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lannulation des jugements comme actes de juridiction viciés par la présence de l'envahisseur (arrêté, 17 brum. an III; 1. 18 frim. an vIII). Nos colonies de la Martinique et de la Guadeloupe ayant été une première fois envahies par les Anglais avec capitulation, ce qu'ils y avaient décrété fut anéanti lorsqu'elles étaient reprises (Voy. Antilles françaises, par Boyer-Peyreleau, t. 2, p. 437). Au contraire, les changements opérés par le gouvernement anglais dans la deuxième période de sa domination ont été tenus pour valables (C. cass., 18 fév. et 15 avr. 1819, 27 fév. 1822; cons. d'État, 18 fév. 1822); voici pourquoi pen→ dant plusieurs années sans interruption ni combat dans ces îles, privées de toute communication avec la France, le gouvernement anglais les avait possédées pleinement et y avait exercé la puissance souveraine, en y faisant même rendre la justice au nom de S. M. Britannique, par des juges ayant prêté serment d'allégeance et avec institution d'une juridiction de recours; de plus, le traité de paix du 30 mai 1814 ayant restitué les colonies à la France, une stipulation expresse avait maintenu les actes et jugements faits et rendus dans l'intervalle. Cette seconde raison manquait relativement aux jugements rendus en Corse sous la domination anglaise, de 1792 à 1796: néanmoins, par le motif surtout que dans une société constituée l'autorité publique ou la justice «< n'est jamais censée défaillir, » il a été jugé que « les faits, les actes, les contrats, les jugements intervenus entre les habitants pendant l'occupation du pays conquis, restent obligatoires et sont exécutoires après la retraite du conquérant, à moins qu'il n'ait été contrairement stipulé par des traités, ou que, par des lois formelles, il n'ait été dérogé à l'usage consacré par le droit public de l'Europe » (C. cass., 6 avril 1826).

Ces précédents peuvent guider dans un débat après cessation de la domination étrangère; mais ils sont loin d'être décisifs pour les questions s'élevant au cours même de l'occupation.

III. Quel que soit le pouvoir qui paraisse dériver de l'occupation militaire, comme facultés pour l'ennemi d'après les lois de la guerre, ce fait seul ne saurait opérer, pendant que dure la guerre dont il est un accident pouvant se changer en défaite, une translation de souveraineté telle que celle qui résulterait d'une occupation définitive irrésistiblement subie, ou d'un traité de paix avec cession valable de territoire, au point de soumettre l'administration de la justice et les juges institués à une souveraineté différente avec nécessité d'institution nouvelle et de nouveau serment. Des traités pour assurer l'équilibre européen ayant été conclus entre les grandes puissances et ayant garanti à chacune d'elles ainsi qu'aux États secondaires l'intégralité de leur territoire, le droit international moderne ne saurait admettre comme acquisitive d'une portion de territoire, vis-à-vis du belligérant souverain, l'occupation militaire non suivie d'un traité valable de cession; et l'une des conditions de validité d'une cession de territoire, surtout dans un pays où domine

le principe de la souveraineté nationale, est le consentement des populations, devenues libres, ou de leurs représentants, librement élus. C'est ce qu'a reconnu lui-même le jurisconsulte allemand Bluntschli, d'abord en proclamant ce principe fondamental que « le droit international respecte le droit des peuples de déterminer eux-mêmes la forme du lien qui doit les unir dans une vie commune, de se donner eux-mêmes une constitution », (Introd., p. 49), puis en disant, relativement au changement de souveraineté par cession de territoire, qu'il faut l'adhésion ou la reconnaissance des populations, enfin par cette remarque sur l'erreur des anciennes opinions quant à la conquête : « l'antiquité reconnaissait que le droit de conquête accorde au vainqueur la souveraineté du territoire conquis; on cherche donc à justifier ce droit en en appelant au consensus gentium. Mais l'humanité se fait de nos jours une autre idée du droit, et répudie le droit de conquête. La violence n'est pas une source naturelle du droit, et inversement le droit a pour mission de s'opposer à la violence. La conquête, le fait de mettre un territoire sous la domination physique du vainqueur, n'a pas le pouvoir de créer un nouveau droit; elle peut tout au plus donner un droit temporaire pendant une guerre » (p. 168 et 169).

Au point de vue répressif, le droit temporaire dérivant de l'occupa tion militaire par l'ennemi consiste d'abord en ceci : la loi martiale, qui s'impose d'elle-même, donne à l'armée d'occupation tous les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour sa sûreté; outre ceux du combattant, qu'on trouve dans les lois de la guerre, avec le droit de représailles qui est une application exorbitante de la loi du talion, il y a pour les chefs exerçant l'autorité militaire le pouvoir de condamner par jugement sommaire avec exécution immédiate, en cas de flagrance, l'individu convaincu d'une action qui compromet la sûreté de l'armée et qui, pour cette cause, est condamnable selon les lois de la guerre encore bien qu'elle ne soit pas précisément prévue par la loi pénale. Cela comprend spécialement l'espion déguisé qui est surpris, le guide trompant intentionnellement la troupe qu'il s'est chargé de conduire, les brigands ou malfaiteurs commettant des meurtres ou dévastations sous prétexte d'hostilités ou de résistance. Quoique sommaire, un tel jugement veut qu'on respecte les principes de la justice et de l'honneur, de telle sorte qu'il faut interroger, admettre l'explication justificative, vérifier la culpabilité, ne condamner que ce qui est condamnable (V. sup., p.305).

Pour l'administration régulière de la justice répressive, le droit des gens permet à chaque belligérant d'étendre la compétence des tribunaux de ses armées en pays ennemi, de manière à atteindre toutes actions prévues par sa loi pénale qui compromettraient leur sûreté, et tous coupables, que ce soient des militaires ou des assimilés, ou seulement des habitants du lieu ou des étrangers. La loi militaire française a fait application de ce principe, d'abord dans celle du 13 brumaire an v, dont l'art. 9 ren

dait justiciables des conseils de guerre « les habitants du pays ennemi occupé par les troupes de la République, » puis dans le Code de justice militaire promulgué en 1857, dont l'art. 63 attribue aussi compétence aux conseils de guerre, « si l'armée est sur le territoire ennemi », visà-vis de « tous individus prévenus, soit comme auteurs, soit comme complices, d'un des crimes ou délits prévus par le titre 11 du livre Iv du présent Code. » La règle paraît la même pour les armées allemandes sur les portions du territoire français par elles occupées, selon une proclamation du gouverneur général établi à Reims d'après les ordres du roi de Prusse commandant en chef des armées allemandes, datée du 5 novembre 1870 et insérée au Moniteur officiel de Seine-et-Oise du 14, où on lit: « Les crimes, délits et contraventions commis contre les puissances alliées, leurs armées et les personnes de leur suite, en outre les crimes, délits et contraventions commis par des personnes qui font partie de ces armées ou qui les suivent, sont jugés par les tribunaux de guerre d'après la loi pénale militaire. »

IV. Mais cette extension de compétence, selon le droit des gens et la loi militaire du pays de l'occupant, est limitée aux infractions, prévues par cette loi, qui pourraient compromettre la sûreté de l'armée se trouvant en pays ennemi. Cela comprend, d'après notre Code de justice militaire, toute trahison, l'espionnage et l'embauchage (art. 204-208), les crimes ou délits contre le devoir militaire (209-216), la révolte, l'insubordination et la désertion (217-225), les abus d'autorité (226–229), l'insoumission et la désertion (230-243), tout détournement ou recel d'effets militaires (244-247), les vols simples ou qualifiés (248-249), le pillage et la destruction ou dévastation d'édifices (250-256), les faux en matière d'administration militaire (257-260), la corruption et la prévarication ou infidélité dans le service (261-265), enfin l'usurpation d'uniformes ou costumes ou bien d'insignes ou décorations (art. 266). Si la plupart de ces crimes ne peuvent être que des crimes de militaires ou assimilés appartenant à l'armée d'occupation, il en est dont l'accusation peut atteindre même des habitants ou résidents, soit comme auteurs ou coauteurs, soit au moins à titre de complicité; et la compétence des tribunaux militaires fait question, lorsqu'il s'agit d'un crime prévu par la loi pénale ordinaire qui serait simplement connexe à celui que la loi militaire atteindrait. La Cour de cassation, saisie de pourvois qui n'auraient été recevables qu'en cas d'incompétence, a déclaré compétents les conseils de guerre français, même dans les États-Romains dont l'occupation ne se continuait que pour les protéger, savoir: vis-àvis d'un habitant ayant excité à la révolte contre l'armée (arr. 14 août 1851; J. du dr. cr., art. 5313); envers une femme ayant recélé des objets volés par un militaire, recel connexe au vol et devant être jugé sans disjonction (arr. 22 mai 1852); envers un habitant ayant fait rébellion avec bande armée et violences (arr. 19 janv. 1865; J. crim., art.

7978); vis-à-vis de deux autres ayant commis un vol avec circonstances aggravantes qui rentrait dans les prévisions du code militaire (arr. 23 juin 1865; J. crim., art. 8125); enfin à l'égard d'habitants et d'étrangers, pour association de malfaiteurs ainsi que pour attaque ou rebellion envers la troupe française et pour des vols s'y rattachant, la connexité ayant paru constituer un ensemble qui devait faire juger par le conseil de guerre les vols eux-mêmes, encore bien qu'ils eussent été commis par des Italiens sur des Italiens (arr. 30 nov. et 14 déc. 1865; J. crim., art. 8148). Relativement à l'armée expéditionnaire française au Mexique, la Cour de cassation a déclaré compétent le conseil de guerre qui avait condamné un Mexicain pour empoisonnement de soldats français, en donnant ce triple motif que l'empoisonnement est puni de mort par le Code pénal ordinaire, qu'à l'époque du crime le conseil de guerre était le seul tribunal organisé dans le lieu, qu'un tel crime était essentiellement dangereux et ne devait pas rester impuni (arr. 24 août 1865, Gonzalès Manuel).

Les lois pénales allemandes, telles que nous les connaissons, limitent la compétence des tribunaux de guerre en pays ennemi aux actions punissables qui y seraient commises contre la puissance ou l'armée occupante, quand ce n'est pas par une personne faisant partie de cette armée ou de sa suite. Ce serait une extension exorbitante que créeraient la force et l'arbitraire, pour une guerre d'invasion déjà trop fertile en monstruosités, dans les circonstances et selon la prétention que révèle une lettre du chancelier fédéral de Bismark au ministre américain intervenu, du 19 novembre 1870 (Voy. Journ. off., 25 novembre). L'envahisseur avait calomnié la France et sa capitale en persuadant qu'il pénétrerait partout sans une résistance héroïque ; le bombardement et la famine dont il a menacé Paris n'ont pas intimidé ses défenseurs; l'investissement rigoureux a fait inventer des voies aériennes, pour les étrangers qui ne pourraient autrement s'éloigner, ainsi que pour les communications nécessaires entre les membres du gouvernement étant les uns à Paris et les autres à Tours; plusieurs ballons ayant été rejetés par les vents dans les lignes prussiennes, non-seulement des soldats ont tiré sur les personnes qui s'y trouvaient, ce qui est contraire aux lois de la guerre puisqu'elles n'étaient point armées, mais l'autorité militaire et le chancelier prétendent faire juger par un conseil de guerre en Prusse les personnes ainsi capturées, comme coupables d'un crime tel que celui qui consisterait à « essayer de rompre les lignes d'avant-postes. >> Comment! l'air est libre, il n'y a pas ici d'occupation militaire et de sentinelles postées; si l'investissement est comme le blocus un obstacle employé par un belligérant contre l'autre, celui-ci et les résidents sont en droit d'y échapper comme ils le peuvent; la seule peine en cas d'échec est d'être faits prisonniers : voir là un crime punissable selon la loi martiale ou selon une loi pénale rigoureuse, c'est dépasser toutes les

limites possibles de l'interprétation la plus subtile pour engendrer la terreur par des sévérités énormes. Ça été une sorte de naufrage qui a livré l'aéronaute et ses compagnons aux Prussiens: or, en pareil cas, il y a un principe supérieur qui fut appliqué même à des conspirateurs, les naufragés de Calais, par l'arrêté des consuls de la République, du 18 frim. an VIII, proclamant qu'il est hors du droit des nations policées de profiter de l'accident d'un naufrage, pour livrer, même au juste courroux des lois, des malheureux échappés aux flots. »

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Une autre énormité est révélée par la lettre du chancelier. M. de Raynal fils, substitut au tribunal de Versailles, était resté à son poste, malgré l'invasion, et n'a cessé de fonctionner qu'à dater du moment où l'envahisseur entravait l'administration de la justice française. L'autorité prussienne a fait chez lui une perquisition avec saisie de papiers, l'a mis en arrestation et dirigé sur l'Allemagne pour y être jugé par un tribunal militaire, sous prétexte qu'il aurait correspondu avec l'ennemi, soit sa mère restée à Paris, soit son père qui y fonctionne comme premier avocat général à la Cour de cassation! Nous savons positivement que le jeune magistrat, dans ses seules communications qu'eussent permises l'occupation de Versailles et l'investissement de Paris, s'était borné à rassurer sa mère avec sa famille; et les papiers saisis chez lui n'ont pu être, quant aux événements ou faits de guerre, que des notes pour souvenirs, n'ayant d'ailleurs donné aucun renseignement à Paris. Voulût-on les incriminer, en y cherchant laborieusement quelqu'un des crimes prévus par la loi pénale allemande (Voy. suprà, p. 313, note 32), la poursuite et le jugement devraient avoir lieu à Versailles, selon toutes les règles de la justice, avec défense. En effet, là seraient le lieu de délit, le lieu du domicile et le lieu de l'arrestation; c'est là qu'étaient les papiers saisis comme corps de délit ou comme pièces à conviction, et c'est là qu'existent tous les moyens ou éléments de défense par témoignages et production d'écrits: selon le droit des gens lui-même, qui a inspiré les lois de compétence pour les tribunaux de guerre en pays ennemi, ce sont ces tribunaux seuls qui ont reçu l'attribution extensive. Quel autre, parmi les tribunaux militaires des différents pays de l'Allemagne, pourrait être compétent pour un prétendu crime qu'aurait commis un Français à Versailles ou à Paris, relativement aux accidents de guerre qui se produiraient ici ? Procéder comme le fait l'autorité prussienne, ce n'est pas seulement ajouter la terreur à toutes sortes de cruautés, c'est outrager la justice en essayant de l'associer par des apparences aux perfidies d'un envahisseur sans scrupules.

V. Au surplus, quelque extension qu'on veuille donner aux lois pénales et de compétence pour une armée d'occupation, toujours elles trouveront une limite, déterminée tout au moins par leur but et leur objet, qui est seulement la sûreté de l'armée. Ce ne sont pas ces lois qui régissent les relations des habitants du pays entre eux seuls, les ac

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