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Quand il mourut, au mois de mai 1825, Saint-Simon projetait de fonder avec quelques amis un journal de propagande, le Producteur. Le maître mort, ses disciples, parmi lesquels se trouvaient un ancien répétiteur à l'École Polytechnique, devenu banquier, Olinde Rodrigues, et un ancien Polytechnicien, également placé dans une maison de banque, Prosper Enfantin, ses disciples fondèrent une société pour publier le journal annoncé. On pouvait remarquer sur la liste des souscripteurs trois noms qui allaient devenir célèbres par les chemins de fer: Mellet, Emile et Isaac Péreire. La rédaction de ce journal fut confiée à un ancien conspirateur, Cerclet, qui devint par la suite maître des requêtes au Conseil d'État et membre de la commission des chemins de fer en 1837.

Le premier article du Producteur, Journal de l'Industrie, des Sciences et des Beaux-Arts, est consacré à une institution, dont la création est jugée indispensable par les Saint-Simoniens: la << Société commanditaire de l'industrie» on peut voir dans cette banque, qui devrait « commanditer les entreprises industrielles de tout genre », l'idée première du fameux Crédit Mobilier, qui, fondé en 1852 par les frères Péreire, fut d'un grand secours pour les entreprises de chemins de fer.

Cette invention, venue d'Angleterre, avait à peine fait son apparition en France, dans la région de la Loire, que déjà le Producteur en exposait à ses lecteurs les principaux avantages: ce journal en avait parlé, de façon incidente, dès 18232; mais la question n'y fut traitée sérieusement qu'en 1826.

Dans un article sur « Les routes à ornières de fer, comparées avec les canaux et les routes ordinaires 3 », J.-J. Dubochet montre que de toutes les inventions « il en est peu qui promettent des avantages plus généraux que l'établissement d'un système de communications intérieures, par le moyen de routes à ornières de fer»; il y a là « une source vierge et abondante de richesses et d'amélioration sociale »>,

1. Le Producteur, t. I, p. 11.

2. Ibid., t. I, p. 230 et p. 389.

3. Ibid., t. II, pp. 5 et ss., pp. 97 et ss.

car ce moyen de transport est moins coûteux, plus rapide et plus sûr que tous ceux employés jusqu'à ce jour. Il développe même cette idée, peu commune à cette époque, où l'on n'envisageait encore que le transport des produits, que ces chemins de fer pourraient servir au transport des voyageurs : « avec une facilité et une célérité de communication si grandes,... les rapports d'homme à homme, de province à province, de nation à nation seraient prodigieusement accrus. » Et J.-J. Dubochet avance « avec confiance que l'usage général des chemins à ornières et des voitures à vapeur, pour toutes sortes de communications intérieures... est peut-être destiné à opérer une plus grande révolution dans l'état de la société civile que la grande découverte de la navigation elle-même. »

Sa conclusion, c'est que « l'opportunité de leur adoption est évidente. La question, selon nous, est tellement importante, qu'elle aurait déjà dû exciter la sollicitude des industriels et occuper les veilles des savants... Nous leur soumettons en ce moment la question des communications intérieures d'un pays et de l'établissement de routes à ornières de fer et de machines à vapeur mobiles comme système général de communications et de transport. >>

En octobre 1826, le Producteur cessa de paraître: son existence avait été de courte durée, mais son rôle n'avait pas été nul; car, en traitant du développement industriel et scientifique, il avait aidé à fonder l'École.

Cette école ne comprenait encore qu'un petit nombre de membres; les conversions étaient rares; c'était auprès des Polytechniciens que l'on réussissait le mieux « Il faut, écrivait Enfantin, que l'École Polytechnique soit le canal par lequel nos idées se répandent dans la Société 1. » Et il avait organisé chez lui des réunions auxquelles étaient invités tous les Polytechniciens se trouvant à Paris: Mellet et Léon Talabot y vinrent des premiers; ces adeptes lisaient et faisaient lire autour d'eux le Producteur.

Ainsi l'École Polytechnique fournit les premiers disciples, ceux qui devinrent les plus ardents, et qui vont se montrer aussi les plus chauds partisans des chemins de fer: Michel Chevalier, Henri Fournel, etc.

1. OEuvres de Saint-Simon et d'Enfantin, t. XXIV, p. 86.

L'un d'eux, Fournel, s'était déjà distingué en traçant, dès 1825, le plan d'un réseau de chemins de fer, en vue de conjurer la ruine prochaine des industries de la Champagne.

Ces disciples se consacrèrent à l'exposition de la doctrine édifiée d'après les idées du maître; l'idée de la prédominance des savants et des industriels faisait naturellement le fond de cet enseignement. Peu à peu, sous prétexte de s'adresser non seulement aux esprits, mais aussi aux cœurs, la doctrine se transformait en religion; corrélativement, l'École se transforma en Église. Il y eut deux PÈRES, Enfantin et Bazard; un collège, dont firent partie Michel Chevalier, Fournel, Edmond Talabot, Gustave d'Eichtal; des membres du second degré, comme Émile et Isaac Péreire; des membres du troisième degré, comme Jules Séguin, Capella; enfin, des catéchumènes. Léon et Paulin Talabot, Lamé, Clapeyron firent aussi partie de cette phalange d'ingénieurs saint-simoniens, dont nous venons de citer les principaux.

Enfin, au nombre des disciples les plus convaincus et les plus actifs se trouvaient deux hommes de lettres, qui devaient plus soumettre leur plume au service de la cause des chemins de fer, Charles Duveyrier et Emile Barrault.

Cette transformation de l'École en Église n'avait pas été sans provoquer une opposition et il y avait eu quelques défections. Mais le vide produit allait bientôt être comblé; à « l'expansion silencieuse >> succéda la propagande, et dès lors les conversions se firent plus nombreuses:

Cette propagande, les Saint-Simoniens l'exercèrent par plusieurs moyens ils firent de nombreuses conférences à Paris; ils organisèrent des missions en province et à l'étranger; enfin ils répandirent leurs idées par la voie du journal.

En juillet 1829, Laurent, l'un des disciples les plus convaincus, fonda l'Organisateur; mais lorsque le Globe, le grand journal libéral de l'époque, cut passé, au mois de novembre 1830, aux mains des Saint-Simoniens, ce fut lui qui devint l'organe de l'École.

La direction en fut confiée à Michel Chevalier, et cette fonction,

nous dit un de ses biographes, << ne contribua pas peu à fonder la réputation de M. Michel Chevalier, outre qu'elle le mit en relation avec certains hauts personnages de robe et de finance, à demi Saint-Simoniens, mais trop prudents pour l'afficher, et qui, d'ailleurs, étaient encore bien éloignés d'accepter toutes les idées nouvelles1».

Le Globe reprend et développe la doctrine telle qu'elle résulte de l'exposé qui en est fait dans les conférences et au cours des missions; il proclame la suprématie de l'industrie, réclame le pouvoir pour les savants et les industriels. Pour relever l'industrie et améliorer la condition sociale des travailleurs, il faut réorganiser le crédit, supprimer les lignes de douane, travailler à établir la paix universelle, enfin entreprendre de grands travaux publics.

Ainsi le Globe se trouve amené à réclamer la création de chemins de fer il mène alors en leur faveur une campagne qui ne tarde pas à devenir très active et qui finira par porter ses fruits.

Au début, le Globe n'avait parlé des chemins de fer que de façon accidentelle ; mais bientôt « le passé s'écroule, l'avenir surgit », et l'avenir, c'est le régime de l'industrie elle met au service de l'homme, l'eau, le fer et le feu « qui, sur un chemin de fer, plus rapides que des coursiers, entraînent de lourds chariots ».

4

Le 10 décembre 1831, la question des chemins de fer est, pour la première fois, sérieusement traitée : l'auteur de l'article, probablement M. Chevalier, après avoir déploré que, depuis les événements de Juillet, les gouvernements européens eussent « dans leurs préoccupations guerrières» dépensé 1 400 millions « pour se faire peur les uns les autres », supposait qu'« animés de l'esprit de paix et d'association », ils eussent employé cette somme à « établir entre les villes principales de l'Europe un système de communications. auprès duquel toutes les merveilles des voies de transport anglaises n'eussent été que de mesquines entreprises ». Ils auraient exécuté un chemin de fer reliant Cadix, Madrid, Paris, Berlin, Posen, Varsovie, Saint-Pétersbourg, en passant par les villes princi

1. G. Biard, Biographie véridique de M. Michel Chevalier, p. 17 (Paris, 1842). 2. Le Globe, 4 avril 1831 et nos suivants.

3. Ibid., 29 juin, 8 septembre, 26 octobre 1831.

4. Ibid., 15 août 1831.

pales de chaque pays; on aurait ensuite établi en croix sur cette ligne immense des routes en fer allant de Barcelone à Lisbonne par Madrid, de Marseille au Havre par Paris, de Breslau à Hambourg par Berlin, etc. Ce magnifique réseau de 1400 myriamètres ne coûterait que les 1 400 millions « si stérilement dépensés en armements » et «< son exécution changerait la face de l'Europe ».

Mais il ne suffisait pas de demander des chemins de fer; une autre question se posait aussitôt qui est-ce qui les exécuterait? Dans une série d'articles sur les « travaux publics », l'un des apôtres, Stéphane Flachat, étudie cette question, qui, quelques années plus tard, fera au sein des Chambres l'objet de longues discussions, retardant l'exécution du réseau français. En particulier, St. Flachat dénonce, avec une grande justesse de vue, les abus auxquels donnera lieu le système de l'adjudication; car ce procédé, fréquemment employé sous la Monarchie de Juillet, contribuera à provoquer, en 1847, une crise terrible pour les entreprises de chemins de fer.

Michel Chevalier s'emploie activement à cette propagande industrielle; à plusieurs reprises, il demande au gouvernement d'« imprimer à la société une immense activité pacifique, par la création d'un vaste ensemble de communications, chemins de fer, canaux, routes; par l'établissement d'institutions de crédit...; par la fondation... de hautes écoles où seraient formés les officiers de l'armée pacifique des travailleurs ».

Mais ce qui devait surtout appeler l'attention sur M. Chevalier en même temps que sur la campagne menée par les Saint-Simoniens en faveur des chemins de fer, ce fut son Système Méditerranéen, qui eut un grand et légitime retentissement 3.

M. Chevalier commence par y démontrer « l'immense utilité des chemins de fer pour améliorer le sort des nations », car de tous les moyens de communication, c'est le plus facile et le plus rapide; et il évoque le jour où « un voyageur, parti du Havre de grand matin, pourra venir déjeuner à Paris, diner à Lyon et rejoindre le soir

1. Le Globe, 1, 12 et 29 décembre 1831, 7 et 20 janvier 1832.

2. Ibid., 14 et 18 janvier 1832.

3. Ibid., 20 et 31 janvier, 12 février 1832; ou Politique industrielle. Système de la Méditerranée (Paris, 1832).

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