Sivut kuvina
PDF
ePub

CHRONIQUE D'ALLEMAGNE

(1907-1908)

[ocr errors]

Procès scandaleux. La session du Reichstag et la politique du bloc conservateur-libéral : loi sur les bourses, loi sur le droit de réunion. Projet de réforme financière. — Au Landtag prussien, rejet de la réforme électorale: loi sur les expropriations en Pologne. Élections au Landtag prussien (juin 1908). Le socialisme: dissensions entre le Nord et le Sud. Le modernisme. - Guillaume II en Angleterre. L'incident Tweedmouth. Entrevues diverses. Reprise des discussions sur le Maroc.

[ocr errors]

Au cours de ces derniers mois, l'évolution politique de l'Allemagne s'est poursuivie sans événements saillants et sans à-coup. A l'intérieur, le gouvernement s'est efforcé de maintenir l'union conservatrice-libérale, dite « le bloc », en évitant toute discussion épineuse, et y a réussi mais les libéraux, désireux de rester dans la majorité gouvernementale, ont dû faire à plusieurs reprises litière de leurs principes le jour où ce parti libéral reprendrait un peu d'indépendance, on ne sait ce que deviendrait le bloc. A l'extérieur, Guillaume II a continué la politique pacifique de voyages et d'entrevues par laquelle il cherche à se concilier les souverains et les gouvernements; mais sa diplomatie a repris dernièrement une attitude assez tracassière vis-à-vis de la France à propos du Maroc.

Le mois d'octobre de 1907 a été marqué à Berlin par des procès assez pénibles pour la Cour et la haute société militaire, procès dont il nous faut dire quelques mots, malgré la délicatesse du sujet, puisque ces scandales ont eu des répercussions politiques et ont agité vivement l'opinion publique.

Le journaliste Maximilien Harden avait, au printemps de 1907,

accusé, dans la revue die Zukunft, de très importants personnages d'habitudes vicieuses ces personnages, le prince Philippe d'Eulenbourg, le général comte Kuno de Moltke, M. de Hohenau, etc., faisaient partie de l'entourage intime de l'empereur, de ce petit cercle de Liebenberg1 qu'on appelait « la Table Ronde » ou « la Camarilla »>.

Les personnages mis en cause avaient protesté de leur innocence, mais l'empereur s'était séparé d'eux sans hésitation. De Moltke, qui avait donné sa démission de gouverneur de Berlin, poursuivit Harden en justice. Ce fut le 23 octobre que vint ce procès devant le tribunal des échevins de Berlin.

L'avocat de Harden, Bernstein, chercha surtout à donner au procès un caractère politique: on disait du reste que Harden était poussé par M. de Holstein, ce conseiller de politique extérieure francophobe, qui en voulait à M. de Bülow et aux amis de l'empereur depuis sa disgrâce. Bernstein s'efforça de démontrer l'influence néfaste de la Camarilla, qui aurait eu la puissance de faire tomber les chanceliers Caprivi et Hohenlohe et qui aurait contribué à la nomination de M. de Bülow.

Les juges, tout en ne se laissant pas influencer par le côté politique du procès, acquittèrent Harden. Cet acquittement, qui équivalait pour de Moltke à une condamnation, porta un coup à l'aristocratie militaire allemande. L'empereur fut péniblement impressionné et, lors du voyage qu'il fit à cette époque en Angleterre, on put remarquer sur sa physionomie les traces d'une véritable altération.

M. de Bülow fut également accusé de faits du même genre par un individu nommé Brand: mais cette accusation ne reposait sur rien de sérieux, et son auteur fut condamné à un an et demi de prison 2.

En novembre, l'attention du monde politique se détourna de ces scandales pour s'occuper de la prochaine rentrée du Reichstag. Le bloc conservateur-libéral allait-il, au cours de la prochaine session, donner des preuves de vitalité? Au mois d'août, les chefs des différents partis du bloc étaient allés à Norderney pour conférer de la

1. Le château de Liebenberg est la résidence du prince d'Eulenbourg. 2. Ces procès scandaleux devaient continuer par la suite, mais perdre de plus en plus leur caractère politique. L'affaire Harden revint en décembre, non plus devant le jury, mais devant des juges correctionnels qui, cette fois, condamnèrent le journaliste. Au printemps de 1908, dans un autre procès de presse, Harden fit entendre deux témoins dont les dépositions furent accablantes pour le prince d'Eulenbourg. Celui-ci fut arrêté et, malgré son état de maladie, une instruction fut ouverte. L'état du prévenu est si précaire qu'il vient d'être remis en liberté provisoire. Le procès n'est pas fini.

situation polltique avec M. de Bülow : c'était un fait nouveau et intéressant à noter dans un pays non parlementaire que cette tentative de collaboration du chancelier et des députés. La stabilité du bloc devait dépendre de l'attitude que prendraient les 48 députés libéraux, des concessions plus ou moins grandes qu'ils feraient au chancelier ou qu'ils obtiendraient de lui: en effet le bloc était constitué par 216 voix environ et la minorité par 179 voix; on voit de quelle importance était le maintien dans la majorité des 48 voix libérales.

En novembre, les libéraux tinrent un congrès à Francfort-sur-leMein les trois fractions du parti étaient représentées par 5,000 congressistes; on remarqua l'influence prépondérante que prenait de plus en plus la fraction du « parti populaire démocrate » (Freisinnige Volkspartei) depuis la mort d'Eugène Richter du vivant de cet homme politique, cette prépondérance avait été très discutée, les Barth et les Virchow (de l'Union démocratique), les Haussmann et les Payer (du parti populaire de l'Allemagne du Sud) ne voulant pas se soumettre à sa direction. Les libéraux s'engagèrent à voter l'accroissement des crédits militaires, mais se montrèrent opposés à l'augmentation des impôts indirects: ils admettaient une augmentation de la taxe de l'alcool, mais repoussaient l'établissement d'un monopole. Ils préféraient étendre à l'empire l'impôt direct, réservé jusqu'alors aux gouvernements confédérés, et augmenter les droits de succession. On savait que les ministres Stengel et Rheinbaben étaient d'un avis opposé, mais on savait aussi que M. de Bülow n'était pas d'accord sur ces points avec ses collaborateurs et pourrait bien se séparer prochainement d'eux.

Le Reichstag inaugura ses travaux le 28 novembre par la discussion générale du budget. M. de Stengel fit un exposé de la situation financière qu'il dépeignit comme peu satisfaisante. Les nouveaux impôts n'avaient pas donné les résultats espérés. Les moins-values budgétaires atteindraient 180 millions pour 1907 et peut-être 200 millions en 1908. Il fallait aviser. Le ministre jugeait difficile de créer de nouveaux impôts directs (tels qu'un impôt sur le capital proposé par M. Bassermann et les nationaux-libéraux), les gouvernements confédérés préférant qu'on leur laissât ce mode d'impôt. Il valait mieux avoir recours à des impôts indirects, notamment à des taxes sur l'alcool et le sucre.

Le ministre de la Marine, M. de Tirpitz, monta ensuite à la tribune pour annoncer le dépôt d'une nouvelle loi navale, exigée par la

nécessité de maintenir la puissance maritime de l'Allemagne à la hauteur des autres marines.

Le leader du centre, le Dr Spahn, ne se montra défavorable ni à celte dernière proposition, ni au projet de création de taxes indirectes. Mais, après avoir ainsi fait d'importantes concessions au gouvernement, il chercha à le mettre en fâcheuse posture en amenant la discussion sur le procès Harden. M. de Bülow prit alors la parole pour défendre l'armée et pour affirmer que l'empereur balaierait énergiquement tout ce qui ne convenait pas à la propreté de sa maison et de son entourage. Quant à l'accusation portée contre le souverain de subir l'influence d'une camarilla, elle paraitrait dénuée de sens à tous ceux qui connaissaient le caractère indépendant de Guillaume II.

Le lendemain, Bebel parla en faveur de l'augmentation des impôts directs et des droits de succession, et, le 30 novembre, M. de Bülow prononça un nouveau discours dans lequel il faisait une fois de plus l'apologie du bloc.

L'existence de l'alliance conservatrice-libérale fut menacée le 3 décembre par un incident de séance. M. Paasche, député nationallibéral et vice-président du Reichstag, fit un discours très âpre d'abord contre M. de Rheinbaben (ceci n'était pas pour déplaire au chancelier), puis contre le ministre de la Guerre, en s'appuyant sur l'affaire Harden.

Le chancelier n'admit pas qu'un des membres importants du bloc attaquât aussi violemment un ministre, et, le 4 décembre, ilconvoqua dans son cabinet les chefs des différents groupes de la majorité, leur demandant de désavouer publiquement l'incartade de M. Paasche, les menaçant, en cas de refus, de quitter lui-même la chancellerie.

Les chefs du bloc n'hésitèrent pas à se soumettre et à apporter publiquement à M. de Bülow le témoignage de leur confiance. On vit monter successivement à la tribune M. Normann, au nom des conservateurs, M. Bassermann, au nom des nationaux-libéraux, M. Wiemer au nom des libéraux. M. Græber, du centre, déclara ironiquement qu'il ne voulait pas troubler cette touchante fête de réconciliation (5 décembre). L'incident n'eut donc pas de suites et le bloc en sortit consolidé mais on remarqua dans la presse et dans le public que le chancelier, qui n'est, dans la Constitution, responsable que devant l'empereur, s'était en l'occurrence (comme aux entrevues du mois d'août à Norderney), conduit en véritable ministre parlementaire, responsable devant le parlement.

Le 9 décembre commença la discussion de la loi sur le droit de réunion. Ce projet, qui permettait les réunions et associations dont le but n'était pas contraire à la loi, à condition que certaines déclarations fussent faites et certaines autorisations obtenues, devait être surtout une loi d'unification impériale des lois des différents états allemands sur cette matière. Il constituait un progrès pour un grand nombre d'états du Nord, mais plutôt un recul pour les états du Sud dans lesquels la législation actuelle est assez libérale.

Le paragraphe 7 de ce projet devait soulever de violentes controvorses il décidait que, dans les diverses réunions, les discours devaient être prononcés en allemand et que, pour s'exprimer dans une autre langue, il serait besoin d'une permission spéciale. D'après l'exposé des motifs, il était inadmissible qu'un citoyen allemand fit un discours public en une autre langue que l'allemand: l'emploi d'une langue étrangère devait entraîner la présomption qu'on se trouvait en présence d'une propagande anti-allemande. Les députés polonais, danois et lorrains, se sentant visés par ce paragraphe, protestèrent vivement contre une disposition qui paralysait leur développement politique M. Grégoire parla au nom des Lorrains, M. Hansen au nom des Danois, le prince Radziwill au nom des Polonais; ce dernier s'expliqua avec beaucoup de véhémence. Le ministre de l'Intérieur, M. de Bethmann-Hollweg, laissa entendre que le gouvernement userait de beaucoup de tolérance envers les Lorrains et les Danois, mais qu'il se servirait du paragraphe 7 comme d'une arme utile à l'égard des aspirations particularistes des Polonais, et aussi à l'égard des syndicats socialistes de Westphalie qui renfermaient beaucoup d'étrangers.

Quelle attitude allaient prendre les libéraux? S'ils suivaient les principes qui dirigeaient leur politique depuis plusieurs années, ils devaient repousser catégoriquement le paragraphe 7. C'est ce qu'ils firent d'abord. Puis, voyant que le gouvernement ne voulait pas supprimer cette disposition et que le bloc menaçait de se rompre, ils cédèrent et proposèrent au sein de la commission un amendement qui tendait à autoriser l'emploi d'une langue étrangère quand la réunion aurait été annoncée trois jours à l'avance. M. de BethmannHollweg répondit que, dans les villes polonaises, il y avait souvent de nombreuses réunions organisées pour le même jour et que la police ne pourrait les surveiller toutes il écarta l'amendement. Alors, les libéraux votant avec le centre et les Polonais, le paragraphe 7 fut repoussé par la majorité de la commission. Il fallut chercher un

« EdellinenJatka »