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tance; un surtout, qui a vécu trois jours, et pendant ces trois jours il ne lui est échappé que six à sept grimaces. Hommes et femmes ont accouru à ce spectacle; et quelques-unes s'étant avisées de lui dire des injures, il ne leur a répondu qu'en étendant sa main, et faisant un geste que la pudeur ne permet pas de nommer,

Peut-être que cette lettre ne vous paroîtra pas fort intéressante; mais songez que je suis un nouveau débarqué. Dans quelques mois je ferai mieux. En attendant, je vous prie de ne point oublier les absens, et d'être bien persuadé que je suis, avec un attachement également sincère et respectueux,

Votre, etc. SEVIN.

LETTRE I I.

MONSIEUR,

Au même.

Constantinople, ce 3 avril 1729.

COMMENT avez-vous fait pour ne vous pas ennuyer dans le plus vilain pays qui fut jamais? J'ai beau me retourner de tous les côtés, je n'en suis guère plus à mon aise. Vivent les tempéramens tels que le vôtre! Malheureusement je suis bien loin de vous ressembler, et, qui pis est, j'ai tout le loisir de méditer sur mes disgraces; je les crois sans remède, ainsi que celles de notre très-cher ami l'abbé Legendre. Je lui conseille de ne pas risquer le voyage de Constantinople. Les femmes turques, grecques, juives et arméniennes y détestent les gens tardifs. D'ailleurs son systême lui susciteroit ici de très-mauvaises affaires. C'est à-peu-près dans ces cantons-ci que fut mis en pièces l'infortuné Orphée. Quoique poète du premier ordre, ses vers ne le dérobèrent point à la fureur des dames, irritées de lui entendre débiter certains dogmes peu favorables à leurs intérêts, plus supportables cependant que ceux dont notre ami N... fait profession ouverte.

Les Constantinopolitaines ne pardonnent rien. Quelques jours après le débarquement, je m'amusai à badiner sur leurs doubles culotes; la plaisanterie ne fut point de leur goût, et il fut résolu, dans un grand conseil tenu à Galata dès le lendemain, qu'on me lapideroit à la sortie du sermon. Il étoit difficile de prendre plus mal sa bisque. Je leur ai échappé sans miracle; et à force de satisfactions, j'ai appaisé leur courroux. Maintenant je vis très-bien avec elles, et je les vois rarement; la raison en est qu'elles me réjouissent encore moins que la maussade comédie de ce pays-ci.

Le héros de la pièce est un infame, nommé Caragus, qui paroît sur le théâtre avec tout l'équipage du fameux dieu de Lampsaque. Il se marie, au premier acte, et consomme son mariage en présence de l'honnête assemblée. Au second, sa femme accouche, et l'enfant, sur-le-champ, fait avec son père un dialogue très-ordurier. Succède le troisième acte, dans lequel Caragus prend l'habit de derviche; et immédiatement après sa profession, vient un épouvantable dragon qui l'avale, lui et toute la communauté. Enfin, le monstre ne pouvant digérer un si mauvais repas, rend les moines les uns après les autres. Ensuite de quoi on baJaye le théâtre, et la compagnie se retire. Je

pas

ne fus des derniers à prendre ce parti, avec protestation de ne me retrouver jamais à des spectacles où les règles d'Aristote et celles de la modestie sont également négligées.

Dieu veuille confondre ces maudits Musulmans! Ils souffrent impatiemment l'établissement des Moscovites dans les provinces de Perse depuis peu il y a eu sur les frontières une escarmouche entre quelques troupes des deux nations; et on assure que les derniers y ont été assez maltraités. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Constantinopolitains ne respirent que la guerre; et l'on dit hautement que le grand-seigneur attend le kan de Tartarie pour concerter avec lui les projets de la campagne.

Les affaires de l'usurpateur commencent à décliner. Le mogol, qui l'assistoit puissamment, est mort, et les enfans de ce prince se disputent la couronne avec un acharnement dont l'histoire de ce pays-là ne fournit que trop d'exemples. Cet empire, aussi bien que celuici, est sujet à de grandes révolutions. Le grandseigneur l'a échappé belle la semaine dernière : le pain a manqué tout-à-coup; et déjà l'on commençoit à s'attrouper, lorsque, par les soins du visir, on a vu renaître l'abondance. Quelques heures de retardement, le mal étoit sans remède. Je suis, etc. SEVIN.

LETTRE III..

MONSIEUR,

Constantinople, ce 14 août 1729.

LES nouvelles de France, comme vous le savez, arrivent tard en ce pays-ci. Ne soyez donc pas scandalisé si je ne vous ai pas témoigné plutôt la part que je prends à la perte que vous avez faite (1). Il me seroit difficile de vous exprimer jusqu'à quel point cet article des gazettes m'a affligé; je ne l'entreprendrai pas même il est des choses qui veulent à peine être effleurées. Il me paroît infiniment plus convenable de vous entretenir de ce qui s'est passé de plus curieux à Constantinople depuis mes dernières lettres. Je me souviens à merveille de vous avoir promis, un mercredi soir, de ne vous laisser ignorer aucun des événemens qui mériteroient votre attention; et les paroles données dans une occasion si solemnelle doivent être observées avec l'exactitude la plus scrupuleuse. Ce sont-là les grandes règles, à ce que je crois; et je suis persuadé qu'il n'est jamais permis à un honnête homme de s'en écarter le moins du monde. Je commencerai par vous

(1) Voyez l'Appendice, n° 2.

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