par lui brillamment remplis dans sa carrière déjà longue ont mis à même de pratiquer et d'étudier de près tous nos grands services nationaux, s'est donné la tâche d'en décrire l'organisation et le fonctionnement, non pas dans des traités arides et rébarbatifs, accessibles à de rares initiés, mais dans une série de livres destinés au grand public, écrits dans une langue vive, simple et forte, et qui, chose rare par le temps qui court, peuvent être compris de tout le monde.

M. Chardon ne se borne pas à nous présenter un froid exposé de ce qui est, il fait vivre devant nous les organismes qu'il décrit, il nous montre l'œuvre formidable qu'ils accomplissent et il nous fait partager sa sympathie et son admiration pour ces innombrables agents qui, par leur labeur obscur, patient et mal payé, assurent, sans que personne prenne la peine de s'en apercevoir, la vie régulière de la nation. Mais comme l'auteur a l'esprit critique pour le moins aussi développé que l'esprit d'analyse, il ne manque pas, chemin faisant, de signaler certains vices du régime actuel et d'indiquer les remèdes qu'ils comportent. De telle sorte que l'ouvre entreprise sera, nous en avons la conviction profonde, plus encore une œuvre de réforme qu'une œuvre de vulgarisation.

Il y a deux ans, M. Chardon nous donnait un livre fortement documenté sur les travaux publics, qui fit grand bruit lors de son apparition et qui a déterminé déjà maintes améliorations et simplifications dans les services qui s'y trouvaient étudiés. Le volume qu'il public aujourd'hui et qui constituera le premier de la série précise tout d'abord l'économie et la philosophie générale de tout d'ouvrage. Il décrit ensuite l'organisation gouvernementale et législative de la France. Après quoi il expose à grands traits la situation légale des fonctionnaires. - Enfin il examine les services

les plus strictement indispensables aux hommes vivant en société, ceux qui sont l'origine et la cause première de tout groupement social, c'est à savoir

les services de la justice et ceux correspondants de la sûreté publique. M. Chardon, esprit aussi affranchi des routines traditionalistes que des différents snobismes à la mode, a poursuivi ces diverses études avec une verve et une originalité de forme bien faites pour impressionner le lecteur et le faire réfléchir à chaque page.

II. Le chapitre sur la situation des fonctionnaires est tout spécialement à signaler. Les questions les plus brûlantes du moment, celles relatives aux associations des agents de la puissance publique, celles qui touchent à l'état de ces agents y sont traitées avec une grande largeur de vue mêlée à une parfaite compréhension des nécessités administratives. L'auteur trouve légitime la faculté que revendiquent les fonctionnaires de se grouper en associations pour défendre leurs intérêts professionnels et, comme il ne croit pas à la magie des mots, peu lui importe que ces groupements soient dénommés associations, amicales ou syndicats. Ces groupements pour M. Chardon ne présentent aucun danger, car s'il leur prenait fantaisie de fomenter des grèves, d'organiser l'arrêt ou le sabotage des services publics et d'agir à l'encontre des intérêts du pays, celui-ci aurait tôt fait de les mettre à la raison. « C'est aux contrôleurs généraux de la nation, dit-il, au parlement, au président de la République et aux ministres, de maintenir dans son rôle normal toute association de fonctionnaires. Qu'ils ne redoutent pas alors leur petit nombre; ils ont toute la nation avec eux; contre des fonctionnaires qui trahissent leurs fonctions, ils auront toujours le dernier mot; ils ne l'auront pas s'ils luttent contre les garanties que les fonctionnaires ont le droit de demander. » Les associations de fonctionnaires ne seront d'ailleurs pas tentées, dit M. Chardon, de sortir de leur rôle quand on aura donné aux membres qui les composent un état sérieux et stable garanti par le vigilant contrôle judiciaire du Conseil d'État.

Cette nécessité d'un état des fonctionnaires affranchissant de tout arbitraire, de toute intervention parlementaire ou mondaine leur entrée dans la carrière, leur avancement et leur discipline, a été affirmée par tous les grands politiques de ce pays. « Une administration qui n'a pas de système de promotion, écrivait Talleyrand au Premier Consul, n'a pas à proprement parler d'employés; les hommes qui s'en occupent sont des salariés qui ne voient devant eux aucune perspective, autour d'eux aucune garantie, audessus d'eux aucun motif de confiance. » Et Dufaure, dans un rapport à la Chambre des Députés du 22 juillet 1844, rapport remarquable à tous égards et qu'il faut remercier M. Chardon d'avoir tiré de l'oubli, proposait déjà des garanties tutélaires pour les agents de la puissance publique et s'exprimait ainsi : « Tout en ménageant la responsabilité ministérielle, ces règles écarteront de la carrière administrative cette foule de prétendants qui, sans études préalables, sans ferme intention de se rendre utiles au pays, avides de l'aisance qu'un emploi public peut assurer et sans souci des devoirs qu'il impose, trouvent toujours, grâce à la molle facilité de nos mœurs, quelque protecteur puissant et dévoué pour les imposer à l'autorité supérieure et à

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l'État qui souffrira de leur incapacité. Elles donnent ainsi à l'aptitude et au travail au moins une grande partie des chances qui appartiennent à l'audace et à l'intrigue. Sont-elles établies et loyalement observées? De ce jour l'employé entre dans l'administration avec dignité et fier d'une position qu'il ne doit qu'à son travail et à la justice de ses chefs. Il est soutenu et animé dans l'exercice de ses fonctions par l'espérance qui lui est permisc que le zèle qu'il déploiera ne sera pas sans récompense, que les connaissances qu'il acquerra ne resteront pas sans emploi. Les membres d'une même administration apprennent à s'honorer mutuellement et ne luttent plus entre eux que par l'émulation de bien faire. Les subordonnés respectent leurs chefs et les chefs n'ont plus à craindre de rencontrer parmi les subordonnés des hommes dont ils ont occupé la place et qui méritaient de leur commander. Le pouvoir exécutif est respecté dans tous ses représentants et la confiance des populations lui rend plus facile la mission que nos institutions lui donnent.... >>

Plus de soixante ans ont passé depuis que M. Dufaure a prononcé ces fortes paroles et les 800,000 fonctionnaires de France attendent toujours une loi générale qui règle leur état. Cette loi qui mettrait tout de suite fin à l'agitation insolite qui se manifeste actuellement dans nos divers services publics et qui inquiète tous les bons esprits, M. Chardon l'appelle de tous ses vœux; il en précise le but, et en indique les points essentiels avec une parfaite conscience tout à la fois des garanties nécessaires aux agents et des nécessités indispensables de la discipline administrative.

III. L'étude sur l'organisation des services destinés à assurer le maintion de l'ordre social n'est pas moins intéressante. Un chapitre a déjà soulevé, dans la presse périodique et dans l'opinion, une grande et légitime émotion, c'est celui dans lequel l'auteur démontre, avec son ordinaire précision, qu'en France il n'existe pas de police criminelle à proprement parler. Nous serions bien surpris si le cri d'alarme qu'il a poussé et qui a révélé à bien des gens, même parmi les plus informés, une situation périlleuse qu'ils ne soupçonnaient nullement, n'avait pas à bref délai pour effet d'aboutir à l'établissement d'une police d'état fortement constituée dont l'organisation s'impose chaque jour davantage.

Nous ne pouvons pas résumer ici tous les développements de l'ouvrage que nous analysons, toutes les réformes qu'il propose en ce qui concerne notre organisation judiciaire. M. Chardon étudie successivement le fonctionnement de la justice criminelle, de la justice civile, de la justice commerciale et de la justice administrative.

Il montre, dans une généralisation savante, l'œuvre admirable du Conseil d'État assurant aux citoyens par la voie du recours pour excès de pouvoir et par le moyen des actions en responsabilité à l'encontre de la puissance publique, le respect des droits individuels et substituant un contrôle judiciaire effectif au vieux contrôle préventif de la tutelle administrative qui ne pouvait guère se maintenir efficace dans un régime démocratique à bases électives

Enfin M. Chardon discute les garanties qui doivent assurer l'indépendance des magistrats de tout ordre. Nous aurions bien sur ce point quelques réserves à formuler sur les opinions qu'il expose, spécialement en ce qui concerne l'inamovibilité qu'il nous parait traiter un peu trop légèrement. Mais ce n'est point le lieu d'ouvrir un débat sur cette grave question et nous en avons assez dit pour montrer, à tous ceux qu'intéressent la politique et la vie administrative de ce pays, qu'ils auront grand intérêt à lire, à relire et à méditer le dernier livre de M. Chardon. Ils y trouveront d'ailleurs autant de plaisir que de profit.

GEORGES TEISSIER.

Albert Schatz, professeur agrégé à la Faculté de droit de l'Université de Dijon. L'individualisme économique et social ses origines, son évolution, ses formes contemporaines. A. Colin et Cie. In-18 de 590 p.

Il faut un grand courage pour venir, à notre époque, parler d'individualisme. La doctrine n'a pas fait fortune, et le mot est tombé dans un tel discrédit que bien des gens ne sont pas loin d'y voir un synonyme d'« égoïsme ». « L'individualisme, dit M. S. dans l'avant-propos de son livre, a particulièrement souffert des travestissements fâcheux que l'opinion publique lui a fait subir. Comme les dieux de l'Olympe après leurs équipées terrestres, je voudrais qu'avec de l'ambroisie, il s'en débarbouillàt tout à fait. »

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La tâche est malaisée, mais elle n'est pas impossible. La difficulté vient surtout de ce qu'il faut défendre l'individualisme contre ses propres représentants officiels, les « orthodoxes ». La Fontaine l'a dit : « Rien n'est plus dangereux qu'un maladroit ami. Ces soi-disant «< libéraux » sont la cause de la défaveur où se trouve aujourd'hui cette doctrine, tant dans le monde des Universités et au Parlement que dans le public. Ils ne l'ont pas fait aimer, ils ont été jusqu'à donner à cette doctrine d'affranchissement et de libération l'aspect méprisable d'une doctrine de classe heurtant, sans discernement, toutes les aspirations modernes. C'est sa réhabilitation qu'entreprend M. Schatz.

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Qu'est-ce donc que l'individualisme? L'acception de ce mot est par elle-même si vague et si élastique que notre auteur peut enrôler tout ensemble dans la cohorte individualiste un « socialiste modéré » comme Stuart Mill et le plus spirituel, le plus français des adversaires du marxisme, Bastiat, étudier successivement la Reforme Sociale de Le Play, et la «< philosophie synthétique » d'Herbert Spencer, le libéralisme orthodoxe d'un Paul Leroy-Beaulieu et l'anarchisme d'un Max Stirner. L'exposé très clair et très complets de ces diverses théories-psychologiques, politiques, économiques, sociales et même littéraires depuis Hobbes et Maudeville jusqu'à Nietzsche et Ibsen, constitue le corps du volume. A propos de chacun de ces penseurs, M. S. ne nous cache pas ses préférences personnelles.

Il fait pour chaque «< individualiste », dont il expose les idées maîtresses, la part de la critique, et cela lui permet de résumer, à la fin de son livre, ses conclusions dans une trentaine de pages, qui constituent sa doctrine à lui. ANGEL MARVAUD.

Otto Effertz. Les Antagonismes économiques. Introduction de CHARLES ANDLER. Paris, Giard et Brière, 1906, 1 vol. in-8 de 566 p.

Effertz, l'auteur des Antagonismes économiques, est une découverte des économistes français, de même que Gobineau est une découverte des philosophes allemands. L'internationalisme des savants se plaît à recueillir les auteurs méconnus de leur patrie et à leur donner asile. L'Allemagne en use ainsi à l'égard de beaucoup d'autres que Gobineau; toutefois un éminent critique berlinois a observé que ce patronage ne bénéficiait guère que des écrivains francais assez secondaires, et qu'en retour nos gloires véritables restaient méconnues le plus souvent du public germanique. Je ne veux pas dire qu' 'Effertz accueilli en France soit une médiocrité économique, cependant, je crois que bien des économistes allemands contemporains doivent passer avant lui, qu'il écrase sous son mépris et cingle de sa verve.

En premier lieu Effertz est obscur et l'un de ses plus bienveillants critiques, un de ses parrains français, son disciple, n'hésite pas à le reconnaitre. Il n'est pas obscur seulement parce qu'il emploie une terminologie personnelle, parce qu'il se sert de formules mathématiques, parce qu'il prétend à la verve, il est obscur parce qu'il se développe constamment des systèmes aprioristiques suivant une méthode assez fantaisiste; il est obscur surtout pour le lecteur qui possédant les notions de la science qu'Effertz prétend rénover, se heurte à des propositions absolues, qui lui paraissent pour le moins hasardeuses et après lesquelles l'auteur continue allègrement, ou plus exactement passe à une autre démonstration estimant la première terminée à sa satisfaction. Et l'on comprend l'irritation des économistes allemands qui après avoir combattu de longues années pour doter l'économique d'une méthode scientifique se sont trouvés en face d'un travail où les principes les plus élémentaires, les plus indispensables de cette méthode sont ignorės. Je ne veux pas m'inquièter ici des critiques de Pareto, l'importance de ton d'Effertz devait s'attendre à des ripostes sans bienveillance, Pareto va parfois trop loin. Ainsi lorsqu'il reproche à Effertz d'avoir voulu induire le lecteur en erreur en utilisant comme signes conventionnels 7, %, ✨,

fonctions, sous prétexte qu'en langage mathématique ces signes n'ont pas toujours cette signification. Sa critique n'a pas de portée sérieuse, car le fait qu'en trigonométrie peuvent avoir une autre signification, ne démontre pas qu'il résulte d'erreur de l'emploi qu'Effertz fait de ces signes au cours de ses raisonnements. Ce sont seulement des exemples. Je ne me placerai non plus sur le terrain adopté par M. Caudry pour critiquer les

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