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XLVI. Cependant, il est des droits, supérieurs et antérieurs, qu'on ne saurait sacrifier irrévocablement lorsque la force elle-même est vaincue et la ruse déjouée, lorsqu'enfin arrive le jour de la justice avec des moyens d'exécution. S'il ne s'agissait que de châtiments, la renonciation pourrait être dans les conditions d'un traité de paix, le pardon pour les faits de guerre serait implicite ou sous-entendu. Ne doit-il pas en être autrement, à l'égard des restitutions ou réparations civiles, quand elles sont dues selon des principes immuables que ne peuvent détruire ni les licences de la guerre, ni les conventions des belligérants y mettant fin? Dans les amnisties accordées après des troubles intérieurs, il est de principe généralement observé que chacun conserve l'action civile qui lui appartenait pour la lésion faite à ses intérêts par l'une des infractions amnistiées. Rien ne s'oppose à ce que le principe soit reconnu applicable également aux amnisties réciproques, expresses ou implicites, qui résultent des conventions ou événements mettant fin à une guerre d'invasion, tout au moins pour les restitutions sans lesquelles il y aurait une sorte de vol. Ce n'est vraiment que justice, sauf accord ou arbitrage quant aux voies et moyens : sur ce point encore nous pouvons invoquer l'autorité des publicistes qui tendent à fixer les règles du droit international moderne, des jurisconsultes allemands eux-mêmes en prenant leurs plus récents ouvrages sur la guerre et la paix.

On s'accorde à reconnaître que l'amnistie en cas de paix tient uniquement à ce que, la guerre étant un fait exceptionnel, le droit commun ne s'applique point aux crimes et délits qui y trouvent une excuse; qu'on ne doit pas étendre l'amnistie aux plaintes pouvant être admises sans destruction de la paix conclue, aux demandes ou actions civiles résultant par exemple de conventions pour des livraisons, de prêts ou emprunts d'argent (Weathon, § 544, Heffter; §§ 180 et 181; Bluntschli, art. 710, note 2). L'extension est encore moins admissible, relativement aux abus dommageables qui ne sont pas nécessairement excusables et généralement excusés; aussi le jurisconsulte allemand, après avoir posé cette règle et fait remarquer que < l'amnistie s'étend dans la pratique beaucoup plus loin que sa cause ne l'exigerait », ajoute-t-il : Il n'existe pas en droit de motif de ne pas punir le vol ou l'incendie. Cette extension insolite de l'amnistie s'explique en partie par la théorie absurde de nos devanciers que la guerre est la négation de tous les droits de l'ennemi, et que les belligérants retournent au soi-disant état de nature. Aujourd'hui, le droit international reconnaît que le droit subsiste malgré la guerre ; on devrait donc pourvoir plus efficacement à la répression des crimes communs, et protéger avec plus de soin la personne et les biens des citoyens (Bluntschli, art. 712, note). » Donc, le vol et l'incendie étant punissables et sans excuse, l'amnistie ne devrait s'étendre à de telles infractions d'aucune manière, ni pour la répression, ni vis-à-vis des victimes; l'extension fût-elle stipulée, cela ne saurait légiti–

mement éteindre toute action pour restitution ou dommage : la difficulté sera de trouver l'auteur ou la personne responsable, pour le dédommagement qu'il faudrait demander.

Si les dévastations ne comportent guères d'action utile contre un belligérant, l'objection n'existe pas de même à l'égard des faits abusifs qu'il a exploités à son profit en dépossédant une commune ou des citoyens. Aujourd'hui, le droit international, qui veut qu'on punisse tout pillage et « interdit absolument de faire du butin » (Bluntschli, art. 657), n'admet pas davantage les contributions de guerre à titre de rachat; car la guerre s'est civilisée, on n'a plus le droit de piller et encore moins le droit de détruire sans nécessité; il ne peut donc plus être question de racheter ce prétendu droit. L'ennemi ne peut pas non plus prélever des contributions pour payer ses soldats... Les chefs ne peuvent pas disposer arbitrairement de la fortune des communes ou des particuliers, contre lesquels la guerre n'est pas dirigée» (art. 654). Une seule nation paraît mépriser cette règle, selon l'aveu ainsi échappé à la plume du même jurisconsulte: «On n'a pas assez respecté les vrais principes dans plusieurs guerres récentes et même dans la dernière guerre d'Allemagne en 1866; les Prussiens ont levé sans motifs suffisants des contributions en argent dans quelques-unes des villes qu'ils ont occupées. L'Europe actuelle n'admet plus cette façon d'agir, reste des temps barbares. Elle blâme hautement toute violence inutile et injuste contre les habitants paisibles du territoire ennemi » (Ibid., note). Ce sont seulement les réquisitions en nature, quand il y a nécessité absolue, qui sont permises par le droit actuel, et encore sous la condition d'un récépissé avec remboursement ultérieur (art. 655).

Si donc l'envahisseur est tenu de pourvoir par lui-même aux besoins de son entreprise et de ses soldats, s'il n'est autorisé par la nécessité qu'à faire des réquisitions d'objets en nature et qu'avec la condition de paiement actuel ou de remboursement ultérieur, qu'est-ce donc qu'une contribution de guerre, imposée à une ville ou commune collectivement ou aux habitants individuellement, avec contrainte ou menaces et parfois avec exécution violente? C'est une exaction criminelle, que condamne la justice et que n'excusent pas les lois de la guerre. Y eût-il amnistie expresse ou implicite pour de tels faits, le droit à restitution subsisterait, selon les principes et le droit international lui-même.

Voilà le droit moderne. S'il est violé ou éludé par l'ennemi, le Gouvernement de la défense nationale, qui a si bien relevé le drapeau de la France, saura le faire prévaloir en définitive.

ACHILLE MORIN.

ART. 9068 (suite du précédent.)

Des crimes et délits étant commis sur un territoire occupé par l'ennemi, quelles sont la loi applicable et les juridictions compétentes?

Si les juges du lieu ne peuvent fonctionner, n'y a-t-il pas un moyen légal de faire juger par d'autres?

I. L'histoire flétrira le vandalisme des Allemands qui, voulant affaiblir une grande nation et joignant à la violence avec mensonges toutes sortes de ruses perfides, dans un pays où ils avaient longtemps reçu une si confiante hospitalité, ont apporté le carnage et la dévastation, ont fait périr par milliers des victimes innocentes, ont bombardé des villes et incendié des villages entiers, ont fusillé comme brigands des habitants qui ne faisaient que défendre le pays ou leur bien, ont imposé d'énormes contributions à des villes qui pourtant ne les combattaient pas, ont outragé les lois et la justice légale elle-même au point de vouloir les asservir à leurs iniquités par des interprétations monstrueuses, ont en un mot fait reculer de plusieurs siècles la civilisation et les notions du droit! .....

De tels désordres surexcitant énormément les populations et quoique la défense contre l'invasion fût partout la préoccupation principale, les lois ordinaires ont reçu de fréquentes atteintes, des crimes et délits communs se sont multipliés, la violence et la rapine ou le vol ont échappé à toute répression dans la plupart des pays occupés par l'ennemi. Autant il était impitoyable pour tout ce qui entravait son invasion, autant il négligeait de faire réprimer les infractions communes, quoique sa prétention fût d'être devenu maître absolu par l'occupation militaire. Il eût bien voulu voir fonctionner la justice locale, mais c'était dans des conditions auxquelles ne pouvaient se soumettre des magistrats français. D'une part, l'envahisseur instituait des commissaires allemands, qui auraient exercé sur l'administration de la justice une certaine pression. D'autre part, là où il se posait en conquérant, il aurait voulu que la justice fût rendue au nom des puissances allemandes ; et lorsqu'il voyait repousser absolument une telle prétention, sa tactique était d'exiger que les jugements fûssent rendus sous le nom de Napoléon III, quoiqu'après sa capture il y eût eu par acclamation déchéance et institution d'un gouvernement provisoire. A Nancy, par exemple, un commissaire civil allemand voulait contraindre la Cour à « rendre la justice au nom des hautes puissances allemandes occupant l'Alsace »; puis il a dit qu'en cas de refus, l'autorité prussienne admettrait une « formule où le nom de l'empereur des Français continuerait à figurer, puisque, quoique prisonnier, il n'avait point abdiqué dans sa délibération motivée, visant une loi du 28 frim. an VIII, J. cr. DÉCEMBRE 1870.

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la Cour de Nancy a considéré notamment « qu'en France, à toutes les épo ques et sous tous les régimes, la justice a été administrée au nom du souverain, quel qu'il fût; qu'aujourd'hui la captivité de l'empereur et la proclamation de la République rendent indispensable la modification de la formule exécutoire, et qu'en interdisant celle que l'usage a consacrée et que les circonstances imposent l'autorité prussienne place les magistrats français dans l'impossibilité légale de juger, en même temps que cette interdiction, qui pourrait plus tard s'étendre à d'autres points, constitue dès maintenant, et à elle seule, une sérieuse atteinte à leur indépendance et à leur dignité»; pourquoi elle a « décidé, à l'unanimité de ses membres présents, qu'il y a lieu, pour elle, sans abdiquer ses fonctions, de provisoirement s'abstenir» (Délib. 8 sept. 1870; Journ. off. du 21). Le tribunal de Laon a pris une semblable résolution, dont les motifs ont été tirés du fait de l'installation dans cette ville d'un haut commissaire civil prussien, de la non-reconnaissance par l'autorité prussienne de la République française au nom de laquelle le tribunal rend la justice, enfin de l'impossibilité pour lui de continuer à fonctionner selon les lois françaises (Délib. 15 octob. 1870). A Versailles, paraît-il, l'invasion n'avait pas d'abord empêché le tribunal de juger au nom de la République proclamée, mais les entraves suscitées par l'autorité prussienne ont déterminé la juridiction correctionnelle elle-même à s'abstenir.

II. Quels droits donne à l'ennemi l'occupation par ses armées, quant à la portion de territoire ainsi occupée et spécialement pour l'administration de la justice? Cette énorme question, qui appartient surtout au droit des gens ou international, ne trouve une solution précise et satisfaisante ni dans les ouvrages des publicistes, ni dans les lois ou la jurisprudence françaises.

L'ancien droit, admettant l'acquisition par la force des armes d'une souveraineté même déjà possédée, était porté à trouver dans l'occupation militaire permanente l'équivalent d'une conquête, autorisant à faire tous actes de souveraineté et de juridiction. Mais alors aussi on tenait pour principe, ce qui produisait de singulières conséquences, que la cessation de l'occupation, même par un traité de paix, faisait cesser ou tomber ces actes et jugements, en ce qu'il y avait une sorte de renonciation remettant le souverain dans ses droits, ce qui s'appelle postliminie (V. Vattel, no 214; Merlin, Rép., v° Souveraineté, § VIII).

Suivant le droit international moderne, tel qu'il est expliqué par le jurisconsulte allemand Blüntschli (d'accord avec les instructions qui furent données aux armées américaines lors de la guerre de Sécession), les principes des pays civilisés seraient ceux-ci: Dès qu'une partie du territoire de l'ennemi vient à être occupée militairement, elle est régie par la loi martiale de l'armée occupante; le chef des troupes d'occupation peut maintenir l'administration civile et judiciaire telle qu'elle existait, ou bien la modifier par des règlements nouveaux et faire tous actes nécessités

par la guerre ou utiles au territoire occupé et à ses habitants; « la juridiction civile et pénale suit son cours régulier sur tous les points où les autorités militaires n'ont pas modifié les lois ou règlements existants » (Blüntschli, nos 539, 541, 545 et 547). D'autres publicistes disent: «La conquête totale ou partielle d'un territoire n'a pas pour effet direct de remplacer le gouvernement vaincu par le vainqueur, aussi longtemps que la lutte peut se continuer avec quelque chance. C'est seulement après avoir fait subir au peuple vaincu une défaite complète (debellatio, ultima victoria), après lui avoir enlevé la possibilité d'une plus longue résistance, que le vainqueur peut établir sa domination sur lui en prenant possession du pouvoir souverain, domination usurpatrice......... » (Heffter, Droit international de l'Europe, § 131.) « L'occupation et même l'administration militaires d'un pays par les troupes d'une puissance, par suite des opérations temporaires de la guerre, ne suffisent pas pour changer la juridiction nationale et substituer à celle du territoire temporairement occupé la juridiction de l'État occupant. Un pareil effet n'est produit que lorsqu'il y a eu incorporation ou occupation définitive. » (Ortolan, Diplomatie de la mer, t. 1er, p. 314.)

Dans ses constitutions de 1791 et 1848, la France a proclamé qu'elle n'entreprendrait aucune guerre de conquête pour elle-même. Il n'y avait pas démenti dans ses lois des 11 mars 1793 et 9 vendém. an iv, concernant la réunion des pays de Namur et autres, car elles prenaient soin de viser les actes constatant le vœu des populations (Voy. Merlin, Quest., vo Féodalité, § 5, cass.; 8 janv. 1812). Si l'esprit de conquête avec résultats a existé de la part d'un gouvernement pour la France, c'était à des époques et sous des régimes qu'elle répudie actuellement, ou bien vis-à-vis de pays barbares avec l'assentiment de l'Europe civilisée; et ses lois, ainsi que la jurisprudence de ses tribunaux, ont des solutions qui prouvent qu'elle subordonnait les réunions ou annexions au consentement des pays intéressés (Voy. C. cass., 9 flor. an XIII, 30 avr. 1812, 22 janv. 1818). Ce dernier arrêt, rendu pour l'époque où la Catalogne était occupée par les troupes françaises et administrée par les autorités françaises, a jugé que cette occupation et cette administration par des troupes et des autorités françaises n'avaient pas communiqué aux habitants de la Catalogne le titre de Français, ni à leur territoire la qualité de territoire français; que cette communication n'aurait pu résulter que d'un acte de réunion émané de l'autorité publique. »>

Pour le cas d'occupation d'une portion du territoire français par l'ennemi, la législation et la jurisprudence françaises n'ont dù admettre tout au plus que des effets temporaires. Valenciennes et quelques places voisines ayant subi un tel échec, des représentants du peuple en mission annulèrent les actes ainsi que les jugements contemporains, une loi postérieure déclara valides les actes en tant que conventions et maintint

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