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venir du fondateur de l'École, nous avons voulu néanmoins en conserver les traits, ici, dans ce préau qui lui était familier, à côté de ce cabinet directorial où nous ne pouvons nous habituer à ne plus le voir.

Ce profil est celui qui figure sur la médaille commémorative que le grand artiste Roty avait gravée pour la Société des Anciens Élèves à l'occasion du 25° anniversaire de cette Institution. Il restera ainsi, dans l'École même, comme un témoignage de l'affectueuse gratitude des trente-cinq générations d'élèves qui ont eu Boutmy pour directeur. Si nous sommes devenus ce que nous sommes, c'est à lui que nous le devons, c'est à la forte éducation intellectuelle qui est ici donnée. Le but qu'il poursuivait, ce n'était pas de distribuer des diplômes, c'était de faire des hommes capables de discerner le bien, des citoyens capables de le vouloir. Aussi, parmi les professeurs qu'il groupait autour de lui avec une si remarquable intuition, voulait-il des hommes d'action qui, en contact journalier avec les réalités, fussent à même de nous faire profiter de leur propre expérience et de développer en nous, non seulement le savoir, mais encore le goût de l'action sans lequel le savoir n'est qu'une joie de l'esprit.

Ce but que Boutmy avait entrevu au lendemain de l'Année terrible, qu'il avait poursuivi avec son génie d'organisation et une douce mais inlassable ténacité, ce but est atteint. Son rêve s'est réalisé : la renommée de l'École est universelle, les nouveaux locaux euxmêmes sont désormais trop petits pour les élèves qui affluent de toute part, de toutes les parties du monde, et l'œuvre qu'il a créée contribue puissamment au rayonnement de la France!

De tous ces élèves, Français et étrangers, notre Société est en ce jour l'interprète pour apporter ici l'hommage ému de leur reconnaissance et de leur admiration.

Avant de lever la séance, M. Aucoc prononce les paroles suivantes :

Mesdames, Messieurs,

Vous venez d'entendre d'éloquentes paroles. Il y a quelque chose de plus éloquent encore, c'est le monument que nous inaugurons et il parlera toujours.

Il évoque le passé glorieux de l'École qui éclaire le présent et garantit l'avenir.

En présence de la fidèle image de Boutmy, je répète avec confiance ce que je disais au jour de ses funérailles : Il a fait l'École si forte qu'elle peut vivre et prospérer sans lui.

LE ROLE POLITIQUE DE GIOSUE CARDUCCE

« POÈTE NATIONAL DE LA TROISIÈME ITALIE »

(1835-1907)

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Ceci n'est pas une étude de critique littéraire, mais, et sous réserve de ce que l'expression peut avoir de trop prétentieux, un essai de psychologie politique. Plus simplement, étant donné que Carducci fut, au dire de tant d'Italiens, le « Poète national de la Troisième Italie », quel écho ont trouvé en lui et quel relief ont pris dans ses œuvres ', les idées, les sentiments, les rêves, les aspirations, en un mot les façons de penser et de sentir de cette « Troisième Italie »>?

Le Troisième Italie, cela s'entend de reste, c'est l'Italie moderne, succédant après huit siècles d'attente à la vieille Italie romaine, et s'en prétendant l'héritière; cela ne serait pas assez, faisant le rêve et trop beau et trop vague pour qu'elle ose le formuler ouvertement, d'être la continuatrice de sa gloire. « L'Italie n'est pas ressuscitée seulement pour elle, mais encore pour le monde. Pour vivre, elle doit avoir ses idées et ses forces propres : elle a à jouer un rôle national et humain. >> La phrase est de Carducci; elle servit de thème à son éloge funèbre prononcé par le président du Parlement 2; tous les députés furent unanimes à l'applaudir. On peut donc prétendre, sans crainte d'être accusé d'exagération, qu'elle résume, en même temps que l'idée maîtresse de Carducci, la pensée dominante de l'Italie ou mieux, : car, au dire de Stendhal, il faut cent ans pour

1. Bibliographie, 20 volumes. Zanichelli (Bologne). OEuvres de Carducci et spécialement : Rime di S. Miniato; Ode a Salana; Levia Gravia; Odi barbare; Giambi ed epodi; G. Garibaldi; Alla figlia di Framesco Crispi; Confessioni e battaglie; la Guerra. Les poésies de Carducci ont été éditées en un volume par la maison Zanichelli, qui a également publié en un volume un choix de ses œuvres en prose.

2. Séance du Parlement (16 fév. 1907). Discours du Président Marcora.

A. TOME XXIII. JANVIER 1908.

1

donner aux peuples les opinions de leurs gouvernements,

la

pensée dominante, nouveau dogme, dont voudraient la pénétrer ses hommes politiques, ses historiens, ses philosophes, ses orateurs, ses poètes. Ce n'est pas assez d'être une nation; il faut encore être une grande nation, parmi les plus grandes, sinon la plus grande, au moins par l'influence morale et intellectuelle.

.**

Futur poète de la Révolution, mais aussi futur poète de « l'Italianité » comme disent les Italiens, Giosue Carducci naquit en 1833, dans la Versilia, au hameau de Val di Castello (province de Lucques), «< beau pays où commença son chant, beau pays dont la grande et fière nature resta toujours gravée dans sa mémoire.... »

Là dans la Marenne où fleurit

Mon triste printemps,

Là s'envole ma pensée

Avec le tonnerre et la tempête.

Là dans le ciel noir je voudrais planer

En regardant ma patrie,

Puis dans un coup de tonnerre plonger
Entre les collines, dans la mer1.

Plusieurs de ses ancêtres avaient été, jadis, gonfaloniers de la République florentine... Son père n'était plus qu'un très modeste médecin de campagne, mais de cette petite bourgeoisie libérale, qui, malgré l'hostilité de la noblesse, l'apathie de la haute bourgeoisie et l'indifférence des paysans, devait, plus tard, faire l'unité. « Les idées condamnables, dit une note de police, sont répandues principalement chez les médecins. » Compromis en 1848, le père de Carducci dut partir la clientèle fuyait un homme si mal noté. Il s'établit à Florence.

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Ce qu'était Florence à cette époque? Ce que serait aujourd'hui la moindre de nos préfectures. Comme distractions, presque chaque jour la promenade des Cascine, pendant de la promenade du Tourde-Ville; deux fois par an les bals du Grand-Duc, pendant des soi

1. Rime nuove, XLIII.

rées du préfet; sans compter les commérages, les bavardages et les potinages, « mauvaise langue, œil perçant », disait-on depuis longtemps des Florentins,... et puis, il y avait le Carnaval (ce fut toujours une grande affaire que le Carnaval à Florence) et puis les processions, et les défilés, et les revues des troupes,... et pour les lettrés, nous sommes dans la «< Cité des Lettres », quelques vagues Académies, où l'on continuait à commenter Dante, à réciter le Tasse et à copier Pétrarque ou Boccace. Faut-il ajouter que le plus grand nombre se contentait de cette existence égale et morne? Au demeurant, on vivait. Et pourvu qu'on ne s'occupât « ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la philosophie, ni des gens en place, ni des corps en crédit... ni de personne qui tint à quelque chose »>, on vivait tranquille, sous un souverain qui s'intitulait, luimême, «< un despote paternel ». « Si l'inertie avait un palais, comme les poètes en ont élevé pour le sommeil, certainement il devait être placé à Florence 1. »

Mais à côté de cette masse inerte, augmentait chaque jour la petite minorité des remuants et des agités. C'étaient, principalement, des médecins, des avocats, des fonctionnaires, des étudiants. Épiés et traqués par la police, ils se réunissaient en cachette dans les loges de carbonari, les magasins de libraires, les arrières-boutiques de pharmaciens. Là, entre amis, il ne se gênaient pas pour dauber sur le Grand-Duc, sur l'Autriche, sur les prêtres, et pour lire, sans la permission alors exigée du Vicaire-Capitulaire, les livres interdits: les Encyclopédistes, Voltaire, Rousseau, bien d'autres encore... Patriotes avec Alfieri, mais républicains avec Mazzini, ils commentaient avec aigreur l'échec de 48 et ne se faisaient pas faute de l'attribuer à la trahison de Charles-Albert.... Aussi, pourquoi s'être fiés à ce monarque indécis, à ce roi tâtonneur, «re tentenna »>, plutôt que d'avoir proclamé la République? C'était par les révolutionnaires que le mouvement avait commencé, à Milan; c'était par la République qu'il s'était maintenu le plus longtemps, à Rome, à Venise; il fallait refaire la Révolution, il fallait imposer la République fût-ce par la force et dût-on, pour ce faire, soulever la populace... Mais que tenter avec le peuple, quel fonds faire sur lui, tant

1. Niccolini.

qu'il serait dans la main des prêtres? Révolutionnaire, républicain, anticlérical, voilà ce qu'on était alors; ce que les policiers traduisaient en rapports incolores, mais les policiers doivent être lus entre lignes. « << La maudite maladie jacobine se répand formidablement, ils sont chauffés pour la liberté, ils font vou d'éviter de saluer notre souverain, de ne jamais passer devant le PalaisRoyal, de ne pas aller à la messe. Pour eux, Dieu n'existe pas et l'âme n'est pas immortelle. Ils croient plus à l'indépendance italienne qu'à l'Évangile '. »

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C'est là, le milieu où Carducci passa son enfance et qui devait le marquer de la première empreinte. Puis, il alla au collège, et, à défaut d'autres maîtres sans doute, ce fut chez des ecclésiastiques. Inutile d'ajouter, d'après un mot encore en cours aujourd'hui, qu'il n'eut jamais « l'esprit de la maison » témoin les fréquentes escapades qu'il faisait chez certain tailleur de la ville, pour lire les livres défendus. C'était toujours la grosse question que celle des livres défendus. Et combien de pays, au surplus, où tant de Révolutions n'ont abouti qu'à conquérir pour tous le droit de tout lire et de tout écrire?

En 1856, il était docteur en lettres et en philosophie. Il donnait des leçons, il collaborait à une édition de poètes latins. C'était la vie difficile connue de tant d'étudiants pauvres. Entre temps il publiait et ses vers commençaient à circuler parmi ses intimes. En 1860, déjà connu, il était par le nouveau gouvernement nommé professeur à Bologne.

« Bologne, la vieille ville, la ville âpre et remueuse du Moyen âge, la berceuse des factions, la ville à l'esprit osé, révolutionnaire, précurseur des idées nouvelles, la cité qui a pour devise: Libertas 2. >> Historien, critique, philologue, se passionnant pour les origines de la littérature italienne, éditant des textes inconnus, rééditant des textes oubliés, publiant de volumineuses études sur la poésie du xive siècle... conférencier, orateur... poète... c'est là

1. Cité par Julien Luchaire, Essai sur l'évolution intellectuelle de l'Italie, Paris. 1906.

2. Goncourt, Voyage d'Italie.

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