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dans l'histoire des chemins de fer français; car, ce jour-là, se retrouvèrent, dans le jardin de Ménilmontant, Lamé, Clapeyron, Stéphane et Eugène Flachat, Émile Péreire; Eugène Flachat, qui avait connu Lamé et Clapeyron à Saint-Pétersbourg, les présenta à son frère et à Émile Péreire. Des rapports de plus en plus intimes s'établirent entre ces ingénieurs et, quelques semaines plus tard, Lamé, Clapeyron, Stéphane et Eugène Flachat écrivaient en collaboration les Vues politiques et pratiques sur les travaux publics et fondaient en même temps une sorte de comité consultatif, destiné à diriger et à éclairer ceux qui entreprendraient de semblables travaux. Bientôt après, ils préparaient le projet du chemin de fer de Paris à SaintGermain, et ce projet fut déposé au ministère des travaux publics avec le concours d'Émile Péreire et d'Adophe d'Eichtal.

Dans les Vues politiques et pratiques sur les travaux publics, Lamé, Clapeyron, Stéphane et Eugène Flachat faisaient d'abord justice de la prétendue concurrence des canaux et des chemins de fer, en montrant les avantages respectifs des uns et des autres; puis ils traçaient le réseau de voies ferrées qu'il fallait exécuter immédiatement en France de Paris à la frontière de Belgique, de Paris au Havre, de Paris à Strasbourg, de Paris à Marseille, de Paris à Bordeaux avec embranchement sur Nantes, de Bordeaux à Lyon, enfin une ligne parallèle aux frontières du Nord. Ils indiquaient ensuite le moyen de réaliser ce réseau en confier l'exécution à l'industrie privée, en garantissant aux concessionnaires un certain intérêt.

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Par cet ouvrage, Lamé, Clapeyron, Stéphane et Eugène Flachat firent faire un grand pas à la question des chemins de fer; car, en posant les principes de la matière et en donnant d'utiles renseignements sur les expériences déjà faites, ils facilitèrent la solution des problèmes que soulevait ce nouveau mode de transport.

Dès lors, il ne restait plus qu'à entreprendre le réseau français; c'est à cette réalisation que vont désormais travailler les Saint-Simoniens, afin de se concilier par des œuvres utiles, positives, matérielles, la considération des peuples qui ne lisent et ne discourent pas, et qui ne sont frappés que par les actes, les choses, les faits et non les idées1».

(A suivre.)

MAURICE WALLON.

1. Fonds Enfantin, 7,671: Lettre d'Enfantin de 1832.

ANATOLE DUNOYER

Anatole Dunoyer, qu'une mort douce et pleine de sérénité a enlevé, le 24 mai dernier, à la tendre affection de ses nombreux enfants et petits-enfants, à l'estime de ses amis, aux regrets de l'École des sciences politiques, où il a enseigné pendant près de trente ans, était né à Paris le 15 janvier 1829. Il était le second fils de Charles Dunoyer, ce courageux écrivain qui, « royaliste par tradition et libéral par réflexion 1 faisant passer les droits du pays avant ceux de la couronne, entreprit, pendant toute la durée de la Restauration, avec Charles Comte, l'ancien compagnon de ses études juridiques, de censurer les actes du gouvernement et du pays, de « tirer celui-ci de l'engourdissement où l'avait laissé l'Empire, d'éloigner celui-là de l'arbitraire auquel il pouvait naturellement être enclin, d'empêcher à la fois les écarts si prompts du pouvoir et les faiblesses si fréquentes de la nation2 » et qui « paya quatre fois de sa liberté toute l'énergie qu'il avait apportée à vouloir mettre un frein aux licences du pouvoir et maintenir quelque ordre dans la sincérité civile ».

" celte remuante

Par ses grands-parents du côté paternel, Jean-Jacques-Philippe Dunoyer, seigneur de Segonzac, et Henriette de la Grange de Rouffillac, Anatole Dunoyer se rattachait à noblesse du Quercy qui, dans le moyen àge, flotta longtemps entre la domination anglaise et la domination française et, à la fin, de concert avec les Armagnacs, s'unit indissolublement à la France 3 ».

Dix-huit mois après la naissance de Dunoyer, la monarchie de Charles X succombait sous le poids des fautes du ministère Polignac.

1. Notice historique sur la vie et les travaux de Charles Dunoyer, par M. Mignet, lue à la séance publique annuelle de l'Académie des sciences morales et politiques le 3 mai 1873.

2. Ibid. 3. Ibid.

Charles Dunoyer ayant adhéré au gouvernement nouveau fut chargé d'administrer la préfecture de l'Allier, puis celle de la Somme. C'est dans ces préfectures que se passa l'enfance d'Anatole Dunoyer, enfance heureuse dont il aimait à évoquer les souvenirs. Et, lorsque, après sept années d'une autorité bienveillante, son père quitta la carrière des préfectures pour entrer au Conseil d'État, il fut mis comme interne, à Paris, au collège royal Henri IV, où il fit toutes ses études et où Victor Duruy, qui l'avait pris en amitié, lui donna le goût de l'histoire. Il allait terminer sa philosophie et subir les épreuves du baccalauréat quand éclata l'insurrection de Juin 1848. Dunoyer, sachant que son frère aîné avait pris les armes pour combattre les insurgés dans les rangs de la garde nationale, demande au proviseur l'autorisation de quitter le collège pour se battre aux côtés de son frère. Cette autorisation lui est d'abord refusée. Il insiste. Le proviseur le fait conduire chez son père qui l'envoie à la compagnie du prince de Talleyrand-Périgord où il est armé et envoyé aux Tuileries garder les insurgés. Il passe la nuit au poste de la gare Saint-Lazare, où sa jeunesse, son habit de collégien, ses bas bleus, son chapeau haut de forme étonnent parmi les gardes nationaux. Le lendemain, il marchait avec la compagnie du prince de Talleyrand-Périgord contre le faubourg Saint-Antoine quand on apprit que la barricade du faubourg venait de se rendre. Quelques jours après il était reçu bachelier.

Après le 2 décembre 1851, Charles Dunoyer cessa de faire partie du Conseil d'Etat. Son fils Anatole se trouvait sur les bancs de l'École de droit. Il se destinait à la carrière du barreau. Ses débuts comme avocat, aux Assises de la Seine, furent brillants. Le président des Assises rend de lui, en 1853, le témoignage que tous s'accordaient à reconnaître chez ce jeune stagiaire : « le don si nécessaire partout et si précieux au palais de la facilité et de la lucidité ». On le comptait « parmi les débutants qui avaient le plus de moyens ». Et, l'année suivante, M. Dufaure veut se l'attacher comme secrétaire. Il fait partie de la Conférence des avocats, comme membre d'abord, comme secrétaire ensuite.

Anatole Dunoyer avait alors vingt-sept ans. Il aurait pu, sans doute, grâce à l'estime dont il jouissait auprès de ses maitres et de

ses anciens condisciples, grâce à l'amitié de M. Dufaure, conquérir au barreau une place distinguée. Mais il fallait du temps, un temps bien long peut-être. Et le jeune avocat aspirait à gagner sa vie le plus tôt possible, lui-même, par ses propres forces, sans être à charge à ses parents, sans attendre des avoués, tout-puissants en cette matière, la constitution d'une clientèle. D'autre part, l'aversion qu'il éprouvait pour le nouveau régime; le sentiment de révolte et de répugnance invincible qu'avait fait naître en lui le coup de force du 2 décembre établissant le second Empire; l'union étroite où il vivait avec son père qui, rentré dans la vie privée consacrait ses dernières années à écrire un livre où il revendiquait sans relâche la liberté encore une fois détruite', tout lui faisait un devoir de renoncer, en France, aux carrières publiques.

Et comme sa famille et lui-même comptaient à Athènes de nombreux amis, que ces amis lui offraient de venir en Grèce pour y faire des conférences sur la littérature française et sur le droit français, que le Journal des Débats lui demandait des études sur l'Orient européen, sa résolution de s'expatrier fut vite prise, bien qu'il lui fût cruel de se séparer des siens qu'il aimait tendrement.

Il arrive à Corfou à la fin de mars 1847, et, descendu à l'Hôtel de la belle Venise, il se met immédiatement au travail. De Corfou, il se rend à Zante. Il a emporté de Corfou une masse énorme de matériaux. A Zante, il rassemble sans relâche les documents et les informations. Il travaille. Il est heureux. Il écrit à sa sœur: « Je suis ce matin dans un de ces agréables et fugitifs instants de l'existence où un concours fortuit de petites circonstances heureuses, jointes à un sentiment de satisfaction intérieure qui rejaillit sur les moindres objets qui nous entourent pour leur prêter un charme naïf, donne à l'âme un contentement ingénu et à l'esprit une sérénité placide qui sont bien près d'être le bonheur. Je me suis levé avec le soleil.... Le 8 août, le Journal des Débats publiait son premier article: Des destinées de l'Orient européen, daté de Zante, les 22 et 28 juin 1857.

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Ses cours commencent le 19/7 septembre à l'Université d'Athènes. Il joindra à ses leçons de littérature des leçons de droit français. Il

1. Ce livre, Ch. Dunoyer n'a pas eu le temps de l'achever. Il fut publié à l'étranger par son fils, Anatole Dunoyer. C'est Le second Empire et une nouvelle Restauration.

aura pour auditeurs M. Pillica, avocat éminent, professeur de droit pénal à l'Université d'Athènes, et ancien ministre; M. Reniari, autre avocat du plus grand mérite et ancien rédacteur au Spectateur de l'Orient; M. Diomidis, professeur de droit constitutionnel à l'Université; M. Rangabé, ministre des Affaires étrangères; M. Soutzo, professeur d'économie politique à l'Université; M. Paparrhigopoulos, conseiller à la Cour de Cassation el professeur de droit romain à l'Université, M. Typaldo, administrateur de la bibliothèque de l'Université, etc. Pour sujet de cours, il a choisi l'histoire de la litté rature en France depuis le commencement du XIXe siècle. Les dames ne sont point exclues, au contraire, de ses leçons. Il est de trop bonne race pour manquer de galanterie.

Les gazettes athéniennes s'occupent de lui. Elles publient des avis détaillés annonçant le jour de l'ouverture. Quelques mois plus tard il publiait, avec beaucoup de savoir et non moins de verve, les Lettres d'un voyageur en Grèce1.

A ces cours de littérature et de droit, à ces articles de journaux, il joint de nouvelles leçons, son tempérament exceptionnellement vigoureux, sa jeunesse ardente sollicitent du travail, plus de travail. Le 1er octobre 1859, il commence un cours d'histoire moderne dont le sujet est L'Histoire moderne de la Grèce considérée dans ses rapports avec l'Histoire moderne de l'Europe. Ce cours a un tel succès que, de toutes parts, dans la société athénienne, on lui demande des leçons. Il donne dix leçons par jour, sans compter les heures qu'il consacre chaque soir à la préparation de son cours. Et la pensée des chers parents qu'il a laissés en France ne le quitte pas; son cœur n'est qu'à eux; il est à eux tout entier et à la France. Son cœur sent et son intelligence comprend « toute la sainteté des lois de la famille, cette naturelle et touchante association composée d'êtres qu'unit entre eux un lien si puissant ».

Il revint en France en 1860 passer quelques mois, puis il retourna en Grèce pour y professer de nouveau. Il y composa de nouveaux articles qu'il destinait à la Revue des Deux Mondes (Des traditions historiques en France; Essai sur l'influence du christianisme et de l'hellénisme sur la société européenne; Étude sur le Grec moderne).

1. Athènes, 1858.

« EdellinenJatka »