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«< crimes contre l'État » Aussi l'abolition irrévocablement prononcée par la Constitution de 1848 n'a-t-elle pas rencontré de contradicteurs, du moins dans l'Assemblée nationale; et c'est à peine si l'on a écouté la proposition du représentant Deludre, demandant qu'on déclarât « excepter les crimes de lèse-nation qui seront définis par la loi », ce qu'il voulait expliquer en disant : « Mais il est un genre de crimes que l'on pourrait confondre avec les crimes purement politiques, c'est celui des traîtres qui conspirent avec l'étranger l'asservissement de leur patrie. Je crois que ce crime doit être défini par la loi, de manière qu'on n'en abuse point; je crois que celui-là ne mérite ni grâce ni pardon. » S'il y a eu dissentiment dans l'Assemblée, ce n'est pas quant à la peine du crime de conspiration, c'est sur la question de savoir s'il fallait définir les crimes politiques ou les indiquer par des spécifications, ce qui est resté sans solution (Voy. Monit., 19 sept. et 2 nov. 1848).

XXXVII. Quels sont les signes caractéristiques des crimes qui doivent profiter de l'abolition?

On dit bien que le crime politique est celui dont le mobile et le but sont politiques. Mais c'est fort vague, et il faudrait encore une définition. D'ailleurs, le mobile ou le but ne doit pas être recherché dans l'intention de l'agent, ce qui en ferait une question d'espèce ou d'appréciation par le juge selon les circonstances: avant tout, il faut considérer l'action en elle-même, telle qu'elle a été prévue et qualifiée par le texte pénal, question d'interprétation de la loi par le jurisconsulte. Le but politique reconnu suffirait-il, si l'agent avait une qualité ou employé un moyen qui constitueraient un crime spécial ou commun, d'où résul– terait que le crime ne serait pas exclusivement politique ?

C'est Filangieri qui, le premier et le plus nettement, a donné une explication en disant : « Les délits politiques sont ceux qui troublent l'ordre déterminé par les lois fondamentales d'un État, la distribution des différentes parties du pouvoir, les bornes de chaque autorité, les prérogatives des diverses classes qui composent l'ordre social, les droits et devoirs qui naissent de cet ordre. » C'est assez explicite pour les crimes ou délits contre la sûreté intérieure de l'État, ou l'organisation constitutionnelle; mais cela ne dit rien quant aux crimes contre la sûreté extérieure de l'État, tels que ceux qui se rapportent à la guerre étrangère.

M. Ortolan demande qu'on analyse chaque crime en question et qu'on recherche si c'est l'État qui est lésé, s'il l'est dans un droit touchant à son organisation sociale ou politique, et si c'est un intérêt touchant à cette organisation qui veut la répression du crime. Dans ces conditions, le crime serait exclusivement politique, ce qui comprendrait même l'ensemble des faits reliés dans l'ordre politique à un délit plus général, par exemple, en cas de sédition, d'insurrection, de guerre civile, dans les limites avouées par les usages de la guerre. Le savant professeur recon

naît des crimes de droit commun dans les « actes réprouvés par ces usages, qui ne sont point l'observation des pratiques de la guerre, mais qui en sont la violation, tels que des massacres de parlementaires ou de prisonniers, des meurtres, des assassinats par haine ou vengeance, l'incendie, le sac ou le pillage des propriétés publiques ou privées. >>

Enfin, M. Haus dit : « Par infractions politiques, on doit entendre les crimes et délits qui sont exclusivement dirigés contre l'ordre politique, et qui tendent à le renverser, à le changer ou à le troubler.... L'ordre politique comprend, à l'extérieur, l'indépendance de la nation et l'intégrité de son territoire; à l'intérieur, la forme du gouvernement établi par la Constitution, et l'autorité constitutionnelle des pouvoirs publics. >>

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XXXVIII. Voyons maintenant ce qui en est dans les lois existantes. Une définition législative des délits politiques devait avoir lieu en 1830) comme l'aurait aussi voulu le Sénat pour la loi de compétence qui lui était récemment soumise). La charte révisée avait promis l'attribution au jury du jugement de tous les délits politiques; réalisant cette promesse, la loi du 8 octobre 1830 dut indiquer au moins par catégories les délits qui seraient à juger ainsi, ce qu'elle fit par son art. 2, disant << Sont réputés politiques les délits prévus : 1o par les chapitres 1 et 2 du titre 1er du livre 3 du Code pénal; 2o les délits..... Comme explication, le rapport par M. Siméon rappelait d'abord ce qu'avait dit Filangieri et ajoutait : « D'après cette donnée, j'ai cru trouver ce qu'on doit entendre par délits politiques dans tous ceux qui sont commis contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat... Ces délits, outre qu'ils troublent l'ordre public, sont toujours soupçonnés, à bon droit, d'avoir un but ou une direction politiques... Ce qui attaque l'existence même de l'Etat, attaque, par voie de conséquence, son existence politique ». Serait-ce décisif, pour les questions actuelles? D'abord il n'y avait de définition nécessaire que relativement aux délits corrrectionnels pour le changement de compétence, puisque déjà tous crimes indistinctement étaient dans les attributions du jury selon la loi criminelle existante. Aussi le texte de 1830 employait-il l'expression délits, quoiqu'il se référât à deux chapitres où les délits correctionnels sont en petit nombre, ainsi qu'à d'autres dispositions qui en ont prévu d'autres et aux lois ultérieures pour délits politiques. Si le rapport embrassait dans ses prévisions des crimes avec des délits, ce qu'il induisait des expressions de Filangieri n'était qu'une opinion doctrinale, d'ailleurs susceptible de contradiction et même exagérée pour satisfaire l'opinion publique quant au jury. Au point de vue du but caractéristique, il se fondait sur un soupçon ne pouvant donner qu'une présomption arbitraire; et relativement à l'attaque, il considérait trop la conséquence ou l'effet possible. Enfin, renfermant ou non des crimes dans l'expression « délits politiques », il avait le tort de confondre dans

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une même idée toutes les incriminations de deux chapitres où se trouvent aussi des crimes de trabison et des crimes mixtes. Des commentateurs, il est vrai, n'ont pas davantage fait la distinction nécessaire, et l'un d'eux dit sans hésitation sur le premier chapitre lui-même : « Les crimes et les délits prévus dans ce chapitre sont, au premier chef, des crimes et des délits politiques. La loi du 8 octobre 1830 leur a donné cette qualification, et il serait, en vérité, très-difficile de la leur dénier. Il en résulte que, sauf les cas prévus par la loi du 10 juin 1853, la peine de mort est remplacée, dans toutes les dispositions de ce chapitre, par la peine de la déportation » (Ant. Blanche, Etudes, nos 404 et 405). Remarquons-le, toutefois, outre que la loi de 1830 n'a eu en vue qu'un changement de compétence pour des délits correctionnels, les commentateurs écrivaient en pleine paix et songeaient surtout aux infractions qui ne compromettent que la sûreté intérieure de l'Etat ; tandis qu'il s'agit aussi aujourd'hui de crimes contre la sûreté extérieure, qui sont des trahisons contre la patrie en temps de guerre, tels que celui du Français portant les armes contre la France, ceux de manoeuvres ou intelligences avec l'ennemi pour favoriser ses entreprises, ceux des fonctionnaires ou agents et autres qui lui livrent des secrets ou plans ou qui recèlent des espions ou ennemis envoyés à la découverte. Sont-ce ià de simples délits politiques, protégés par l'innovation de 1848 et de 1850? C'est surtout dans les lois pénales, contemporaines ou postérieures, qu'il faut chercher un guide pour les questions d'abolition ou d'atténuation.

XXXIX. Révisant le Code pénal en 1832 et y conservant la peine de mort pour la plupart des crimes contre la sûreté de l'Etat, le législateur avait à leur appliquer distributivement le principe d'atténuation facultative qu'il établissait pour le jury et les magistrats d'assises à l'égard de tous crimes, avec indication des peines politiques qui remplaceraient la peine de mort pour les crimes capitaux politiques en cas de circonstances atténuantes déclarées. C'est ce que faisait une disposition du nouvel art. 463 qui, après celle ayant dit que la Cour appliquerait les travaux forcés, portait textuellement : « Néanmoins, s'il s'agit de crimes contre la sûreté extérieure ou intérieure de l'État, la Cour appliquera la peine de la déportation ou celle de la détention; mais, dans les cas prévus par les art. 86, 96 et 97, elle appliquera la peine des travaux forcés à perpétuité ou celle des travaux forcés à temps. » C'était reconnaître implicitement parmi les crimes contre la sûreté de l'État deux catégories distinctes, l'une composée de crimes politiques dont l'atténuation appellerait une peine politique, l'autre se composant de trois crimes communs ou mixtes, tels que l'attentat contre la vie du roi et les attaques avec bandes armées ou commandement usurpé pour piller ou dévaster des propriétés publiques. N'oubliait-on pas une distinction essentielle entre les crimes contre la sûreté intérieure de l'État, conser

vant le caractère politique s'ils n'étaient pas mélangés de crime commun plus grave, et les crimes contre la sûreté extérieure, qui seraient des trahisons en temps de guerre pour favoriser les entreprises de l'ennemi?

La loi du 10 juin 1853 avait pour but de rétablir l'incrimination de l'art. 86, abrogé pour incompatibilité avec le gouvernement républicain que remplaçait l'Empire. En maintenant la peine de mort pour l'attentat contre la vie ou la personne du souverain ou contre la vie des membres de la famille impériale, parce qu'ils étaient réputés crimes communs, elle n'a admis que la déportation dans une enceinte fortifiée pour le crime de l'art. 87, reconnu être purement politique, lequel consistait dans l'attentat ayant pour but soit de détruire ou changer le gouvernement ou l'ordre de successibilité au trône, soit d'exciter les citoyens ou habitants à s'armer contre l'autorité impériale. Ici on a bien reconnu que l'abolition de l'échafaud politique devait être maintenue (Voy. rapport du 26 mai), mais il n'y a eu d'application explicite qu'au crime de l'art. 87.

C'était la révision de 1863, s'opérant après l'abolition maintenue de la peine de mort en matière politique, qui devait faire les applications du principe nouveau réservées par la loi de 1850. Pourquoi cette révi– sion, qui a porté sur tant de dispositions éparses, a-t-elle laissé subsister toutes celles punissant de mort les crimes contre la sûreté de l'Etat ? Ce n'est dit nulle part. Mais il fallait nécessairement modifier l'art. 463, ne fût-ce que pour le mettre en rapport avec la loi de 1850 ayant établi deux degrés dans la déportation. Alors on a supprimé la disposition de 1832 qui substituait la déportation à la peine de mort, pour les crimes politiques avec circonstances atténuantes, et le rapport de la commission du Corps législatif s'est borné pour explication, après avoir rappelé l'innovation datant de 1848, à dire : « Il en résulte que toutes les dispositions du titre 1er, liv. 3, du Code pénal, portant la peine de mort pour crimes politiques, et notamment les art. 86, 96 et 97, sont modifiées par la loi de 1850. Cette suppression s'explique d'elle-même pour ceux des crimes contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État qui ont un caractère politique et qui ne sont plus punis de mort; quant à ceux de ces crimes, s'il en existe, qui n'auraient pas ce caractère politique et qui, par conséquent, seraient encore punis de mort, la suppression se justifie par cette autre considération que là où le caractère politique serait absent, c'est la peine des travaux forcés et non la déportation qui doit être substituée à la mort. » L'explication elle-même est confuse. Les auteurs de la révision ont reculé devant la difficulté de faire la distinction dans les textes. Un rapport a bien dit qu'il y avait modification en principe pour ceux des crimes contre la sûreté de l'État qui ont un caractère politique, mais il a lui-même admis que peut-être il en existe qui ne l'ont pas.

XL. Voici donc ce qui résulte de l'ensemble des éléments d'interprétation que fournissent la classification et les dispositions pénales, les modifications et les discussions législatives, ainsi que l'accord des criminalistes ou commentateurs. Le caractère politique a été reconnu aux crimes et délits contre la sûreté de l'Etat, sans exception pour ceux qui attentent à la sûreté extérieure, et il a été supposé exister pour tous indistinctement, sauf les exceptions qui seraient à faire lors du jugement, s'il y avait quelque circonstance modifiant la nature du crime à punir. C'est ainsi qu'on a pu dire en général que les crimes capitaux de cette catégorie ne comportaient plus la peine de mort, et c'est ce qui fait que, dans le Code pénal révisé en Belgique, où la peine de mort en matière politique était abolie par la Constitution de 1831, ces crimes ne sont plus punis que de la détention perpétuelle, peine politique la plus grave (art. 115 et 117).

Pour les exceptions possibles, il y a plusieurs considérations à rete– nir. La classification adoptée en 1810, maintenue avec tempéraments en 1832 et 1863, a fait confondre des infractions différentes, tandis qu'il y avait des nuances à observer et qu'il eût fallu mieux échelonner les peines, de telle sorte que la peine de mort était indifféremment appliquée à la plupart de ces crimes et parfois sans nécessité certaine, ce qui a motivé les critiques des criminalistes. Parmi les crimes dont il s'agit, si presque tous ont le caractère exclusivement politique, quelques-uns ne l'ont pas de même, et il en est qui le perdent lorsqu'il y a mélange de quelque circonstance ou qualité différente. Ainsi que l'a dit M. Ortolan, une appréciation est à faire par le jurisconsulte et même quelquefois, d'après le fait, par le juge. La jurisprudence reconnaît que l'existence d'un crime qui serait exclusivement politique, s'il n'était accompagné d'aucun autre, n'empêche pas qu'il y ait à appliquer le droit commun, si l'ensemble des circonstances présente un crime commun ou mixte (Cass., 3 févr. et 9 mars 1849, J. crim., art. 4428 et 4446). C'est tellement vrai que, même en 1848, il y a eu condamnation à mort pour crime commis dans l'insurrection de juin, et rappel à l'ordre du représentant qui disait qu'on avait rétabli l'échafaud politique; qu'en 1853 une loi a inscrit la peine de mort dans le texte révisé pour l'attentat contre la vie ou la personne du chef de l'Etat; que, récemment encore, la définition des délits politiques présentait des difficultés au Sénat.

Le caractère politique d'un crime peut se trouver altéré, non pas seulement par la coexistence ou le mélange d'un crime ou d'une circonstance de fait qu'aura prévus une disposition pénale de droit commun, mais aussi à raison d'une qualité personnelle de l'agent qui le fait punir selon une autre loi, par exemple s'il est militaire. Peu importe que la disposition du Code pénal ordinaire ait été dirigée contre quiconque commettrait le crime prévu : cette locution générale peut bien embras

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