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succès pour détruire un préjugé reçu dès l'enfance et enraciné par l'habitude. Ces sortes de préjugés naissent souvent de la plus faible cause, dans les imaginations actives. Qu'une personne, attachant au mot gauche une idée de malheur, fasse journellement de la main droite une chose que l'on puisse exécuter indifféremment de l'une ou de l'autre main; cette habitude peut accroître la répugnance à se servir pour cela de la main gauche, au point de rendre la raison impuissante contre ce préjugé. Il est naturel de croire qu'Auguste, doué d'une raison supérieure à tant d'égards, s'est reproché quelquefois sa faiblesse de n'oser se mettre en route le lendemain d'un jour de foire, et qu'il a voulu la surmonter. Mais au moment d'entreprendre un voyage dans l'un de ces jours réputés malheureux, il a pu se dire que le plus sûr était de le différer, augmentant ainsi sa répugnance par l'habitude d'y céder. La répétition fréquente d'actes contraires à ces préjugés doit, à la longue, les affaiblir et les faire entièrement disparaître.

L'attachement que l'on porte aux personnes qu'on a souvent obligées, découle du principe que nous venons de développer. La répétition fréquente d'actes en leur faveur, accroît et fait même naître quelquefois le sentiment dont ils

sont la suite naturelle. Les actes que le goût d'une chose nous fait exécuter fréquemment, augmentent l'intensité de ce goût, et le transforment souvent en passion.

On voit par ce qui précède, combien notre croyance dépend de nos habitudes. Accoutumés à juger et à nous conduire d'après un certain genre de probabilités, nous donnons à ces probabilités notre assentiment, comme par instinct, et elles nous déterminent avec plus de force que des probabilités bien supérieures, résultats de la réflexion ou du calcul. Pour diminuer autant qu'il est possible cette cause d'illusion, il faut appeler l'imagination et les sens au secours de la raison. Que l'on figure par des lignes les probabilités respectives, on sentira beaucoup mieux leur différence. Une ligne qui représenterait la probabilité du témoignage sur lequel un fait extraordinaire est appuyé, placée à côté de la ligne qui représenterait l'invraisemblance de ce fait, rendrait très sensible la probabilité de l'erreur du témoignage; comme un tableau dans lequel les hauteurs des montagnes sont rapprochées, donne une idée frappante des rapports de ces hauteurs. Ce moyen peut être employé dans plusieurs cas avec succès. Pour rendre sensible l'immensité de l'univers, que l'on représente par une quantité presque impercep

tible, par un dixième de millimètre, la plus grande étendue de la France en longueur, la distance du Soleil à la Terre sera de quatorze mètres : celle de l'étoile la plus proche surpassera un million et demi de mètres, c'est-à-dire sept ou huit fois le rayon du plus grand horizon que l'oeil puisse embrasser du point le plus élevé. On n'aura encore ainsi qu'une très faible image de la grandeur de l'univers qui s'étend infiniment au-delà des plus brillantes étoiles, comme le prouve ce nombre prodigieux d'étoiles placées les unes au-delà des autres, et se dérobant à la vue dans la profondeur des cieux. Mais toute faible qu'elle est, cette image suffit pour nous faire sentir l'absurdité des idées de prééminence de l'homme sur toute la nature, idées dont on a tiré de si étranges conséquences.

Nous établirons enfin, comme principe de Psychologie, l'exagération des probabilités par les passions. La chose que l'on craint ou que l'on désire vivement, nous semble, par cela même, plus probable. Son image, fortement retracée dans le sensorium, affaiblit l'impression des probabilités contraires, et quelquefois les efface au point de faire croire la chose arrivée. La réflexion et le temps, en diminuant la vivacité de ces sen

timens, rendent à l'esprit le calme nécessaire pour bien apprécier la probabilité des choses.

Les vibrations du sensorium doivent être, comme tous les mouvemens, assujéties aux lois de la Dynamique, et cela est confirmé par l'expérience. Les mouvemens qu'elles impriment au système musculaire, et que ce système communique aux corps étrangers, sont, comme dans le développement des ressorts, tels, que , que le centre commun de gravité de notre corps et de ceux qu'il fait mouvoir reste immobile. Ces vibrations se superposent les unes aux autres, comme on voit les ondulations des fluides se mêler sans se confondre. Elles se communiquent aux individus, comme les vibrations d'un corps sonore aux corps qui l'environnent. Les idées complexes se forment de leurs idées simples, comme le flux de la mer se compose des flux partiels que produisent le Soleil et la Lune. L'hésitation entre des motifs opposés est un équilibre de forces égales. Les changemens brusques que l'on produit dans le sensorium, éprouvent la résistance qu'un système matériel oppose à des changemens semblables; et si l'on veut éviter les secousses et ne pas perdre de force vive, il faut agir, comme dans ce système, par nuances insensibles. Une attention forte et continue épuise le sensorium, comme

une longue suite de commotions épuise une pile voltaïque, ou l'organe électrique des poissons. Presque toutes les comparaisons que nous tirons des objets matériels, pour rendre sensibles les choses intellectuelles, sont, au fond, des identités.

Je désire que les considérations précédentes, tout imparfaites qu'elles sont, puissent attirer l'attention des observateurs philosophes sur les lois du sensorium ou du monde intellectuel, lois qu'il nous importe autant d'approfondir que celles du monde physique. On a imaginé des hypothèses à peu près semblables pour expliquer les phénomènes de ces deux mondes. Mais les fondemens de ces hypothèses échappant à tous nos moyens d'observation et de calcul, on peut à leur égard, dire avec Montaigne, que l'ignorance et l'incuriosité sont un mol et doux chevet, pour reposer une tête bien faite.

Des divers moyens d'approcher de la certitude.

L'induction, l'analogie, des hypothèses fondées sur les faits et rectifiées sans cesse par de nouvelles observations, un tact heureux donné par la nature et fortifié par des comparaisons nombreuses de ses indications avec l'expérience; tels sont les principaux moyens de parvenir à la vérité.

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