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rale, et les membres de la Chambre des représentants avaient hâte de rentrer dans leurs circonscriptions pour surveiller leurs propres intérêts: les élections à la Chambre basse ont lieu tous les deux ans, et coïncident une fois sur deux avec l'élection présidentielle.

Sans tenir compte de ces préoccupations, le président, M. Roosevelt, avait proposé au Congrès, dans son message annuel, du 3 décembre 1907, un programme considérable. Parmi les nombreuses mesures dont il demandait l'adoption, les principales avaient pour objet : le vote d'un amendement à la loi Sherman de 1890, en vue d'autoriser les compagnies de chemins de fer à conclure des ententes sous certaines réserves; une loi sur la circulation fiduciaire, pour donner à celle-ci une plus grande élasticité; une loi sur les accidents du travail, dans le domaine du pouvoir fédéral; l'adoption du principe d'une enquête obligatoire par le gouvernement fédéral dans les conflits importants entre patrons et ouvriers etc. Le peu de hâte du Congrès à satisfaire les désirs du président amena l'envoi d'un nouveau message le 30 janvier, puis de deux autres, le 25 mars et le 27 avril. L'insistance du président n'eut d'ailleurs pas raison de l'apathie du Congrès et surtout de la volonté arrêtée du speaker, M. Cannon, qui s'est toujours montré hostile aux mesures souvent d'allures radicales proposées par M. Roosevelt, de ne faire à cette session qu'une besogne modeste. La seule mesure importante adoptée par le Congrès est la loi Vreeland-Aldrich, qui autorise l'émission, dans les périodes de resserrement monétaire, par des associations composées d'au moins dix banques nationales chacune, de billets d'un caractère provisoire, garantis, sous des conditions spéciales, par des titres et le portefeuille commercial des banques. Le président avait demandé le vote de crédits suffisants pour la construction de quatre cuirassés du type le plus récent; il fit même de cette question l'objet d'un message spécial, le 14 avril. Mais le Congrès, insensible à ses objurgations, ne vota qu'un crédit de 10 millions de dollars, pour deux cuirassés seulement.

Les membres du Congrès ne portaient que peu d'intérêt à leurs travaux législatifs. Dès le mois de novembre, les intrigues avaient commencé au sein même des partis, entre les factions rivales, accaparant l'activité des chefs, pour assurer le triomphe de leur favori. Ces intrigues ont dominé la vie politique jusqu'au mois de juin, où les conventions nationales, par l'adoption du programme et l'élection des candidats, ont ouvert la seconde partie, la partie publique et

A. TOME XXIII.

1908.

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bruyante de la campagne, qui se terminera le 3 novembre par l'élection des électeurs présidentiels, élection qui équivaut, on le sait, par suite de la pratique du mandat impératif donné à ceux-ci, au choix même du futur président.

II

Depuis que M. Roosevelt a été appelé à la présidence des États-Unis, sa personnalité domine le parti républicain. La lutte fort vive qu'il a menée contre les trusts, la position qu'il a prise en faveur des mesures radicales, dans les nombreuses questions qui sollicitent l'opinion publique, lui ont acquis une popularité considérable auprès des masses. Il a soulevé contre lui, il est vrai, les magnats de la finance et de l'industrie, qui lui reprochent sa politique bruyante, ses discours, dont l'allure et le ton sont souvent bien plus d'un politicien fougueux que d'un homme d'État. Et sa conduite est l'objet des plus acerbes critiques à New-York, où les hommes d'affaires l'accusent d'avoir, par ses discours virulents, précipité et aggravé la crise récente. En dépit de cette hostilité, cependant, la candidature de M. Roosevelt se serait imposée à son parti, si elle ne s'était heurtée à la tradition qui veut qu'un président ne reste pas en fonctions plus de deux termes consécutifs. Ses partisans, il est vrai, faisaient remarquer que la première période de trois ans et demi de présidence accomplis par M. Roosevelt n'était que l'achèvement du terme de M. Mac Kinley, à qui il avait été inopinément appelé à succéder, par l'assassinat de celui-ci. Ainsi, la présidence personnelle de M. Roosevelt n'a commencé qu'en 1905: sa réélection en 1908 ne violerait donc pas la tradition. Mais cette argumentation spécieuse se heurtait à l'engagement formel pris par M. Roosevelt lui-même au lendemain de l'élection de 1904, de n'être « dans aucune circonstance » candidat aux fonctions présidentielles à l'expiration de cette période.

La décision de M. Roosevelt de ne pas se présenter aux suffrages de son parti en 1908 ouvrit la porte aux intrigues et aux compétitions. Dans ces dernières années, deux courants se sont dessinés dans le parti républicain un courant conservateur, qui groupe les représentants des gros intérêts industriels et financiers, les bailleurs de fonds du parti, depuis plus de vingt ans, adversaires résolus des mesures que M. Roosevelt a imposées au parti ces dernières années, et un courant radical qui représente les aspirations des masses

ouvrières des régions industrielles de l'est et du centre-nord, et des populations agricoles de l'ouest. Chacune de ces factions rivales s'efforça de trouver le candidat qui lui permettrait d'assurer sa suprématie. Les adversaires de M. Roosevelt mirent en avant les noms de MM. Cannon et Fairbanks. L'honorable Joseph J. Cannon est une des figures les plus connues du monde parlementaire américain. Membre de la Chambre des représentants, où il siège pour l'état d'Illinois, il en est speaker depuis 1903 il a dirigé les travaux des 58° et 59 Congrès, et, en novembre dernier, le 60o l'a de nouveau appelé à ces fonctions. Le speaker est la cheville ouvrière, le moteur du Congrès. Il peut opposer avec succès son autorité à celle du président. M. Cannon a contrecarré souvent les désirs de M. Roosevelt, et il est l'auteur responsable de l'échec de plus d'un projet cher à celui-ci. Il est le chef du groupe des conservateurs dans le parti républicain. Malheureusement, le speaker avait contre lui son grand âge : il a soixante-douze ans, et le peuple américain appréhende confier à un vétéran les lourdes et fatiguantes fonctions de la présidence. M. Charles Warren Fairbanks, élu vice-président des États-Unis en 1904, âgé de cinquante-six ans seulement, semblait un meilleur candidat; sa sympathie pour les mesures modérées lui avait rendu favorables les représentants des trusts et des financiers, tandis que sa fortune lui permettait d'organiser les forces nécessaires pour préparer le succès de sa candidature.

Les candidats étaient plus nombreux dans l'aile radicale du parti. Deux d'entre eux, MM. Knox et Cortelyou, furent assez vite écartés. Le sénateur Knox, qui représente au Sénat la Pensylvanie, a été attorney-général dans le cabinet de M. Roosevelt, pendant sa première présidence; il a préparé en cette qualité les mesures législatives contre les trusts, et poursuivi vivement ceux-ci devant les tribunaux. Mais M. Knox avait une tare, qui devait le rendre suspect à beaucoup de gens avant de poursuivre les trusts au nom du gouvernement fédéral, il avait été le conseil de quelques-uns des plus importants. La carrière de M. Cortel you peut être prise comme exemple du libre accès des fonctions publiques aux États-Unis : simple sténographe dans le personnel du secrétariat de M. Mac Kinley, celui-ci l'appela à remplir les fonctions de secrétaire à la Maison-Blanche, que lui conserva M. Roosevelt. En 1903, lors de la création du ministère du Commerce et du Travail, il en fut nommé titulaire; deux ans plus tard il devenait ministre des Postes; enfin, en 1907, le ministère des Finances, le second en importance, lui était confié. Son

étroite intimité avec M. Roosevelt, son influence sur les nombreux agents des postes et du trésor répartis sur tout le pays, merveilleuse armée d'agents électoraux, lui donnaient des chances de succès. Mais, malgré son ascension rapide et ses fonctions actuelles, M. Cortelyou ne tient pas encore les grands rôles dans le parti républicain. La candidature de M. Hughes parut pendant un certain temps avoir de sérieuses chances de succès. M. Hughes est un personnage nouveau dans le monde politique. La façon courageuse et habile dont il a dirigé en 1905 la fameuse enquête sur les Compagnies d'assurances sur la vie, qui révéla de graves désordres et fit apparaître une fois de plus au grand jour les rapports étroits entre la haute finance et les politiciens lui a valu une grande popularité. C'est à elle qu'il doit son élection comme gouverneur de l'état de New-York en 1906, et plusieurs de ses prédécesseurs, entre autres M. Cleveland et M. Roosevelt, sont allés d'Albany à la Maison-Blanche. Depuis qu'il est gouverneur, M. Hughes a vu encore augmenter sa popularité sa conduite a toujours été dictée par le souci des intérêts généraux, et il a réduit à merci les « bosses» de son parti, qui lui disputaient le pouvoir. M. Hughes, malgré son entrée récente dans la politique, eût donc pu faire un bon candidat, mais il s'est heurté presque dès son entrée en fonctions à M. Roosevelt, dont il ne goûte pas l'allure autoritaire et volontiers bruyante. Ce désaccord lui a enlevé l'appui de l'administration.

Dès le début des intrigues pour le choix du candidat, le président désigna nettement l'homme à qui allaient ses préférences. Son favori était M. William H. Taft, qui a dans son cabinet le portefeuille de la Guerre. Ce choix était excellent, et la carrière de M. Taft l'a admirablement préparé aux hautes fonctions qu'il ambitionne. La première partie de sa vie s'est écoulée dans la magistrature. En 1887, à vingt-neuf ans, il était nommé juge à la Cour supérieure de l'état d'Ohio; trois ans après, le président Harrison le nommait solicitor général des États-Unis; et, en 1892, il retournait à Cincinnati comme membre de la Cour fédérale de circuit. C'est dans ces fonctions que le président Mac Kinley alla le chercher en 1900, pour faire de lui le premier gouverneur civil des Philippines. Puis, lorsque, après quatre années d'un labeur considérable, ressentant les atteintes de ce climat tropical, il dut songer à rentrer aux ÉtatsUnis, le président Roosevelt lui confia le ministère de la Guerre, qui a dans ses attributions l'administration des Philippines. M. Taft acquit bientôt dans le cabinet une situation prédominante, éclipsant

même le secrétaire d'État, M. Elihu Root, homme d'une grande valeur, mais moins remuant, et dont les qualités d'esprit ne sympathisent pas autant avec celles du président.

La candidature de M. Taft rencontra une vive opposition de la part de la fraction conservatrice de son parti. Son adhésion déclarée aux idées défendues par le président le rendaient suspect aux «< intérêts », et ceux-ci firent de leur mieux pour se débarrasser de ce candidat gênant. On se servit surtout pour le rendre impopulaire de l'affectation même avec laquelle M. Roosevelt le désignait comme le seul homme qu'il jugeât digne de lui succéder. Le « big stick >> allait-il se transmettre comme un sceptre? le président pourrait-il imposer au pays son successeur? Ces critiques causèrent quelques embarras à M. Taft, mais il avait à sa disposition le puissant avantage que donne le « patronage » présidentiel, et, à mesure qu'approchait la Convention nationale, l'opposition paraissait désorganisée, incapable de s'entendre sur une candidature commune.

La Convention s'ouvrit à Chicago, le 16 juin. Elle ne témoigna pas le mouvement et l'exhubérance ordinaires de ces réunions. Elle n'allait remplir que le rôle de chambre d'enregistrement. La partie était jouée d'avance : l'autorité de M. Roosevelt dominait le parti républicain: il avait imposé son candidat et le programme électoral sur lequel devait se livrer la campagne. Les «< alliés » s'étaient inclinés devant la certitude que si l'élection de M. Taft semblait en danger, M. Roosevelt était décidé à laisser mettre son nom en avant. De Roosevelt ou de Taft, le second leur paraissait préférable, ainsi qu'aux financiers eux-mêmes, qui pensaient que, même en suivant la politique de son prédécesseur, celui-ci l'appliquerait de manière moins brutale, et que, somme toute, l'on pourrait au moins causer avec lui. Un seul souci inquiétait les chefs: empêcher que la Convention, dans un mouvement impulsif, ne se laissât entraîner à acclamer pour candidat M. Roosevelt lui-même. Le sénateur Henry Cabot Lodge, de Massachusetts, ami personnel de M. Roosevelt, fut choisi comme président permanent de la Convention. Le 18, eut lieu le vote pour le candidat à la présidence. Au premier tour, M. Taft reçut 702 votes. Le nombre des délégués étant de 992, il avait beaucoup plus que la majorité exigée. 63 votes allèrent au gouverneur Hughes; 61 au speaker Cannon; 40 à M. Fairbanks; 25 au sénateur La Follette; 15 au sénateur Foraker, et 3 à M. Roosevelt. Aussitôt le résultat du vote connu, le président proposa d'élire M. Taft à l'unanimité, ce qui fut accepté avec enthousiasme. Le lendemain, la

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