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question puisque, aux dernières élections pour le Reichstag, le parti socialdémocrate a essuyé un sérieux échec.

Nous croyons pour notre part que ce n'est là qu'un recul accidentel ayant des causes spéciales et que les tendances socialistes sont en Allemagne plutôt en voie d'accroissement que de décroissance.

Les élections de 1907 ont été défavorables aux socialistes pour les raisons suivantes : 1° Beaucoup de « bourgeois » qui s'étaient abstenus en 1903, ont voté en 1907 parce qu'il s'agissait d'une question d'honneur national, et, d'autre part, parce qu'ils avaient été effrayés par le spectre de la Révolution russe et par les menaces de grève générale qui avaient eu lieu l'année précédente; 2o Beaucoup de paysans ont été mécontents de la campagne menée par les socialistes en faveur de l'abaissement du prix de la viande et du bétail, et ont voté pour les agrariens; 3° Les partis conservateurs ont mené une campagne très active contre les socialistes: une société politique, le Reichsverband, fondée en 1903 par des agrariens, a lutté avec une àpreté des plus caractérisées, et le Flottenverein a également jeté dans la balance électorale, du côté conservateur, des fonds importants (d'origine privée, prétend cette ligue, mais peutêtre d'origine gouvernementale, ont prétendu les centristes et les socialistes).

Malgré ces circonstances spéciales, les voix socialistes ont encore augmenté de 248,000. Et les socialistes font remarquer que si la délimitation électorale n'avait pas été maintenue telle qu'elle était en 1869, malgré l'énorme accroissement de la population, ils devraient avoir, avec leurs 3 millions de voix, 116 députés au lieu de 43. Mais le gouvernement a bien soin de ne pas faire ce remaniement de circonscriptions qu'il sait devoir lui être défavorable.

Si le parti socialdémocrate n'est pas en décroissance, que dire des syndicats? Pour ceux-ci, les chiffres sont d'une éloquence formidable. En 1904 les syndicalistes marxistes étaient au nombre de 1,116,000 à la fin de 1907 leurs 65 organisations comprenaient 1,880.000 adhérents.

Cette machine redoutable qu'est le socialisme allemand a-t-elle des chances de réussir, placée qu'elle est en face de cette autre redoutable machine, le gouvernement impérialiste, militaire et fonctionnariste de l'Allemagne?

Il y a plusieurs sortes de réussites en matière de socialisme. La réussite totale, le bouleversement catastrophique de l'ordre établi, l'arrivée du grand soir ou de l'aube triomphale, nous ne croyons. pas que le socialisme allemand soit en état de l'obtenir de longtemps. Mais il y a une autre réussite possible, c'est l'obtention lente el progressive de réformes économiques, et celle-là, peut-être, le socialisme allemand pourra-t-il l'obtenir un jour grâce à ses caractères particuliers. Certes il n'a pas l'audace du socialisme français et ne monte pas avec la même désinvolture à l'assaut de la société capitaliste: c'est ce qui permet à l'écrivain socialiste Berth de dire « Le socialisme allemand ne constitue plus maintenant qu'une force conservatrice et réactionnaire dans le socialisme international ». D'autre part, il n'a pas le fanatisme aveugle et terrifiant du révolutionnarisme russe. Mais il a, comme ces autres socialismes, une foi ardente qui a permis assez justement de comparer le mouvement socialiste à un mouvement religieux d'un genre spécial, et de plus il a sa ténacité, il a la profondeur de ses masses, la solidité de sa structure. Il n'aboie pas, mais il gronde sourdement, comme un ours puissant, et il avance. Il réfléchit avant d'agir et cela vaut mieux pour le progrès final que d'agir sans réfléchir. « Si un Allemand a une tache à son habit, a dit un jour le vieux Boerne, il étudie d'abord la chimie, puis il enlève la tache. » L'ouvrier allemand n'a pas encore enlevé les taches dont il juge que sa situation économique est souillée, mais il étudie la

chimie sociale.

Si donc la réussite du socialisme allemand sous sa forme collectiviste pure nous semble peu réalisable, il n'est pas impossible que les idées réformistes d'un Bernstein ou la tactique pratique d'un Legien n'obtiennent un jour gain de cause pour celles de leurs réclamations qui sont compatibles avec la stabilité générale de la nation allemande.

GASTON ISAMBERT.

LES SAINT-SIMONIENS & LES CHEMINS DE FER

L'ÉLABORATION DU RÉSEAU

La division, désormais classique, des doctrines socialistes en socialisme utopique et en socialisme scientifique, celui-ci embrassant les systèmes émis depuis 1848 et celui-là les théories antérieures à cette époque, peut donner à croire que le Saint-Simonisme, par cela même qu'il appartient à la période utopique, ne fut qu'une doctrine idéale, sortie toute construite du cerveau d'un rêveur, et sans rapport aucun avec les réalités et les faits. Ce serait là une erreur. Car, de toutes les théories socialistes, le Saint-Simonisme est peut-être la seule qui ait rendu service à l'humanité, en amenant une amélioration considérable dans la condition des hommes et dans les relations internationales.

Saint-Simon et ses disciples ont su, par la place qu'ils ont faite dans leur doctrine à l'exécution des grands travaux publics, entraîner des financiers et des ingénieurs à se lancer dans des entreprises considérées à cette époque comme hasardeuses, et ce sont les Saint-Simoniens qui, par leurs écrits et par leur action, ont fait naître et prospérer en France l'industrie des chemins de fer. C'est ce rôle, encore aujourd'hui peu connu, des Saints-Simoniens que nous voudrions mettre en lumière dans cette étude.

Après avoir dit quelques mots de Saint-Simon et de son système industriel, car on y trouve l'origine des théories professées plus tard par ses disciples, nous examinerons l'importance prise dans leur doctrine par les grands travaux publics, afin de nous expliquer comment elle a pu séduire des ingénieurs et des financiers; puis nous passerons en revue les principaux écrits des Saint-Simoniens sur les chemins de fer, appréciant le mouvement d'opinion qu'ils sont arrivés à créer en leur faveur, et la part qu'ils ont prise à

l'élaboration du réseau. Il nous restera alors à voir, dans un second article, ces ingénieurs et ces financiers à l'œuvre, prêtant leur concours à l'exécution des lignes les plus importantes, et assurant par leur collaboration le succès de cette industrie en France.

Claude-Henry de Rouvroy, comte de Saint-Simon, débuta, comme tout noble à cette époque, dans la carrière des armes; c'était en 1777 il avait alors dix-sept ans. En 1779, il partit pour l'Amérique combattre en faveur de l'indépendance des colonies anglaises. Il se battit bien; mais, comme il l'avoue lui-même, la guerre l'intéressait peu et il se sentait plus d'inclination pour les travaux pacifiques. Aussi profita-t-il de son séjour en Amérique pour proposer au vice-roi du Mexique l'exécution d'un canal, qui aurait relié les deux océans; mais ce projet d'un canal de Panama ne reçut qu'un accueil assez froid.

Rentré en France, Saint-Simon quitta l'armée et se mit à voyager. Après avoir suivi les cours de Monge à Metz et parcouru la Hollande, il alla en Espagne : là il prépara, avec un financier célèbre, le comte de Cabarrus, un projet de canal entre Madrid et la mer. A la suite de l'insuccès de cette proposition, il se rendit en Andalousie, où il fonda une entreprise de messageries, donnant ainsi un nouveau témoignage de l'intérêt qu'il portait au développement des moyens de communication.

Vint la Révolution Saint-Simon s'enrichit en spéculant sur les biens nationaux. Puis persuadé qu'il avait une mission sociale à remplir et convaincu que pour s'en bien acquitter il lui faudrait des connaissances scientifiques, il résolut d'étudier les sciences physicomathématiques; il s'installa en face de l'École Polytechnique et en suivit les cours pendant trois ans. Convaincu que « les savants sont appelés à être les chefs des peuples », il estime alors qu'il ne suffit pas de connaître la science; mais qu'il est non moins utile de connaître les savants: il organise à ses frais des cours gratuits sur les matières enseignées à l'École Polytechnique, s'entoure de savants, encourage les jeunes gens, ouvre un salon « où il veut élaborer la philosophie des sciences en voyant vivre sous ses yeux la tête de l'humanité ».

On retrouve cette idée de la prédominance des savants dans ses Lettres d'un habitant de Genève, où il soutient que « le gouvernement appartient de droit à ceux qui savent »>.

Désormais la théorie qu'il va présenter, développer et soutenir, ne va plus varier : une nation n'est qu'une grande « société d'industrie» et « la société est l'ensemble et l'union des hommes livrés à des travaux utiles. » Par conséquent « le but unique où doivent tendre toutes les pensées et tous les efforts, c'est l'organisation la plus favorable à l'industrie ». Et il résume toute sa doctrine en cette phrase qu'il inscrit en exergue sur son Catéchisme des Industriels: « Tout par l'industrie, tout pour elle. »

L'intérêt des gouvernants ainsi que des gouvernés, c'est « d'accroitre l'importance politique des industriels »; la mission que Saint-Simon a reçue, c'est précisément « de faire sortir les pouvoirs politiques des mains du clergé, de la noblesse et de l'ordre judiciaire pour les faire entrer dans celles des industriels 2 »; le devoir du roi est de leur remettre le pouvoir, comme le devoir des industriels est de réclamer le pouvoir au roi.

Les seuls hommes utiles, ce sont les savants, chargés de la découverte des lois de l'exploitation du globe; les industriels, chargés de l'administration; et les artistes, chargés d'éclairer la marche ou de la håter, grâce à leur inspiration ou à leur intuition.

Telles sont, brièvement résumées, les idées les plus importantes, à notre point de vue, contenues dans les écrits de Saint-Simon. Sans doute, il n'y est nulle part question de chemins de fer mais comment en serait-il autrement à une époque où personne, en France, ne parlait encore de cette invention? Car, comme nous le verrons, les Saint-Simoniens furent moins des inventeurs que d'admirables vulgarisateurs. Mais par la place donnée dans sa vie aux travaux publics et dans ses écrits à l'industrie, par la prédominance qu'il veut assurer aux savants et aux industriels, Saint-Simon a séduit des ingénieurs et des financiers et suscité chez ses disciples l'idée de donner la première place à l'industrie et aux travaux publics, donc plus tard aux chemins de fer, dans la doctrine qu'ils allaient édifier d'après les écrits du maître.

1. L'Industrie, p. 35.

2. Système industriel, p. 167.

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