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et sa portée : il est jusqu'à un certain point', révolutionnaire. De la révolution, il a les audaces réfléchies, les procédés, le langage. Mais ne nous y trompons point: Révolutionnaire dans ses moyens, le Midi vise une fin qui ne l'est pas tout à fait.

D'après ces premières constatations, on pouvait définir le mouvement viticole un essai spontané d'association entre gens qui ont des intérêts communs. Mais qu'est-ce qui déterminera la limite de l'association? La nature encore, je veux dire la région, qui suppose la province, qui est un assemblage de provinces.

La révolution dans un noble rêve d'unité a brisé les cadres économiques et politiques de l'ancienne France, les provinces et corporations: elles étaient des barrières qui séparaient et différenciaient les hommes d'un même pays, mais elles étaient aussi une armature et un ressort souple, multiple, divers, comme la forme de la vie qu'elles soutenaient et animaient. Cela le législateur révolutionnaire ne l'a qu'imparfaitement remplacé, car c'était l'œuvre de la nature et de l'histoire. Et, en brisant le cadre, il a pulvérisé le contenu. Sous couleur de liberté, il a laissé l'individu, isolé et désarmé en face de l'État; en éteignant les foyers de l'activité régionale, en la ramenant toute vers la capitale, il a créé l'hypertrophie du centre et l'atrophie des extrémités; et, en échange des « libertés » qui permettaient au provincial de vivre, bien ou mal, à sa guise, il lui a octroyé la << liberté » qui peut bien n'être quelquefois les gens du Languedoc viennent d'en faire l'expérience que celle de mourir de faim au milieu de ses richesses.

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Mais, dira-t-on, la région n'est point dépourvue d'organes propres. Elle a ses assemblées locales. Soit. Le malheur est que ces assemblées, coulées dans le même moule sans égard aux différences de sol, de climat, de passé, peuvent délibérer de tout, hors de la chose vitale. Tenues toujours en laisse par des autorités « supérieures », elles n'ont qu'une existence artificielle, intermittente, dépendante d'influences étrangères. Dans l'étroit enclos que l'administration leur réserve, ces forces naturelles, l'expansion du libre jeu de qui Herbert Spencer attend tout le progrès, ne peuvent que végéter.

1. Tout à l'heure, nous nous expliquerons sur cette réserve. Rappelez-vous le serment des fédérés et le langage des chefs viticoles.

Mais la région, du moins, est représentée au Parlement. Sans doute; prenez garde pourtant que cette représentation lointaine ne remplace guère la représentation locale et professionnelle. Car l'élection qui confère le mandat ne confère pas la compétence. Et l'élu représente-t-il les intérêts spéciaux de la région qui l'a nommé? Oui, sans doute, mais si peu! Le caractère national prime, en effet, chez lui, le caractère régional. Il est moins le délégué d'une fraction du territoire département, arrondissement que de la nation; et c'est pour la nation totale qu'il légifère sur toutes les choses. N'est-ce pas dire que l'universalité de sa mission la rend localement inopérante?

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Et qu'arrive-t-il? Que selon la loi qui veut que les contraires naissent des contraires, l'omnipotence de l'État aboutit à l'impuissance pratique. On s'en aperçoit en temps de crise. L'individu qui a perdu le sens et l'habitude de l'initiative, qui n'a pas de proche défenseur, lève les yeux vers l'État, fait appel à l'État-Providence.

A propos de la crise viticole on a lancé le grand mot de séparatisme. Et, prenant au pied de la lettre la boutade de quelque cervelle échauffée, on a crié à l'attentat contre la patrie une et indivisible. C'est méconnaître avec trop d'ingénuité, les griefs et les aspirations du Midi, le caractère de son geste.

Son geste, c'est proprement, la réaction physique d'un organisme vigoureux contre la rigueur du lien séculaire qui l'étreint; quelque chose comme le soubresaut spontané d'un corps las du lit de Procuste où il est attaché; c'est aussi la protestation passionnée du fédéraliste qui veut que la grande patrie soit l'union vivante des petites patries, non leur mort.

Le mouvement viticole n'est pas anti-national, mais et c'est tout différent, et c'est tout le contraire centrifuge.

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« Le besoin crée l'organe », affirme un axiome physiologique, qui s'applique aussi aux phénomènes de la vie morale. Le besoin méridional, nous l'avons vu se créer à lui-même son organe, le pouvoir autonome et autochtone, qui ordonna le désordre, suppléa aux

défaillances et insuffisances de l'État. Mais ce pouvoir, forgé au feu de l'action, survivrait-il aux circonstances extraordinaires où il avait vu le jour? Ce mouvement unioniste sans précédent aurait-il un lendemain? L'oubli et l'inconstance, voilà quels étaient les plus redoutables ennemis du Midi, l'automne de 1907. Contre le danger de dissolution, déjà Bourgès mettait ses concitoyens en garde, quand, à Carcassonne, il leur traçait un programme d'avenir: « Quels que soient les résultats de notre action, il importe de conserver intacts des liens fédératifs, afin que, périodiquement, les membres des Comités s'assemblent pour prendre les mesures dictées par le salut commun ».

L'avis a été entendu, le vœu exaucé. Non seulement le bloc des énergies qui s'était spontanément formé aux pays de la vigne, ne s'est point défait, mais il s'est augmenté et solidifié. Au milieu d'un Midi qui, par elle, se métamorphose, passe de l'état inorganique à l'état organique, la Confédération générale des Vignerons « croît et se fortifie ». Toute l'histoire méridionale depuis la fin de 1907, tient dans ces trois initiales, dans ces trois lettres magiques : C. G. V. Qu'est-ce que la C. G. V.

Il faut le demander aux vignerons eux-mêmes, parlant par la voix de Vendémiaire 1.

« A la base et comme fondement de l'édifice, la section communale composée de la presque totalité des vignerons de la commune, pourvue d'un bureau, avec président, secrétaire, trésorier; sa fonction est de faire la police des vins à la production et chez les négociants expéditeurs.

>>

Au-dessus des sections, les 4 grands syndicals régionaux, Narbonne-Carcassonne, Béziers-St-Pons, Montpellier-Lodève, Perpignan, exercent dans toute la France la police des vins à la consommation.

Au faîte, enfin, et formée de l'Union des quatre grands syndicats, la Confédération dirigée par un Conseil d'administration de 36 membres, où figurent, à côté des personnalités marquantes de la

1. Nom d'une revue créée à Narbonne au lendemain de la crise, spécialement consacrée aux intérêts viticoles.

2. Le syndicat de Narbonne réunit les 5/6 de la production soit 3,400,000 hectolitres.

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région, quelques-uns des ouvriers de la première heure; Ferroul, président, «< qui est le trait-d'union entre le gros propriétaire et le vigneron, qui est populaire, car il a souffert pour la cause ; l'ancien lieutenant de Marcellin Albert, Cathala; et encore MM. Castel, de Crozals, Etienne Marès, Prosper Gervais, Coural, Rayssac, Leenhart-Pommier, Guibal....

<< Parlement des viticulteurs, écrit Vendémiaire, la Confédération coordonne les efforts de tous, étudie et prépare les mesures législatives; elle est le porte-parole des syndicats auprès des pouvoirs publics, organise la propagande et la défense du vin; oblige tous les représentants des régions de la vigne à une action commune en leur imposant la formation d'un bloc parlementaire; elle parle avec l'autorité qui s'attache aux mandataires de 70 000 viticulteurs représentant une production de plus de 10 millions d'hectolitres », en somme une dictature populaire, apte également à la défensive et à l'offensive.

Pour être membre de la C. G. V. deux conditions seulement : renoncer à la faculté légale du sucrage; verser à la société une cotisation de 1 sou par hectolitre de vin récolté.

« La C. G. V. n'a ni caractère ni but politique; elle ne poursuit qu'une fin, le relèvement du Midi viticole .» Au demeurant, vaste programme.

Si vaste soit-il, l'œuvre le déborde et le dépasse, abondante et qui se multiplie par elle-même et incessamment se renouvelle.

La première et la plus urgente besogne, c'est d'assainir le marché en le débarrassant des vins avariés ou falsifiés. Pour le mener à bien, la C. G. V. dispose de deux moyens : le persuasif et le répressif. Elle invite les intéressés à ne vendre « que des vins naturels, loyaux et marchands. Contre ceux qui ne l'entendraient pas, contre les fraudeurs, elle a organisé tout un système de surveillance proche et lointaine, toute une police volontaire dont les agents, en concurrence ou en collaboration avec ceux du fisc, opèrent ou provoquent des prélèvements dans les caves et celliers suspects, envoient les échantillons au laboratoire de la C. G. V. qui les analyse.

Cela, c'est de l'action négative.

1. Extrait d'une communication d'un des membres les plus éminents de la C. G. V., lui-même collaborateur du D' Ferroul.

En voici de l'indirecte qui tend à l'amélioration de la loi, se manifeste par des critiques, projets, requêtes, avis, consultations. Le pouvoir fédéral, tout à l'heure auxiliaire de l'exécutif, joue ici, vis-à-vis du législateur, le rôle de préparateur-entraîneur. De loin, il surveille, contrôle, dirige l'effort des représentants du Midi au parlement.

Mais la C. G. V. ne s'en tient pas aux remontrances, doléances et vœux; elle fait aussi de l'action directe; entendez que, tout en s'adressant aux pouvoirs afin d'en obtenir ce qui dépend d'eux, des lois et règlements meilleurs, elle ne néglige pas de travailler par elle-même. Comme elle sait, de par une dure expérience, que le relèvement du Midi viticole sera l'œuvre du vigneron, elle s'applique à faire l'éducation du peuple vigneron; laborieuse entreprise qui met en jeu toutes les ressources de sa personnalité protéenne, et défie toute tentative de classement. En même temps qu'elle cherche à inculquer au Languedocien qui l'ignore, l'art familier au Bordelais, au Bourguignon, au Tourangeau, de soigner ses produits; qu'elle encourage l'envoi à la distillerie des vins avariés ou défectueux qui lui doivent des facilités de circulation entre la demeure du producteur et celle du distillateur - elle s'efforce de réveiller l'esprit d'association dans tout le Midi, préconise l'entente du propriétaire et du commerçant honnêtes, contre « le maquignon »>, négocie avec les syndicats similaires des autres régions. Si tous imitaient l'exemple du Midi, si le bloc se constituait de toutes les forces viticoles disséminées sur le territoire, ne serait-ce pas la maîtrise du marché conquise au vigneron, sa victoire définitive?

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De ce but, très distant encore, tous les mouvements de la C. G. V. tendent à la rapprocher. Mais bien des obstacles l'en séparent, qu'il lui faudra abattre ou tourner. Elle s'y emploie sans répit.

Avec une belle confiance, elle porte elle-même sa cause devant le grand public. Un de ses membres, M. H. Coural entreprend à Paris, devant le corps électoral et le Conseil municipal, une courageuse campagne de conférences où il explique les origines de la crise, dissipe les préjugés, montre que la surproduction « n'est pas

1. L'association Palazy, qui réunissait plus de 20,000 vignerons et 10 millions d'hectolitres, offre comme un premier essai de groupement et une ébauche de fédération professionnelle et régionale. Rien cependant chez elle n'annonce encore la forte organisation hiérarchisée qui caractérise la C. G. V.

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