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recurent chacun plus de vingt mille roupies (cinquante mille livres) pour les porter en toute diligence; et c'est par un tel ressort, employé à propos, que les opérations de conséquence réussissent en Angleterre.

Le résultat de la remise de ces paquets, payée si cher, fut la neutralité rompue une seconde fois à Bengale, Chandernagor pris par les Anglais, et M. Chevalier, directeur de l'établissement, fait prisonnier avec tous les Français.

Cette première hostilité des Anglais dans l'Inde fut faite en juin 1778. En août suivant, leur armée et celle de leur nabab, Mamet Alykan, formant en tout un corps d'environ vingtcinq mille hommes, quittèrent les environs de Madras, pour venir mettre le siége devant Pondichery.

Déterminés à chasser tous les Francais de l'Inde, ils voyoient, sans doute, avec peine le consul de France à Surate. Rien n'étoit plus aisé que de se débarrasser des inquiétudes que je pouvois leur causer: ils avoient en main le même moyen qui avoit expulsé M. Chevalier de Bengale; la neutralité ne fut pas plus sacrée à Surate qu'elle ne l'avoit été à Chandernagor; mais craignant de manquer leur coup, ils usèrent de ruse pour ôter tout ombrage.

Le premier novembre 1778, le chef anglais

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de Surate, M. Boddam, vint le soir me visiter: Il me demanda, par forme de conversation, comment les deux nations, anglaise et française, s'étoient comportées à Surate pendant la dernière guerre. Je lui répondis que la neutralité y avoit été strictement observée; que je pouvois lui en donner une preuve bien frappante dans la conduite de M. Spencer, alors chef anglais à Surate; qu'après s'être emparé, en 1759, de la forteresse de cette ville, il m'avoit rendu le Louis-Quinze et le Postillon, deux vaisseaux français pour lors en rivière de Surate, que M. le Verrier, mon prédécesseur, m'avoit laissés, et dont les Anglais s'étoient emparés et même servis les premiers jours de l'attaque.de la forteresse.

J'ajoutai qu'outre cet acte de justice, j'avois toujours vécu en paix, pendant la dernière guerre, successivement avec MM. Spencer, Hodjes, Price, chefs anglais de Surate, y gérant moi-même, sans aucune contradiction de leur part, les affaires de la compagnie des Indes, en qualité de chef du comptoir français. M. Boddam m'assura alors qu'il croyoit qu'il en seroit de même pendant la guerre qui me naçoit; mais qu'au reste, s'il recevoit des ordres de rompre la neutralité à Surate, comme elle l'avoit été à Chandernagor, il m'en donneroit

secrètement avis; et voici comme il tint parole

deux jours après.

Le 3 novembre 1778, les sieurs Beauchairs, Morlaix et Crokat, conseillers anglais de Surate, suivis de quatre officiers européens et d'un détachement de quatre-vingts cypayes, arrivèrent, à onze heures du matin, au Jardin français, et entourèrent la maison consulaire. Loin de m'attendre à une semblable visite, j'étois alors occupé à traiter d'affaires de la dernière importance avec le courtier français.

M. Lavary le Roy, capitaine de vaisseau marchand, venoit d'arriver chez moi de Daman; il quittoit M. de Saint-Lubin, qui s'y étoit réfugié depuis un mois. Ne pouvant risquer aucune lettre, M. le Roy m'avoit communiqué en gros les vues des Marates; et, à l'aide de quelques papiers en chifres qu'il me remit de la part de M. de Saint-Lubin, je sus alors quelles devoient être les opérations militaires de cette nation pour la prochaine campagne. Comme elles regardoient Surate, au cas que l'escadre française parût à la côte Malabare, je m'occupois déjà des moyens de rendre utiles à la nation les projets que les Marates, alliés des Français, étoient dans la disposition d'ef fectuer.

J'étois à conférer sur ces objets avec le courtier français, dont j'étois sûr, et à prendre avec lui des arrangemens, lorsque tout-à-coup je suis interrompu par cette visite inattendue des Anglais. Le courtier Doulop n'a que le temps de gagner une porte de derrière pour s'enfuir, et les trois conseillers entrent chez moi pour me faire part de l'objet de leur mission.

Ils me dirent qu'ils étoient envoyés par le chef et conseil de Surate, pour me faire savoir qu'en conséquence des hostilités commencées dans l'Inde entre les deux nations, ils étoient venus arrêter le consul de France et tous les autres Français de Surate; que ma femme, ma fille et toute ma famille auroient la liberté d'aller où bon leur sembleroit ; qu'il ne seroit touché à aucuns de mes effets particuliers, et qu'il me seroit délivré une honnête subsistance, qui avoit été fixée, pour toute ma maison, à vingt roupies par jour; qu'ils étoient en outre commissionnés pour m'envoyer, sous quatre jours, à Bombay, avec tous les Français; qu'on m'y avoit préparé une maison propre à faire ma résidence jusqu'à mon départ pour Europe par les premiers vaisseaux qui iroient en Angleterre; que ma femme et ma fille m'y suivroient, si bon me sembloit, et que les mêmes

arrangemens avoient lieu pour M. de Moncrif, chanchelier, qu'on ne vouloit pas séparer du consul.

Ces commissaires me firent savoir qu'en conséquence des mêmes ordres, on avoit arrêté en ville les sieurs Lavary le Roy, Quiblier, et le père Gilbert, capucin, curé de la mission française, qui tous alloient être envoyés à Bombay, avec le sieur de Charlevale, pour lors avec moi au Jardin français.

L'objet de leur mission ainsi énoncé, ils n'attendirent pas mes représentations sur la neutralité qu'ils rompoient, et qui avoit été observée en tout temps à Surate : ils posèrent des gardes et sentinelles à toutes les portes du jardin, se saisirent de tous mes papiers, qu'ils mirent sous le scellé de leur compagnie, visitèrent tous les effets, et laissèrent auprès de moi un officier européen, qui avoit ordre de ne me point perdre de vue, de m'accompagner à la promenade, même dans le jardin, d'où il me fut défendu de sortir, ainsi qu'aux autres Français, prisonniers comme moi.

Les Anglais à Surate, les Hollandais et les Portugais ont dans leurs loges un mât au haut duquel flotte le pavillon de leur nation. Les Français, qui l'avoient de même en 1728, sont, depuis ce temps, réduits à deux petits pavillons

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