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toutes les atteintes de ses adversaires et il fut d'une grande sévérité pour l'école de l'Univers ; lorsqu'il quitta Paris en 1852, pour n'y plus revenir, il communiqua ses motifs à M Schwetchine, dans une page où il juge lui-même l'ensemble de sa carrière :

« Je tiens par-desssus tout à l'intégrité du caractère : plus je vois les hommes en manquer et faillir ainsi à la religion qu'ils représentent, plus je veux, avec la grâce de celui qui tient les cœurs dans sa main, me tenir pur de tout ce qui peut compromettre ou affoiblir en moi l'honneur du chrétien. N'y eùt-il qu'une âme attentive à la mienne, je lui devrois de ne pas la contrister; mais lorsque par suite d'une providence divine, on est le lien de beaucoup d'âmes, le point qu'elles regardent pour s'affermir et se consoler, il n'y a rien qu'on ne doive faire pour leur épargner les défaillances et les amertumes du doute. J'ai cinquante ans dans six jours; j'ai traversé depuis vingt-deux ans des épreuves sans nombre où j'aurois du périr cent fois; mais, cette protection du Ciel ne me dispense pas de concourir à sa bonté. Je ne puis plus demeurer aux prises avec des passions inépuisables, et la retraite est un bouclier dont j'ai acquis le droit de me couvrir. J'ai la certitude qu'aucun parti ne me soutiendra jamais, parce que jamais je ne donnerai de gages à un parti humain ; j'ai aussi cette autre certitude que, demeuré à une place trop visible, je prêterai toujours le flanc aux attaques de mes ennemis par la naïveté de mes impressions et la hardiesse de mon discours.

» La nature même de mon auditoire, composé d'âmes jeunes, entraîne la mienne; je me rajeunis sans cesse au feu de leur contact, et toute préparation arrêtée m'étant impossible, je ne puis jamais répondre de m'asservir à une prudence qui me glaceroit. Etre ou n'être pas, c'est là la question. J'ai paye ma dette dans la parole, pourquoi refuserois-je aux jours qui me restent cette ineffable consolation d'écrire en paix pour Dieu ? L'écriture n'est jamais un orage, et aucune n'a été moins troublée que la mienne. Pas une ligne de mes écrits n'a soulevé une discussion, quoique j'aie traité les points les plus délicats et les plus controversés de la théologie. C'est que l'âme en écrivant se possède tout entière; rien ne se jette entre elle et Dieu pour lui ravir une expression. Un jour, si on me lit, on ne comprendra pas l'agitation de ma carrière et réellement c'est à peine si je la comprends moi-même. Je trouve en moi une si grande douceur, un tel éloignement des extrémités, une constance si simple dans des opinions modérées, qu'en regardant ce qui est sorti d'un fond si pacifique, je ne puis m'en étonner assez. Je m'en rends compte par ce seul mot: je n'ai appartenu à personne. Pourquoi dès lors ne jouirais-je pas enfin du bénéfice de cette solitude? S'il s'agissoit de briser toutes les cordes de la lyre, je concevrois que je n'en eusse pas le droit, mais, une coupée, l'autre subsiste encore. Sans doute, j'ai songé que je pourrois, dans de simples paroisses, édifier des âmes moins périlleuses que celles à qui je me suis donné

jusqu'à présent, mais la morale chrétienne, exposée sincèrement et avec liberté, n'est-elle donc pas une source provocatrice? J'ai fait des homélies dans notre église des Carmes, ont-elles satisfait? J'aurai beau vieillir, ma parole subsistera dans sa fougue naïve et sans art. D'ailleurs, même en admettant cette donnée pour l'avenir, il me faut un temps pour me séparer. Si je revenois à Paris l'hiver prochain, je serois accablé de sollicitations pour Notre-Dame et jamais je n'aurois assez de force pour y résister. Il faut, dans tous les cas, que le charme soit rompu, et que, si je dois remonter dans des chaires plus modestes, on se soit habitué à la pensée que j'en ai fini avec l'œuvre de ma jeunesse.

Dans ses dernières lettres Lacordaire a quelque chose de ferme et parfois même de tranchant qui contraste singulièrement avec les hésitations et les abattements des années où l'avenir étoit pour lui sombre et incertain. En résumé les pages vraiment belles sont rares dans tout le volume que vient de publier M. de Falloux; nous nous bornerons à signaler d'abord celle où il critique un article de celuici, qui déclare s'être entièrement rallié à l'opinion de l'illustre ora

teur :

L'humanité est comme un adolescent sorti des mains de ses maîtres et qui s'indigne à la seule pensée d'être tenu, gouverné et corrigé comme un enfant. Il veut croire par un acte libre de son intelligence et vivre conformément à ses croyances par un acte libre de son cœur. Tout ce qu'on peut faire dans cet état de son âme, est de lui expliquer pourquoi, à un autre âge, on a pù le traiter comme un enfant qu'il étoit et le préparer dans la servitude même de l'éducation à la liberté de l'homme viril. Le reste est inutile et dangereux. Tout esprit sain peut comprendre le moyen-âge si on le lui présente comme une époque transitoire, proportionnée aux traditions, aux mœurs et aux besoins des peuples, et d'où il est sorti de belles choses qui justifient suffisamment les ressorts employés pour les obtenir. Mais, présenter l'ordre du moyen-âge comme un ordre absolu, conséquence exacte de l'Evangile et de Jésus-Christ; en caresser la pensée, l'élever à la dignité d'archetype souverain, c'est froisser inutilement le siècle où nous vivons et s'exposer très-probablement à recevoir de l'avenir, ce juge en dernier ressort, un éclatant démenti. Nous ne savons où nous allons, le secret de Dieu reste couvert d'ombres encore sacrées; mais, il faut savoir attendre dans le chaos le fiat lux de la création et ne pas contrarier, par la témérité de ses retours ni par l'ardeur de ses pressentiments, l'œuvre inconnue qui est sous la cendre et dans la main incompréhensible de Dieu. Le mot d'ordre n'est pas encore donné d'en haut; nous devons l'attendre sans maudire, ni le passé, ni le présent, et en les acceptant tous les deux comme les racines entrelacées d'un avenir qui les surpassera. »

Une autre page non moins belle est celle où Lacordaire raconte

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à M Schwetchine sa première épreuve après avoir pris l'habit de Saint-Dominique :

« Chacun de nous est entré dans sa cellule. Il faisoit froid, le vent avoit tourné au nord et nous n'avions qu'un habit d'été dans une chambre sans feu; nous ne connoissions plus personne, tout le prestige, tout le bruit s'étoit évanoui; l'amitié nous suivoit de loin sans nous presser plus; nous étions seuls avec Dieu en présence d'une vie dont la pratique nous étoit encore inconnue. Le soir,nous allâmes à Matines, puis au réfectoire et enfin nous coucher. Le lendemain le froid étoit plus vif encore et nous ne comprenions qu'à demi la suite de nos exercices. J'eus un moment de foiblesse ; je tournai les yeux vers tout ce que j'avois quitté, cette vie faite, ces avantages certains, des amis tendrement aimés, des journées si pleines de conversations utiles, les foyers chauds, les mille joies d'une vie comblée par Dieu de tant de bonheur extérieur et intérieur! C'étoit payer cher l'orgueil d'une forte action que de perdre cela pour toujours. Je m'humiliai devant Dieu et lui demandai la force dont j'avois besoin. Dès la fin de la première journée, je sentis qu'il m'avoit exaucé et depuis trois jours, les consolations ont été croissant dans mon âme, avec la douceur d'une mer qui caresse ses grèves en les couvrant. »

me

La lettre qu'il écrivit de Liége à Mme Schwetchine pendant la station qu'il y prêcha en 1847 offre pour nous un intérêt particulier. La plupart des lettres de Me Schwetchine à Lacordaire n'ont pas été conservées, celles de l'illustre dominicain remplissent presque tout le volume. Depuis quelque temps il s'opère une certaine réaction dans le mouvement de sympathique admiration qui avoit accueilli les premiers écrits de la grande dame russe dont l'amitié maternelle occupa une grande place dans la vie de Lacordaire.

Il faut bien avouer que les publications, nouvelles ne renferment rien d'aussi remarquable que les écrits que M. de Falloux avoit commencé par faire connoître; de sorte que l'intérêt va un peu décroissant, et les jugements que l'on porte sur le mérite de Mme Schwetchine comme écrivain sont moins favorables que dans le principe.

DOCTRINES PHILOSOPHIQUES DE S. AUGUSTIN, Dissertation lue le 27 août 1865,

à l'académie de la Religion catholique à Rome,

par le R. P. Vercellone, Barnabite.

La Civilta catholica nous rapportoit, il n'y a pas longtemps, quelques observations aussi judicieuses qu'utiles sur cette dissertation. Nos lecteurs nous sauront gré de leur mettre ces observatons sous les yeux. Elles sont d'une haute utilité et indiquent le vrai moyen pour les philosophes catholiques de parvenir à l'unité d'enseignement dans l'importante question de l'origine des idées. La Civilta après avoir indiqué que c'est à raison de la qualité de son objet qu'elle consacre à cette dissertation un examen quelque peu étendu, continue de la sorte:

Le savant auteur commence par faire remarquer que la philosophie, bien que distincte de la religion, en a, cependant, reçu d'iminenses services. Chacun peut s'en convaincre et en comparant l'état où elle se trouve pendant le paganisme avec celui auquel l'ont élevée les ouvrages des Pères et des Docteurs de l'Eglise, et en rapprochant de la philosophie chrétienne celle des novateurs modernes. C'est donc à l'enseignement des Pères et des Docteurs de l'Eglise qu'il faut rattacher le fil de la tradition parfaite et classique de la science, si nous voulons la conserver dans toute sa splendeur et la pousser à de nouveaux progrès.

L'auteur invite et presse vivement tous ceux qui aiment la restauration et le progrès de la science philosophique à s'entendre entr'eux au lieu de se combattre mutuellement et à tourner contre l'ennemi commun leurs forces unies au lieu de les épuiser dans des luttes toujours aussi stériles que funestes. Il estime l'accord facile, si l'on fait attention que le Platonisme des saints Pères, loin de repousser l'Aristotélisme des plus grands scholastiques, s'accorde au contraire très-bien avec lui et que le Psychologisme, comme il l'appelle (1), de S. Thomas n'est point en opposition avec l'Onto

(4) Nous disons, comme il l'appelle, car ce mot de psychologisme appliqué à la doctrine de S. Thomas ne nous plaît en aucune façon Ce mot fut inventé par Gioberti pour désigner une philosophie qui part de l'ordre subjectif pour arriver à l'ordre objectif. Or, telle est bien la philosophie de Descartes, mais nullement celle de S. Thomas, laquelle, tout au contraire, prend son point de départ dans l'objet et n'atteint le sujet qu'au moyen de la connaissance réflexe qui vient nécessairement après la connaissance directe.

logisme de S. Augustin. Le R. P. Vercellone cherche à prouver sa proposition en touchant la question de l'origine des idées, question qui, on le sait, divise surtout les philosophes catholiques en fait d'idéologie. Je décrirai, (ce sont ses paroles), et j'exposerai d'abord, au moyen de textes originaux, le sentiment de S. Augustin en fait d'ideologie; bien plus, j'indiquerai la genèse même de son sentiment; en second lieu, je chercherai la cause du différend qui sépare les ontologistes catholiques des philosophes également catholiques. Je ferai voir enfin comment l'accord des disciples entr'eux ramenés à l'unité de doctrine du Maitre suffit pour établir une paix que nous désirons tous, parce qu'en réunissant les forces de nos plus grands hommes, cette paix rendra leur action plus efficace contre les efforts de nos adversaires modernes, toujours si unis quand il s'agit de combattre la vérité. »

Selon S. Augustin, les philosophes catholiques doivent, sans doute, repousser et refuter ce qu'il y a de faux dans la philosophie païenne, mais ils doivent veiller, d'un autre côté, à ne pas nier ce qui s'y rencontre de vrai. Or, comme la philosophie se divise en trois grandes parties: la philosophie naturelle, la philosophie rationnelle et la philosophie morale, il faut placer Dieu en tête de chacune d'elles, et le reconnaître ainsi tout à la fois, et comme Créateur de toute existence distincte de la sienne, et comme lumière suprême de toute connaissance et comme fin dernière de tout acte vertueux: ut in illo inveniatur et causa subsistendi et ratio intelligendi et ordo vivendi (1).

S. Augustin en revient constamment à cette idée, et bien qu'il approuve toute école philosophique, n'importe sa dénomination, pourvu qu'elle enseigne ces trois points; il préfère cependant celle de Platon, parce qu'il les y trouve plus explicitement exposés. Hæc itaque causa est cur istos cæteris præferamus quia cum alii philosophi ingenia sua studiaque contulerint in requirendis rerum causis et quisnum esset modus discendi atque vivendi ; isti, Deo cognito, repererunt, ubi esset causa constitutæ universitatis, et lux percipiendæ veritatis et fons bibendæ felicitatis (2). L'auteur tire de là quatre conclusions. La première, que le problème de la création, le plus important de la philosophie moderne, a été admirablement résolu par S. Augustin. La seconde, que S. Augustin suit la doctrine de Platon, de préférence à celle des autres, nommément en fait d'idéologie. La troisième, que S. Augustin considère l'idéologie comme partie intégrante du principe même de la création et comme un cycle moyen entre le premier qui explique l'origine des substances et le troisième qui assigne la règle de nos

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