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que Carducci devait passer ses jours. Professeur à 3,000 francs, à 3,500, pour finir à 8,000, il menait l'existence d'un provincial rangé. Son seul luxe était d'acheter des livres, sa seule distraction d'aller, vers les quatre heures, chez son éditeur Zanichelli. Il s'y rencontrait avec des amis on prenait le café ensemble, on causait, on lisait les journaux, on parcourait les revues, on feuilletait les ouvrages récents,... on récitait des vers. Un jour qu'on le félicitait d'une poésie nouvelle, on l'entendit murmurer: « Dante! Dante! qui jamais égalera Dante! » C'était un modeste! que de fois ne l'avait-on pas comparé à Dante!

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Dans le clair hiver s'élève la sombre Bologne et ses tours,

Et plus haut les collines blanches de neige sourient.

C'est l'heure suave où le soleil mourant salue

Les tours et ton temple, divin Pétrone;

Les tours dont les créneaux ont été léchés par l'aile de tant de siècles
Ainsi que du temple solennel la cime solitaire.

Le ciel dans une froide lumière de diamant étincelle,

Et l'air, comme un voile d'argent s'étend

Sur le forum, estompant en leurs contours les masses
Formidables qu'éleva le bras cuirassé des ancêtres.

Sur les hauts faites s'attarde le soleil regardant

Avec le sourire languissant qu'ont les violettes,

Et dans la pierre grise et dans les briques d'un sombre vermillon
Il parait réveiller l'ame des siècles.

Telle, la Muse sourit de loin à mon vers où tremble

Un vain désir d'atteindre à la beauté antique 1.

En 1904, déjà malade, Carducci dut renoncer à son cours. Presque paralysé, il ne sortait plus guère; à peine si, de sa main engourdie, il pouvait tenir une plume. Un de ses amis lui ayant envoyé quelques plumes d'oie, dans l'espérance qu'elles lui seraient plus faciles à manier que ses plumes ordinaires, reçut de lui ces quelques vers... ses derniers.

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Je veux écrire vite

Comme à mes bons jours,

Vole comme la pensée, ma bonne plume,

Ne te rappelle pas le pesant oiseau palustre dont tu viens,

Vole là où t'envoie mon désir,

O belle plume, ô plume illustre.

Vole, vole, pour Dieu, ne te laisse pas rattraper

Par ta sœur du travail industriel.

Cette plume fut la dernière dont il put se servir cette poésie fut la dernière qu'il put écrire.

Quelques mois avant sa mort, le 10 décembre 1906, entouré de sa famille, du préfet, du syndic, du recteur, de quelques amis, il reçut le prix Nöbel des mains de l'ambassadeur de Suède. << Toutes vos œuvres, illustre maître, ont célébré le culte de l'idéal... C'est toujours l'idée de la patrie qui a dominé votre pensée, de la patrie telle que l'ont reconquise et réédifiée vos contemporains, avec leurs batailles et leurs victoires, leurs souffrances et leurs luttes, leurs martyrs et leurs triomphes... Dans votre œuvre, la grandeur romaine s'allie à la grâce italienne ». Il ne devait plus vivre que quelques mois; il s'éteignit le 16 février 1907.

Sa mort fut une apothéose. Séance tenante, les Chambres votèrent le transfert de son corps à Santa Croce, à côté de Galilée, de Michel-Ange, de Machiavel, d'Alfieri, de Rossini. Et cela ne parut pas encore suffisant à certains disons que c'étaient des poètes. <« C'est à Rome, au Forum, que doit être porté son cadavre, pour être toute une nuit veillé par le peuple, et le matin à l'aube incinéré au sommet de l'Arc de Titus... Ainsi, pendant les longs crépuscules, sur les rives du fleuve sacré, son esprit pourra retrouver les grandes ombres des héros.1 » Mais, <«< il eût été plus facile d'enlever à Bologne ses tours, que le corps de Carducci ». On dut s'incliner et se contenter de grandioses funérailles.

Les télégrammes affluèrent télégrammes du roi, de la reinemère, des ministres, de presque toutes les villes d'Italie télégrammes où l'on célébrait « le plus grand des citoyens... le plus grand des éducateurs... le plus pur des poètes... celui qui des sources éternelles d'Athènes et de Rome avait fait jaillir la beauté et

1. Giornale d'Italia (17 fév. 1907).

la gloire de sa race... » Et toujours revenait comme un refrain funèbre... « Carducci, poète de la patrie... Carducci, poète de l'Italie... Carducci, poète national de la Troisième Italie... de la PlusGrande Italie. »>

Même la Troisième alliée, la grande voisine, l'Autriche, finit par prendre ombrage, et maint journal de Trente et de Trieste fut mis sous séquestre, pour avoir trop bien glorifié ce poète trop italien.

Quelles idées représentait donc Carducci, puisqu'aussi bien, c'est seulement comme poète représentatif que nous avons à l'étudier ici?

Révolutionnaire et républicain après 1848, monarchiste en 1859, puis révolutionnaire et républicain en 1860, pour redevenir royaliste sur le tard; violemment anticlérical et tout imprégné de paganisme, et cependant, à certaines heures bien fugitives il est vrai, comme touché de mysticisme: voilà ce que fut Carducci. Poète national, c'est-à-dire représentant les idées de toute la nation, le fut-il vraiment?

L'Italie est monarchiste (je parle pour le grand nombre et non pour quelques rares républicains, que malgré quelques brouilles passagères Carducci représentait certainement), mais en même temps, n'est-elle pas Mazzinienne et Garibaldienne? L'Italie est catholique (je l'entends de la masse et non des anticléricaux ou des indifférents, ni de ceux qui ont ou croient avoir l'âme païenne, comme il sied aux héritiers de Rome, et ceux-ci encore Carducci les représentait non moins sûrement), mais en même temps, les plus catholiques n'y sont-ils pas fréquemment antipapistes, les plus religieux n'y confondent-ils pas trop souvent la religion avec la superstition, cette fausse figure du mysticisme, dans leurs fêtes à demi païennes? — C'étaient là, certes, pour Carducci, bien des points de contact avec la nation. Avouons-le pourtant, Carducci ne fut jamais lu par la foule il ne fut compris et apprécié que par une minorité, si elle le préfère, par une élite, très remuante et très agissante. Poète de la Révolution, de la lutte contre Rome, même rallié à la monarchie, Carducci resta, comme tant d'autres révolutionnaires, à la tête

de ceux qui voulaient l'Italie toujours plus forte, toujours plus puissante. Poète de Rome antique et de ses gloires, Carducci s'appliqua sans cesse à chercher, dans ce passé lointain, une tradition et des leçons d'avenir. Poète des grandeurs d'autrefois et des espérances futures, Carducci fut le poète d'un cerlain Idéal italien, et, puisqu'après tout on veut le sacrer poète national, disons de l'Idéal dont aspirent à faire l'Idéal italien, ceux qui se sont donné comme rôle de conduire et de diriger l'Italie.

L'Unité fut faite par une minorité. Tous sur ce point sont d'accord, et ceux qui y ont aidé, et ceux qui en ont profité, et ceux qui en ont pâti. Mais combien aurait été réduite cette minorité, réduite au point de ne pouvoir agir, sans la propagande incessante d'une pléiade d'écrivains philosophes, historiens, pamphlétaires, satiristes, poètes... dont plus tard Carducci, qui devait être « le poète de la guerre nationale », et qu'on nous représentait hier, comme ayant été l'un des plus grand poètes de « l'Italianité », Carducci qui allait glorieusement parfaire l'œuvre inachevée de ces philosophes, historiens, pamphlétaires, satiristes, poètes qui l'avaient précédé.

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Aigles précurseurs qu'il aurait à peine osé imiter

Tant étaient petites ses forces, tant était haut leur vol1...

Le rôle de ces précurseurs (et il est indispensable que nous en parlions, fût-ce brièvement) avait été justement de faire pénétrer dans les masses l'idée de liberté, l'idée d'indépendance,... puis l'idée d'unité, et de préparer ainsi les voies à l'avenir.

Sans doute, Turin, Milan, Parme, Bologne, Naples, s'étaient révoltées, en 1821, 1824, 1831, 1833, 1838: révoltes spontanées et sans entente, révoltes vite réprimées et tôt oubliées.... Mais alors, même parmi les plus exaltés, combien peu croyaient à l'Unité? — «En 1858, ceux qui parlaient de l'Italie et de Rome, étaient traités de brouillons et de casse-cous2.. >> Qu'en devait-il être vingt,

1. Juvenilia, XL, sur Parini.

2. Confessioni, p. 54.

trente ans auparavant? Bien plus, qui, en Italie, avait jamais sérieusement songé à l'Unité? au Moyen âge, Rienzi dans ses plans grandioses de tribun populaire... puis Dante, Pétrarque, dans leurs rêves lointains de poètes, plus récemment, Murat, dans ses conceptions égoïstes de politique... Car la première raison de ne pas penser à l'Unité, n'était-elle pas qu'à aucun moment elle n'avait existé, pas même sous la République ou sous l'Empire Romain? << Créer une Italie, dira plus tard Proudhon, c'est faire quelque chose qui n'a pas été un seul jour. » — Rome avait bien conquis l'Italie, comme la Gaule, comme l'Espagne, comme bien d'autres pays encore; pas une minute de son histoire, elle n'avait été la capitale d'une nation italienne. Aussi bien, toutes ces insurrections n'avait eu qu'un but : réclamer des constitutions, obtenir un peu plus de liberté. « Ce qui dominait alors, c'était l'idée de liberté, et l'idée de l'indépendance nationale était restée nulle et secondaire. D'où cette conséquence que les mouvements révolutionnaires étaient individuels. Pendant qu'une contrée s'insurgeait au nom de la liberté, l'autre dormait tranquillement à l'ombre du despotisme1. »

Pour substituer, à l'idée de liberté, l'idée d'indépendance, il fallait, ce qui n'impliquait nullement l'unité politique, il fallait créer une unité de sentiments, il fallait faire une âme italienne. Ce fut la tâche des écrivains du Risorgimento, de Foscolo, de Berchet, de Niccolini, de Monti, de Giusti, de Manzoni, de Parini, de Guerrazzi, de Cattaneo,.... presque tous de tendances diverses, mais tous unis par le besoin de l'indépendance et la haine de l'étranger. Et combien d'autres qui sont oubliés aujourd'hui : médiocres journalistes, médiocres pamphlétaires, pauvres chansonniers. Qu'importe à leur mémoire? Car « quel plus grand tribut de gloire pour un écrivain, que d'avoir contribué puissamment à sauver la patrie. Une épée qui, en tuant l'ennemi, se brise dans la blessure, ne vaut pas moins que celle qui repose, objet d'admiration, dans un musée ».

A celte époque, dit Carducci, toute la littérature italienne était politique, toute étude, tout essai, était comme une préparation à la guerre. La ballade était une allégorie, l'ode une allusion, le roman et le drame un apologue; d'art on ne s'en occupait guère, mais les

1. Spaventa, Dal 1848 al 1861.

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