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nant-colonel de l'impératrice-reine de Hongrie, commandant le vaisseau la Marie-Thérèse. J'eus pour lui tous les égards que demandoit l'alliance qui subsiste entre son auguste souveraine et notre roi; je lui ouvris ma maison, où il demeura près de cinq mois avec sa famille. Je reçus dans le Jardin français ses officiers et ses matelots malades, et je lui donnai tous les secours que les Anglais lui refusoient avec cruauté. Mais ne sachant si ce nouvel établissement de commerce convenoit à la France, me retins sur les éclaircissemens qu'il desiroit; et j'ai cru m'apercevoir qu'il étoit plus mécontent de ma réserve, qu'il n'avoit été satisfait de mes soins.

Je remarquai aussi que, pendant ce temps, les Anglais fréquentoient plus souvent ma maison; ils me faisoient des questions sur les négociations de M. de Saint-Lubin, sur l'apparition subite du Brillant et de la Consolante, et sur les nouvelles que je recevois, soit de la côte Malabare, soit de Pondichéry, soit d'Europe. Je n'étois pas embarrassé à leur donner le change; mais j'appréhendois leur séduction à l'égard des Français de ma maison, et de mes serviteurs même, qu'ils cherchoient à corrompre on sait que dans ces occasions cette nation n'épargne ni l'or ni l'argent; et elle n'en

a que trop fait usage contre moi, en subornant ceux qui me paroissoient les plus attachés.

En même temps que les Anglais employoient contre moi ces moyens obliques, ils vouloient m'intimider par l'ostentation de leur puissance. J'avois fait construire dans le Jardin français un escalier de bois pour descendre à la rivière, et j'avois obtenu du nabab toutes les permissions nécessaires: mais le chef anglais croyant voir dans cet escalier une redoute qu'il falloit abattre, et cherchant de plus toutes les occasions de me faire dépit, obligea le nabab de l'envoyer détruire, J'ai rendu compte, dans le temps, au ministre, de cet événement, dans un grand détail, ne voulant lui rien laisser ignorer de ce qui peut faire connoître le génie de la nation anglaise, et la tyrannie qu'elle exerce à Surate.

Tandis que j'étois tourmenté par toutes ces vexations sourdes, j'éprouvois une ingratitude bien mortifiante de la part des armateurs du Duras.

Le 16 août, les sieurs Crokat et Dorion, conseillers anglais de Surate, m'apportèrent une lettre de M. Hornby, gouverneur de Bombay; ils me dirent qu'en qualité de ses procureurs, ils venoient me donner avis que la lettre de change de cent soixante mille roupies n'avoit pas

été ac

ceptée par les armateurs du Duras, à la présentation qui leur en avoit été faite par M. Hunter, à l'Orient, le 13 décembre 1776; qu'à cette même date le protêt faute d'acceptation en avoit été fait dans cette ville; que copie de ce protêt faute d'acceptation étoit dans la lettre du gouverneur, qu'ils m'apportoient; que leurs ordres étoient de me demander, ou le nantissenent de cette somme de cent soixante mille roupies, ou au moins des pièces qui prouvassent qu'elle devoit être payée à son échéance; bien persuadés, disoient-ils, que les armateurs du Duras, en voyant arriver leur vaisseau chargé des marchandises provenues de cette somme empruntée pour leur compte, ne feroient aucune difficulté d'acquitter la lettre de change à son échéance.

Piqué personnellement contre les armateurs, je ne pus 'cependant désapprouver les précautions que prenoit M. Hornby. Je dis donc aux sieurs Crokat et Dorion que les demandes du gouverneur de Bombay étoient justes; que j'allois travailler à lui donner satisfaction, et qu'au vu des pièces, que je lui ferois remettre, il conviendroit lui-même que j'étois bien en règle, et qu'au contraire les armateurs, qui m'exposoient à un pareil affront, en refusant d'accepter la

lettre de change, sous prétexte de n'avoir point de fonds au tireur, étoient tout-à-fait en défaut vis-à-vis de moi.

Sur-le-champ, après m'être mis en règle par les formes judiciaires, je fis tirer copie de l'article des livres journal et extrait, qui démontroit que l'argent de la lettre de change, tirée pour leur compte, étoit entré dans leur caisse le 10 mars 1776; que ces fonds de cent soixante mille roupies avoient été employés en marchandises de Surate et autres lieux, et chargés pour leur compte. Je fis aussi tirer copie des pouvoirs que les armateurs du Duras et du Sévère m'avoient donnés pour fournir lettre de change à leur compte; lesquels tous montent à une somme bien au-dessus de l'emprunt..

Toutes ces copies réunies furent montrées par moi à M. Boddam, chef anglais de Surate, qui les collationna lui-même sur les originaux avec les sieurs Crokat et Dorion. Je les adressai toutes, par une lettre bien détaillée, du 24 août 1777, à M. Hornby à Bombay. Sans doute que ce gouverneur aura fait passer toutes ces pièces à M. Jonh Hunter, son procureur à Londres, par la première occasion qu'il aura trouvée. J'envoyai le duplicata de ce travail en novembre suivant, par la voie d'Alep, à mon procureur à Paris, M. Anquetil de l'Etang,

avec un pouvoir ad hoc, pour y poursuivre les armateurs en justice, en cas de refus de paiement de la lettre de change à son échéance, qui avoit un an à courir. Ce fut M. Boicervoise, premier député du consulat de Surate, qui fut porteur de ces secondes dépêches.

Toutes ces écritures et ces opérations finies. et envoyées par duplicata, je crus devoir rester tranquille, et n'avoir plus rien à craindre à cet égard; c'étoit aussi l'opinion des gens sensés et de tous les bons négocians de Surate. Mais la suite de cette affaire prouve que le bon droit n'est pas toujours celui qui triomphe.

Alternative de guerre et de paix. Intrigues entre les Anglais et les Marates, Ragouba et Hyder-Aly-Kan. Arrivée de M. de Montigny à Surate.

RAGOUBA, mécontent de la paix conclue en mars 1776, avoit, comme on l'a vu, laissé exercer à son armée toutes sortes de brigandages, jusques sous les murs de Surate. Craignant d'être livré, par les Anglais même, aux Barabayes, il avoit pris, en juin suivant, le parti de décamper, pour chercher fortune ailleurs; mais sa petite armée diminuoit tous les jours, et par-là devenoit de plus en plus incapable de tenir tête aux Marates qu'elle avoit con

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