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des peuples. Qu'est-ce en effet que cette singulière procédure de délimitation de sphères d'influence, taillées dans le domaine du voisin que l'on n'a garde de consulter, sinon l'expression assez brutale de convoitises à peine dissimulées?

Les traités de ce genre sont évidemment fort contestables au point de vue juridique. Qu'il s'agisse de prendre hypothèque sur le Maroc, de déterminer le futur réseau des chemins de fer éthiopiens, de régler l'avenir de la Tripolitaine, de l'Afghanistan, du Thibet, de la Perse, les puissances étrangères qui émettent cette prétention ne peuvent invoquer comme raison de leur immixtion que l'éternel quia nominor leo. Nous sommes loin des beaux principes de la paix par le droit. Les gens pratiques diront, sans doute, que c'est déjà fort beau d'assurer la paix tout simplement. Argument qui ne manque pas de force. La fin justifie les moyens. Mais cette fin, il faut l'atteindre. Des événements récents sont là pour prouver que parfois le calcul, dont les opérateurs avaient bien cru déterminer tous les facteurs, renferme des inconnues qui se révèlent à l'improviste. Les ambitions, s'étalant au grand jour, par le seul fait qu'elles cherchent à se concilier, à se faire leur part, éveillent des convoitises latentes. L'appétit vient à voir manger. Les accords ne lient que contractants. D'autres peuvent réclamer leur part à la curée. C'est l'histoire du Maroc. Sera-ce celle de la Perse? Espérons que non, mais n'oublions pas le tertius gaudens.

les

C'est là un premier point faible des accords du genre de l'entente anglo-russe. Il y en a d'autres. Les accords qui visent l'avenir sont essentiellement temporaires, car les vues de l'homme sur le futur sont essentiellement limitées. Les clauses acceptées par l'Angleterre et la Russie répondent au sentiment que les deux puissances ont actuellement de leurs intérêts. Combien de temps cette conception sera-t-elle exacte. L'immense empire moscovite affaibli par une crise pénible éprouve un pressant besoin de recueillement. Mais qui oserait soutenir que, dans une période indéterminée, retrempé dans l'épreuve, ses forces renouvelées il ne ressentira pas de nouveau le besoin d'expansion, la hantise de la mer libre, il ne se trouvera pas à l'étroit dans la zone qu'il juge aujourd'hui suffisante? Il en va de même de l'Angleterre. Assagie par la guerre sud-africaine, préoccupée d'une grave évolution sociale, inquiète des progrès d'un

rival redoutable, elle limite son effort, concentre ses forces. Mais plus tard?... Jamais elle ne renoncera à la primauté en Asie.

L'accord anglo-russe est donc limité dans le temps. C'est un point qu'il ne faut pas perdre de vue pour en apprécier la véritable portée. Cette caractéristique est si évidente que l'on est presque surpris de ne pas trouver une clause restrictive de durée. On l'a sans doute jugée superflue et on a préféré laisser faire le temps. C'est sagesse. Mieux que la volonté des hommes, l'activité des peuples orientera l'avenir. Ne cherchons pas à voir trop loin. Sir E. Grey et M. Isvolsky ont agi prudemment en se bornant à régler une entente qui, dans la mesure du possible, supprime toute chance de conflit pour une période assez longue. En cela, ils semblent avoir réussi. Concessions et profits sont assez équitablement partagés.

L'Angleterre obtient une garantie de sécurité pour la frontière de l'Inde, protégée désormais, sur le revers de la montagne, par une zone de couverture avancée s'étendant de la frontière chinoise au golfe Persique. Avantage inestimable si l'on en juge par l'obstination que les hommes d'État anglais ont apporté à sa réalisation. Et ce succès n'est vraiment pas acheté trop cher. Qu'abandonne la Grande-Bretagne? Les aléas d'une expansion chimérique au Thibet, les risques d'une politique de réaction violente contre l'influence moscovite en Perse. L'actif dépasse largement le passif.

Les avantages de l'accord pour la Russie sont moins apparents car ils sont, en quelque sorte, négatifs. On devait craindre à SaintPétersbourg de voir se renouveler dans l'Asie Centrale les difficultés éprouvées en Extrême-Orient, de ne pouvoir opposer à une vigoureuse offensive britannique que l'effort inférieur d'une puissance entravée par de grosses préoccupations internes. Le péril est conjuré. Force a été de faire la part du feu, d'abandonner quelques précieux atouts. L'essentiel est que les cartes maîtresses soient sauves, et elles le sont. La Russie garde en Perse, où sont ses principaux intérêts d'avenir, une position vraiment forte. Elle ne sacrifie pas définitivement les rêves d'expansion vers la mer et elle se ménage, pour une période de transition qui sera longue vraisemblablement, une large sphère d'activité économique. On pouvait craindre pis.

Ainsi, grâce à d'heureuses combinaisons d'équilibre, l'entente des

grands rivaux asiatiques le présente comme l'heureuse réalisation de mutuelles aspirations pacifiques. Elle offre de sérieuses garanties d'efficacité et conjure toute crainte d'un conflit prochain dans l'Asie Centrale. Par ce seul fait, elle ne saurait manquer d'avoir une répercussion opportune sur la politique mondiale et particulièrement sur la situation européenne. Il ne faudrait pourtant pas se laisser entraîner à tirer des déductions exagérées d'analogies plus apparentes que réelles. L'accord anglo-russe diffère beaucoup de l'accord anglo-français. Le traité Delcassé-Lansdowne du 8 avril 1904 a été une conclusion, l'aboutissement d'une évolution qui, par une habile préparation, a rapproché en Angleterre et en France non seulement les gouvernements mais les sentiments populaires. L'entente cordiale serait bien fragile, si elle ne reposait que sur la base d'une convention inégalement avantageuse. Elle a des racines plus solides dans les intérêts des peuples. Nous ne voulons pas dire qu'il n'existe pas entre les nations Anglaise et Russe des raisons analogues militant en faveur d'un rapprochement étroit, raisons dont des événements plus ou moins prochains feront ressortir la valeur. Mais nous n'avons pas à anticiper sur l'avenir. Considéré en lui-même le traité Grey-Isvolsky n'est qu'un point de départ. C'est une entente exclusivement diplomatique. Les peuples n'y ont aucune part. Sans attacher plus d'importance qu'il ne convient à certaines manifestations des libéraux anglais, on ne saurait méconnaître un état d'opinion assez caractérisé pour que le gouvernement de sir H. Campbell Bannerman ait cru nécessaire d'éviter toute discussion immédiate à la Chambre des Communes. La défiance des radicaux britanniques à l'égard du gouvernement du tzar ne désarme pas. Tant que subsisteront ces sentiments de la majorité du peuple anglais, ce serait une illusion que d'envisager un développement plus intime des relations Anglo-Russes.

Il n'est pas d'ailleurs démontré que l'on considère actuellement à Saint-Pétersbourg un tel développement comme désirable. De par sa situation géographique sans parler des solidarités polonaises -la Russie est tenue à de grands ménagements envers l'Allemagne. L'influence allemande trouve des appuis jusque dans l'entourage immédiat de Nicolas II. Impuissante à modifier l'orientation générale de la politique russe, qui reste basée sur l'alliance avec la

France, elle est assez forte pour paralyser toute tentative qui pourrait se proposer pour but d'entraîner la Russie dans une combinaison dirigée contre la puissance allemande. Le tzar a souligné cette nuance en précédant la signature du traité anglo-russe d'une entrevue avec le Kaiser à Swinemunde. Cette démarche a coupé court à toute interprétation tendancieuse du traité. Elle a fixé le principe directeur de la politique russe dans la période de recueillement politique de paix et d'équilibre. Surtout pas d'aventures. L'indication n'est pas superflue. L'accord anglo-russe était à peine signé que l'on a vu se manifester un curieux réveil des aspirations panslavistes, à l'occasion de la visite du grand-duc Vladimir à Sofia. Ces manifestations coïncidant avec la recrudescence des troubles en Macédoine, avec l'entrevue des ministres des affaires étrangères russe et austro-hongrois à Vienne, avec une intervention plus active de la diplomatie britannique dans les Balkans ont créé un certain malaise. On a pu se demander un moment si la Russie ne s'arrachait pas à l'hypnotisme asiatique que pour retomber sous la fascination du mirage du Bosphore. Le gouvernement russe est décidé à résister à cette tentation. Nous en avons recueilli l'assurance de la bouche même de M. Isvolsky.

La Russie n'a qu'une ambition pour le moment. Elle veut se régénérer par des réformes prudentes et reprendre en Europe le rôle qui lui revient, qu'elle a trop longtemps abandonné pour la poursuite de dangereuses chimères. La France a souffert des erreurs qui ont faussé l'orientation de la Duplice et ont privé les deux peuples d'une partie des avantages qu'ils étaient en droit d'en attendre. Elle ne peut donc que se féliciter de voir son alliée revenir à une saine appréciation de ses intérêts.

L. DE ST VICTOR DE ST BLANCARD.

LE PARTI OUVRIER AU PARLEMENT ANGLAIS

Depuis les dernières élections le Parlement anglais compte un parti nouveau le Parti ouvrier, le Labour Party. Par son importance numérique, surtout par les forces politiques dont il est l'expression, ce parti semble destiné à un rôle considérable. Déjà en 1903, lorsqu'un candidat ouvrier, M. Will Crookes, présenté par le « Comité de la Représentation Ouvrière », fut élu à Woolwich, le Times écrivait : « Le sens trop clair de cette élection est que le mouvement ouvrier qui a détruit l'équilibre des partis sur le continent s'est manifesté également ici dans une forme pratique et que le pays aussi bien que les deux partis politiques doivent compter avec lui1».

Dans ces lignes le grand journal conservateur faisait preuve de clairvoyance, mais si telles étaient les réflexions qu'inspirait en 1903 le succès isolé d'une candidature ouvrière, quel bouleversement politique ne faut-il pas attendre du triomphe d'un parti organisé et résolu comptant 32 membres?

Pour beaucoup l'événement fut une surprise. Sans doute, il est exact que des circonstances extérieures ont pu accentuer encore le succès électoral du Labour Party. Mais son avènement à Westminster ne doit pas étonner, et ceux qui connaissent l'histoire du syndicalisme anglais le prévoyaient avec certitude. Car il n'est pas accidentel, ses causes sont profondes et le mouvement dont il procède peut être dégagé aisément.

Un tel examen s'impose, il nous permettra de mesurer la portée de la transformation politique qui résultera pour l'Angleterre de la présence du Parti Ouvrier au Parlement. Cette étude mérite d'autant mieux de retenir l'attention qu'il s'agit pour le syndicalisme de tous les pays d'une question primordiale et qui fait l'objet des

1. Times, leader du 12 mars 1903.

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