Sivut kuvina
PDF
ePub

spontanéité ouvrière » a été exposée chez nous par Griffuelhe. «L'action syndicaliste, a dit celui-ci, n'est pas commandée par des formules. Elle n'est pas davantage une manifestation se déroulant suivant un plan prévu par nous d'avance. Elle consiste en une série d'efforts quotidiens rattachés aux efforts de la veille non par une continuité rigoureuse, mais uniquement par l'ambiance et par l'état d'esprit régnant dans la classe ouvrière. » Mais, par suite de la différence de race, de caractère, cette spontanéité ouvrière est en France violente, révolutionnaire: elle est en Allemagne plus lourde et plus pondérée.

Les principaux moyens employés par les syndicalistes sont la grève et le boycottage. Les grèves, en ces dernières années, ont été fréquentes en Allemagne mais elles se heurtent souvent aux coalitions patronales ou « lock out », tactique employée en Allemagne plus souvent qu'en France.

Quelle a été l'attitude de la classe ouvrière allemande vis-à-vis d'une idée très discutée au cours des dernières années, l'idée de grève générale? C'est probablement parmi les plus révolutionnaires du syndicalisme, indépendants ou localistes, que cette idée a pris naissance. Vers 1902, les théoriciens du parti socialdémocrate, Rosa Luxembourg, Kautsky, Bernstein commencèrent à l'étudier. Au congrès syndicaliste de Cologne, en 1905, deux partis se trouvèrent en présence, l'un, de beaucoup le plus nombreux, composé d'éléments modérés et hostiles à la grève générale, l'autre plus révolutionnaire et favorable à la grève. Suivant l'un des orateurs modérés, la grève générale, pour être efficace contre la bourgeoisie, devrait durer de vingt à trente jours. Un autre modéré, Bœmelburg, prononça la fameuse phrase « Les syndicats, avant tout, ont besoin de tranquillité ». D'autre part, von Elm, tout en combattant la grève générale offensive, soutint que la grève générale défensive pouvait avoir son utilité. Finalement la grève générale fut repoussée à une grande majorité il n'y eut que sept voix en sa faveur. Les syndicalistes se rendaient compte que c'était une arme à deux tranchants qui pouvait être aussi dangereuse pour eux que pour la bourgeoisie, qui pouvait épuiser leurs ressources et les obliger à capituler.

La question revint au congrès du parti tenu la même année à léna. Bebel et les chefs du parti ne voulurent pas être aussi affir

matifs contre la grève générale que les syndicalistes, et firent voler par le congrès une résolution dans laquelle il était dit que, « dans le cas d'attentat contre le suffrage universel ou le droit de coalition, le congrès considérait comme un des moyens les plus efficaces l'emploi le plus étendu possible de la cessation du travail par les

masses >>.

Il y avait donc une sorte de flottement sur ce point, et l'on pouvait croire à une divergence de vues entre syndicalistes et socialdémocrates. Mais, dans les mois qui suivirent le congrès d'léna, Bebel et ses amis s'assagirent et, au congrès de Mannheim, en 1906, ils firent voter une résolution, un peu obscure dans la forme, mais qui en réalité signifiait que les membres du parti se rangeaient à la modération des syndicalistes et repoussaient la grève générale. Celle-ci restait en définitive une sorte d'ultima ratio, un moyeu extrême auquel on ne devait recourir que dans des circonstances exceptionnellement graves.

Notons que, sur la question de l'antimilitarisme, les syndicalistes allemands sont peut-être encore plus prudents que les membres du parti. En voici la preuve. Après les événements du Maroc et la tension des rapports franco-allemands, Griffuelhe se rendit à Berlin pour proposer à la Commission générale des syndicats de protester contre l'éventualité d'une guerre 1o par une démonstration simul tanée à Paris et à Berlin; 2o par la réunion d'une conférence extraordinaire des confédérations des deux pays. Les syndicalistes refusèrent en se retranchant derrière la différence de buts poursuivis dans les deux pays par les syndicats. « En Allemagne, dirent-ils, les syndicalistes n'ont pas de visées politiques, mais seulement des visées professionnelles. Adressez-vous aux socialdémocrates. » Mais Singer, président du groupe socialdémocrate au Reichstag, refusa à son tour de traiter directement avec Griffuelhe sans passer par l'intermédiaire du parti socialiste unifié français. Et ce prétexte lui permit d'éluder la réponse. Griffuelhe revint à Paris sans avoir rien obtenu.

Les syndicalistes emploient aussi, pour améliorer leur sort, des moyens plus pacifiques que la grève. Ils parviennent, dans certaines professions, à conclure avec les syndicats patronaux des contrats collectifs de travail et à établir des tarifs communs. Ce sont A. TOME XXIII. 1908.

34

surtout les imprimeurs qui ont donné l'exemple dans cette voie. Ils ont, vers 1896, établi des tarifs communs applicables à toute l'Allemagne moins l'Alsace. Deux comités, composés en partie égale de patrons et d'ouvriers, sont chargés de veiller à l'exécution des tarifs pour trancher les difficultés qui peuvent s'élever à leur occasion, on a créé des tribunaux arbitraux.

Tous les syndicalistes allemands ne sont pas marxistes: un certain nombre d'entre eux font partie de syndicats fondés par des libéraux ces syndicats, dont l'entrée n'est permise qu'à ceux qui déclarent repousser les doctrines collectivistes, sont appelés « syndicats Hirsch-Dunker », du nom de leurs principaux fondateurs, le Dr Hirsch et le député Dunker. C'est en 1868 que les premiers syndicats libéraux furent organisés sur le modèle des trade-unions: au lieu de faire appel à la lutte de classes, ces syndicats cherchaient à établir une conciliation entre les intérêts des ouvriers et ceux des patrons.

Ces syndicats, qui ont progressé d'une façon lente mais assez régulière, comptent actuellement environ 118,000 membres. Ils comprennent surtout deux grands syndicats, celui des mécaniciens et celui des «< manoeuvres et ouvriers de fabriques ».

A la base de ces associations on trouve des groupes locaux, des Ortsvereine, dont l'ensemble forme le syndicat proprement dit ou Gewerkverein. Tous ces Gewerkvereine réunis forment une fédération générale ou Verband qui tient des congrès tous les trois ans et qui a pour organe permanent un Conseil ou Centralrath; parmi les membres du Centralrath nous remarquons un personnage important, l'Anwalt ou conseiller juridique de la fédération c'est le cerveau directeur de ce groupe de syndicats en fait, l'Anwalt a été pendant plus de trente ans le Dr Hirsch lui-même.

Les tendances de ces groupes sont plus pacifiques que celles des syndicats marxistes. Dans leur tactique, ils mettent la persuasion, l'entente avec le patron au premier plan, la grève au second plan. Ce que le Dr Hirsch a surtout cherché à créer, ce sont des tribunaux de conciliation ou d'arbitrage entre patrons et ouvriers mais il faut avouer qu'il n'y a pas souvent réussi.

Enfin il existe en Allemagne un troisième groupe de syndicats, les syndicats chrétiens, de formation récente. Ils ont été fondés sous l'influence des deux grandes associations catholiques, << l'Union catholique des industriels et amis des ouvriers » et « l'Association populaire de l'Allemagne catholique ». Cette dernière association, très nombreuse, placée sous la direction du parti du Centre au Reichstag, a une grande influence dans les régions catholiques'.

C'est dans la fameuse région industrielle de la vallée de la Ruhr, parmi les mineurs, que s'organisa, en 1894, le premier syndicat chrétien, le « syndicat des mineurs chrétiens du district de Dortmund ». Des syndicats analogues se formèrent dans les années suivantes, notamment parmi les employés de chemin de fer, et, en 1899, le premier congrès d'ensemble de ces syndicats se tint à Mayence 38 délégués y représentèrent 100,000 ouvriers. Au 1er janvier 1905 ces syndicats comptaient 274,000 adhérents; ils en comptent probablement aujourd'hui plus de 300,000.

Nous retrouvons dans les Gewerkvereine chrétiens les trois divisions que nous avons déjà rencontrées dans les autres groupes, à savoir groupements locaux, Gewerkvereine proprement dits ou Centralverbande, union générale ou Gesamtverband avec des assemblées régulières, un comité, un bureau directeur.

Ces syndicats ont un journal, les Mitteilungen, fondé en 1901 à München-Gladbach.

Ils présentent un caractère intéressant ils ne sont, en théorie du moins, ni catholiques, ni protestants: ils sont chrétiens, interconfessionnels les buts confessionnels y sont subordonnés aux buts sociaux.

La tendance de ces syndicats est aussi pacifique que celle des libéraux ils sont réformistes et ne réclament que des améliorations partielles, sans bouleversement catastrophique de la société : cependant ils ne reculent aucunement devant l'emploi de la grève. De même que l'influence de Legien domine parmi les syndicats marxistes, c'est celle du mineur Auguste Brust qui domine dans les syndicats chrétiens.

1. Deux pasteurs, MM. Stoker et Naumann, ont cherché à pousser aussi les ouvriers protestants à former des syndicats chrétiens.

Il existe aussi en Allemagne un mouvement coopératif, moins étendu peut-être qu'en Angleterre, mais encore considérable. L'esprit associationniste des Allemands ne pouvait pas négliger cette forme de groupement dont les avantages économiques sont évidents.

Ce mouvement, organisé entre 1850 et 1860 par Schulze-Delitsch, est resté longtemps sous la direction des idées libérales : les éléments prépondérants étaient des éléments artisans et petit bourgeois ». Mais, depuis une dizaine d'années, ces sociétés coopératives ont changé de caractère les éléments ouvriers et socialistes s'y sont introduits et multipliés avec une vitalité singulière. Les ouvriers · ont surtout fondé des coopératives de consommation, tandis que les coopératives de crédit restaient entre les mains des petits bourgeois ou des paysans petits propriétaires.

Les coopératives de consommation sont donc en quelque sorte les alliées du parti socialiste et des syndicats. Bernstein leur est ouvertement favorable: von Elm, un des anciens chefs du syndicalisme, fait beaucoup de propagande pour elles. Enfin le congrès du parti réuni à Hanovre en 1899, sans leur attribuer un rôle décisiť, a estimé que ces sociétés pouvaient introduire de sérieuses améliorations dans la situation économique de leurs membres.

L'« Union générale des coopératives allemandes », organisme central des sociétés coopératives non agricoles chez qui était resté prédominant l'esprit libéral, a fait en 1902 une sorte de coup d'état en expulsant de son sein 98 coopératives de consommation qu'elle jugeait trop imbues d'esprit socialiste.

La plupart des coopératives de consommation se joignirent aux sociétés expulsées et fondèrent avec elles l'« Union générale des Sociétés de consommation allemandes ».

Le nombre des sociétés coopératives allemandes est considérable : il est d'environ 14,000, avec plus de 2 millions de membres'.

Ce mouvement socialiste allemand, si important et si bien organisé, fait-il encore des progrès, ou bien, après une effervescence considérable, a-t-il atteint le niveau des hautes crues et reste-t-il stationnaire, ou même est-il en décroissance? On peut se poser cette

1. Et ces chiffres ne sont pas tout à fait récents.

« EdellinenJatka »