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don Carlos et le prince héritier. Il s'en faut, cependant, que la pleine lumière soit faite sur ces, dramatiques événements.

« Le lendemain et le surlendemain. la ville de Lisbonne ne donna pas le moindre signe de deuil... Tandis qu'un journal républicain, si je ne me trompe, Lucta, s'était borné à enregistrer le crime, sous forme d'un fait divers en quelques lignes, les autres journaux, les plus pondérés, ne faisaient aucune dépense de sensibilité à l'égard des illustres disparus et de la famille royale en pleurs. Une seule feuille parut encadrée de noir, et ce fut le Diario, le journal de Franco. Les sentiments des habitants étaient à l'unisson de ceux des journaux. Le lundi, pas une boutique fermée, pas un magasin affichant le deuil. A peine trois ou quatre balcons drapés de noir, et c'étaient des fournisseurs de la cour1. »

Celle indifférence s'explique par l'impopularité trop réelle de l'infortuné monarque. Pourtant, le peuple de Lisbonne, quoique de connivence tacite avec les révolutionnaires, n'était pas dans le secret tout au plus croyait-il la vie du « dictateur » seule menacée. Il n'attribua le régicide à aucun parti, mais il considéra l'assassinat «< comme l'œuvre de quelques hommes isolés, de quelques têtes brûlées, exaspérées par le mécontentement qui grondait dans la capitale et ses alentours 2 ».

Le défilé de 800,000 personnes, le 16 février, devant les tombes des deux régicides couvertes de fleurs, la souscription en faveur des deux fils de Buiça qui atteignit 50000 francs, doivent être regardés - selon le correspondant du Times - bien moins comme un acquiescement tacite à cet horrible crime que comme des manifestations indirectes contre la police. Ce qui paraît hors de doute, c'est que le samedi au soir, Lisbonne était à la merci d'un pronunciamiento républicain. Mais nombre de conspirateurs étaient déjà en prison, et l'armée resta fidèle à la monarchie.

Le nouveau règne s'empressa « de briser tous les liens avec le régime de Carlos et de Franco ». Il le fit même avec « une telle hâte,

1 et 2. JEAN FINOT, La journée portugaise, dans la Revue du 1o mars 1908. On pourra lire aussi les curieuses déclarations faites à M. Galtier, par une « personnalité portugaise » mêlée à ces tragiques événements (le Temps du 10 avril).

une telle brutalité, qu'il sembla donner une sanction suprême à l'assassinat ».

En face des deux cercueils étendus, côte à côte, sous les voûtes de San Vicente de Fora, les deux partis « rotatifs » firent trève passagère à leurs dissentiments et conclurent un pacte, qui rappelle, à certains égards, celui des libéraux et des conservateurs espagnols, à la mort d'Alphonse XII, au Palais du Pardo. Le ministère que le jeune roi Manoel réunit, aussitôt après la chute et la fuite de Franco, voué à l'exécration populaire, était un ministère de concentration monarchiste. Il était présidé par l'amiral José Ferreira do Amaral, progressiste dit « indépendant, qui a fait jadis partie du «< cabinet du salut public » de Diaz Ferreira en 1891. Les libéraux sont encore représentés dans le nouveau cabinet par le général Mathias Nunès, ministre de la guerre, et le docteur Manoel Antonio Moreira, chargé du portefeuille des finances. Quant au parti régénérateur, il s'est réservé la justice avec M. Campos Henriques, les affaires étrangères avec M. Wenceslas de Lima, qui a déjà occupé ce poste sous M. Hintze Ribeiro, et la marine avec l'amiral Augusto de Castilho, ancien aide de camp de don Carlos. Enfin, le cabinet compte un nationaliste catholique, le comte de Bretiandos, ministre des travaux publics.

Les nouveaux ministres se mirent assez vite d'accord sur la répartition des sièges des gouverneurs civils onze furent choisis parmi les regeneradores et dix parmi les progresistas.

Puis on fit table rase de l'œuvre ébauchée par Franco. On ouvrit toutes grandes les prisons à ses « victimes », on prit des mesures de clémence à l'égard des anciens fauteurs de troubles à tous on promit une prochaine et complète amnistie. L'enquête sur le régicide ne fut poursuivie que pour la forme, et, semble-t-il, pour complaire aux gouvernements étrangers, particulièrement à l'Angleterre; mais on sait très bien qu'elle n'aboutira à aucun résultat. Le gouvernement parut même hésiter devant les républicains et les dissidents. Il s'efforça de se les concilier en leur promettant, aux prochaines élections, plus de sièges qu'ils ne pouvaient en espérer, s'ils étaient laissés à leurs seules forces: sept aux dissidents, alors

1. J. FINOT, loco cit.

qu'ils n'avaient de chances de réélire qu'un seul député, à Lamego; et trois sièges aux républicains, en dehors de ceux qu'ils étaient à même de conserver à Lisbonne.

On avait allégé le budget du poids de la liste civile, augmentée par Franco. Un décret réintégra dans leurs fonctions les anciens conseils généraux, municipaux et de paroisse. Un autre revint sur la dissolution de la Chambre des députés, ainsi que sur la réforme de la Chambre des pairs. Il est vrai que les nouveaux députés, avant même d'entrer en fonctions, furent renvoyés constitutionnellement cette fois et qu'on convoqua de nouveau les électeurs pour le 5 avril. L'ouverture du Parlement était, en même temps, fixée au 29 avril, anniversaire de la Constitution.

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Cette dernière mesure fut critiquée de divers côtés. Peut-être eûtil été plus habile de convoquer les Cortès existantes, illégalement dissoutes par Franco, plutôt que de plonger le pays dans la nouvelle agitation qui devait résulter des élections générales. Mais cela n'eût pas fait l'affaire des régénérateurs, qui n'étaient que 30 dans la dernière Chambre contre 43 progressistes et 70 « franquistes ».

En dépit des gages fournis par le ministère, les républicains commencèrent une active campagne électorale. Ils tinrent, en divers points du royaume, des meetings retentissants. Ils présentèrent plus de quatre-vingts candidats, dont 10 pour Lisbonne, 10 pour Oporto, 3 pour Coimbre, 4 pour Bragance, etc.

Mais le succès ne répondit pas à leurs efforts. Les élections eurent lieu, le jour même qu'avait fixé M. Franco. Elles donnèrent lieu à des désordres sanglants dans la capitale, notamment sur la place DonPedro et en face de l'église Saint-Dominique. On ramassa dix morts et une centaine de blessés.

Les résultats furent, naturellement, à peu de chose près, ceux que l'on avait prévus. Pour 155 sièges, y compris les députés coloniaux (au nombre de sept) on relève 63 régénérateurs, 59 progressistes, 15 indépendants partisans de do Amaral, dont le rôle, comme celui des autres partis, demeure encore incertain), 7 républicains, 7 dissidents progressistes, 3 franquistes et 1 nationaliste.

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Bien qu'il soit impossible, comme nous l'avons dit, d'attacher à ces élections la moindre signification, le fait que les républicains n'ont pas cru pouvoir profiter des circonstances pour renverser la dynastie est par lui-même digne d'être souligné. C'est sans doute qu'ils ont senti que le peuple portugais, dans son ensemble, est foncièrement traditionaliste et conservateur; au dire de ceux qui l'ont étudié de près, il semble fatigué des révolutions. « Il est, a écrit M. Galtier, calme et paisible, et manque un peu d'initiative... >> Ceci explique que la République d'Oporto, en 1890, n'ait duré que quelques heures, et que le dernier mouvement révolutionnaire ait également échoué. L'attachement pour les Bragances, qui ont jadis délivré le Portugal du joug de l'Espagne, demeure profondément enraciné au cœur de la nation. A Lisbonne même, le peuple, revenant sur son indifférence du premier moment, commence à manifester un souvenir plus respectueux et plus ému à l'égard du roi assassiné dans l'esprit populaire, l'infortuné don Carlos restera comme O malo conseilhado, un souverain dont les conseillers ont gâté et dénaturé les bonnes intentions.

Il s'en faut, cependant, que la monarchie soit assise sur des fondements inébranlables. On ne peut nier que l'idée républicaine n'ait fait ces derniers mois d'inquiétants progrès les chefs du parti ont mis à profit chaque faute, chaque hésitation, chaque signe de faiblesse ou de crainte de la Couronne. A cet égard, si les gouvernants actuels à Lisbonne ont estimé que l'oubli du passé et la clémence étaient indispensables après la tragédie « romaine »>, comme on l'a appelée, de Terreiro do Paço, à l'étranger il a paru, au contraire, que cette politique ne travaillait pas précisément à renforcer la moralité publique, qui gagne toujours à ce que les actes aient leur sanction normale; dans le renvoi si brusque de Franco, dans cette précipitation de donner raison au régicide, on a vu des symptômes inquiétants pour la solidité du régime.

Les républicains ne se font pas faute de profiter de cet aveu inconscient de faiblesse. Ils annoncent à tout instant la chute imminente de la monarchie. Il est incontestable que l'inquiétude

causée par la dictature de Franco et par les heures d'angoisse qui ont précédé sa chute ont particulièrement servi la cause des républicains. Ce n'est pas seulement. parmi les « intellectuels » ou les miséreux qu'ils ont conquis des adeptes; c'est aussi dans la bourgeoisie et dans l'armée, dans les milieux aristocratiques comme dans le monde des fonctionnaires. Il fut même un moment où beaucoup de propriétaires et de capitalistes, peu confiants dans la monarchie pour assurer l'ordre, ne virent de salut que dans l'avènement de la République. Mais leur enthousiasme a diminué aujourd'hui les projets des républicains en matière fiscalé et sociale, dont ils ont fait leur plate-forme électorale, ne sont guère - il faut l'avouer de nature à séduire les possidentes.

Les républicains portugais affirment qu'on ne peut trouver dans le monde entier de parti politique aussi bien organisé que le leur 1. Mais il est permis de leur répondre que ce système d'organisation, si parfait soit-il, reste tout théorique et qu'il n'a pas fait ses preuves. Les républicains, unis dans l'opposition, pourraient bien ne plus l'être, s'il leur arrivait de s'emparer du pouvoir. Dès à présent, il est même possible de noter chez leurs principaux leaders des divergences d'opinion qui ne pourront que s'accentuer dans la suite, car elles correspondent à des différences profondes de tempérament. Ils n'ont pas, en réalité, de chef indiscuté la jefatura est divisée entre cinq ou six directeurs. Le chef en titre, celui que l'on regarde comme le futur président de la République, si la République venait à s'établir au Portugal, -Bernardino Machado, joue dans le parti un rôle analogue à celui de Salmeron chez les républicain s espagnols: « C'est, dit M. Galtier, une figure décorative, un buste qu'on pourrait placer, couronné de lauriers, sur les ruines de la monarchie... Sa douceur patriarcale ne le désigne pas à prendre la direction des troupes républicaines pour une action vigoureuse et sans merci 2. » Le dernier mouvement révolutionnaire a été, en fait, dirigé par un très petit nombre de républicains Alfonso Costa, qui, «< par son àge et son tempérament, a joué et jouera sans doute un rôle en évidence dans les manifestations de la rue >>;

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1. Déclaration de M. Machado au rédacteur de la Frankfurter Zeitung (21 février).

2. Dans le Temps du 26 novembre 1907.

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